TINO ROSSI, LE TANGO CORSE
TINO ROSSI 1907 - 1983
Acteur, Chanteur Français
Il y a quarante ans disparaissait Tino Rossi. Il est certain que les plus jeunes d'entrevous, ne connaissent pas ce chanteur, étant donné que nous n'avons connu cet illustre artiste alors que nous n'avions pas plus de vingt ans, qu'à cette époque Johnny Hallyday, Dalida, Claude François, Michel Sardou, Eddy Mitchell, Sheila, Sylvie Vartan, Julien Clerc, Michel Fugain, Michel Delpech ou Mike Brant pour ne citer qu'eux, inondés les radios avec des chansons pour les jeunes adolescents que nous étions. Bien sûr, Tino Rossi ce n'est pas du "Brel, Brassens, Nougaro ou Léo Férré mais je me souviens que mon père adoptif était passionné par ce chanteur des années 30 à 60. D'après les ventes de disques, il semblerait que pendant très longtemps, ce fut Tino Rossi qui vendit le plus de disques en France et très bien placé également au niveau mondial avec "Petit Papa Noël". De mon côté, j'ai apprécié une chanson de Tino Rossi au générique du film de Bertrand Tavernier "Laissez passer".
Constantino, dit Tino Rossi est né le 29 avril 1907 à Ajaccio (Corse), d'un père tailleur. Il était le septième de huit enfants. Il est d'abord employé chez un avoué, puis comme changeur au Casino d'Ajaccio. Son père désire qu'il soit chanteur à la Scala de Milan ! Modestement, Tino débute dans les music-halls et au Grand Hôtel d'Ajaccio.
En 1927, il effectue son service militaire à Menton. Rentré en Corse, il préfère s'installer finalement à Aix-en-Provence, espérant se faire engager au Casino. C'est alors que, dans un concours de chant, il remporte un triomphe avec "Reviens, veux tu". Un imprésario corse, "Petit Louis", l'engage et le fait chanter dans les villages, pour des fêtes et des concerts. Enhardi, il se rend en 1932 à Marseille où il réussit à se faire engager à l'Alcazar pour jouer de petits rôles dans des revues. Mais il fait aussi enregistrer un disque à ses frais, et monte à Paris; son premier disque commercial sort en décembre : c'est un échec. Déçu, il rentre à Marseille où "Petit Louis" lui obtient un gala avec Raimu, Maurice Chevalier et Mistinguett.
Puis il part en tournée de Marseille à Paris, avec Damia et les duettistes Gilles et Julien. Comme ses disques se vendent toujours mal, les duettistes lui obtiennent un engagement à l'ABC, où il remporte un petit succès avec "Le tango de Marilou". En 1934, Henri Varna l'engage au Casino de Paris dans sa revue "Parade de France" qui est un triomphe grâce aux chansons de Vincent Scotto, sa rencontre avec Marcel Pagnol et le triomphe de "Marinella" en 1936...
Il ne faut pas oublier que son île de Beauté natale lui octroyait aussi les faveurs espagnoles, nord-africaines voire latino-américaines. De tout le temps qui fut le sien, Tino demeura inexplicable à une bonne part de ses contemporains, qui s'étonnèrent pendant un demi-siècle qu'une telle "absence" tout simplement - par opposition à la présence - qu'un tel néant puisse engendrer une telle idolâtrie. La voix emmiellée du chanteur, la fadeur immobile de l'acteur en exaspérèrent plus d'un.
Mais que ce sont ses réserves devant la popularité de l'artiste, exceptionnelle par son étendue comme par sa durée ? Quelle légitimité dans le recul que nous prenons puisque tous un jour, de De Gaulle à Jean-Christophe Averty, de Georges Brassens à Jack Lang, rendirent hommage au Corse le plus célèbre, à un concitoyen près? Il serait au demeurant à la fois injuste et imbécile de contester à Tino les raisons mêmes de son succès : on n'est pas si longtemps l'idole des foules pour rien, et sans talent. Ce chantre à voix de la romance sans texte eut sans doute la chance de voir sa carrière se développer en même temps que les techniques d'enregistrement et de diffusion du son, mais il savait lui aussi parler aux Français.
On ne se contenta pas de voir Tino mener des revues et effectuer des tournées à succès en France et dans le monde, un sort qui, au fond, aurait semblé enviable à bien des confrères à lui. Or, sous la conduite de ses imprésarios Audiffred et Félix Marouani, il allait à son tour tâter du cinéma et devenir lui, mieux que Réda Caire ou Charles Trénet, une valeur authentique sinon une vedette telle que le fut Chevalier.
Il faut concéder que les moyens de l'acteur étaient des plus discrets, et qu'il avait notamment le plus grand mal à demeurer plus d'un instant sous l'œil de la caméra : le ton est faux, la gestuelle empruntée, le naturel absent, "l'embonpoint des tenorinos qui craignent les rhumes et des mains dont son propriétaire ne sait que faire une fois qu'il les a suffisamment pressées sur son cœur". Il avait figuré dès 1934 dans "L'Affaire Coquelet" de Jean Gourguet, "La Cinquième empreinte" de Karl Anton et "Les Nuits moscovites" de Alexis Granowsky où il poussait déjà la chansonnette napolitaine. Troubadour dans "Ademaï au Moyen Age" (1935) de Jean de Marguenat, pêcheur Corse dans "Au son des guitares" (1936) de Pierre-Jean Ducis, ces années de lustre le voient exercer au cinéma la profession de chanteur quand ce n'est pas interpréter son propre rôle, depuis "Marinella" de Pierre Caron jusqu'à "L'Ane de Zigliara" de Jean Canolle en 1970.
"Naples au baiser de feu", en 1937, reflétât un peu l'œil vif du metteur en scène Augusto Genina, qui flanquait Tino Rossi de Michel Simon, Viviane Romance, Dalio, et de Mireille Balin, alors l'exquise et inexplicable maîtresse officielle du chanteur. Ce film révélera également au grand public ses amours tumultueuses avec Mireille Balin. Hollywood lui propose "Balalaika" qu'il refuse au dernier moment, malgré un accueil délirant à New York et au Canada. De retour à Paris, il tourne chaque année un ou deux films faits sur mesure par des réalisateurs sans grande personnalité.
Tino change d'ambition pendant les années quarante. On ne se satisfait plus de l'entendre couler dans le miel de sa voix les calanques de la Méditerranée et les escapades au crépuscule. Avec ce merveilleux sens du kitsch que le cinéma sait distiller, on verra Jacques Prévert écrire pour lui "Le Soleil a toujours raison" (1941) de Pierre Billon. Jean Delannoy en faire un religieux à la voix rédemptrice dans "Fièvres" (1941), Marcel Pagnol lui confier le rôle de Franz Schubert dans "La Belle meunière" (1948), Sacha Guitry coutumier du fait, le transformer en gondolier de Louis XIV pour les besoins de "Si Versailles m'était conté" (1953). Tino Rossi s'était marié deux fois quand il a rencontré en 1942 sa troisième femme : l'actrice Lilia Vetti dont il aura un fils, Laurent Rossi, né en 1948 et décédé en 2015.
Bien sûr, ce palmarès est quelque peu étique, et Tino le savait bien : "J'ai tourné des films qui ne sont pas bons, j'en suis tout à fait d'accord. Mais j'ai comme excuse que mes films ne dépendaient pas que de moi. Il y a tellement de producteurs qui m'engagent en pensant "de toutes manières, il fera de l'argent" et qui, en partant de ce principe, sont partisans du moindre effort artistique", avouait-il à Jean-Charles Tacchella (L'Ecran français, 14 octobre 1947). La modestie, toujours, même si l'on est en droit de discuter cette conception du métier d'interprète. Et c'est encore au nom de cette modestie appuyée par un vrai bon sens que Tino renonce aux prolongements cinématographiques de son métier de crooner, à la fin de la décennie. Couvert d'honneurs, sa gloire intacte, il est mort sincèrement pleuré par des milliers d'inconditionnels le 26 septembre 1983, il avait 76 ans.
*Affiches-ciné * Cinéma français * Cinetom
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