MIREILLE BALIN, LA VIE D'UNE VAMP
MIREILLE BALIN 1909 - 1968
Actrice Française
Une vamp. La seule véritable de la période et peut-être du cinéma de France. Des jolies femmes, l'écran français comme tous les autres en est peuplé, et ce livre en témoigne avec par exemple Mila Paléry ou Simone Simon. Belles, certaines actrices, plus rares, l'ont été, comme Simone Renant et Annebella. Mais la qualité de vamp ne doit à la seule joliesse, à la beauté seule : "C'est plutôt une divinité, un astre qui préside à toutes les conceptions du cerveau mâle, une espèce d'idole, stupide peut-être, mais éblouissante, enchanteresse, qui tient les volontés et les destinées suspendues à ses regards", ainsi que le devinait Baudelaire. La vamp n'est pas la star : cette dernière rayonne tandis que la vamp attire. De la vamp, créature égotique autour de qui tourne le monde,, provient une attraction non terrestre : si la star partage, la vamp ne donne rien. On lui sacrifie tout.
Mireille Balin était né à Monte-Carlo le 20 juillet 1909 comme Simone Simon, comme Simone Renant, et c'est à Paris qu'elle devient presque naturellement mannequin de haute couture. Après des études secondaires, elle déclara "un jour il faut gagner sa vie...Je savais quatre langues, j'ai pensé trouvé une place de vendeuse. Mais (...) on m'a convaincue rapidement qu'avec la silhouette que j'avais, je gagnerais beaucoup plus comme mannequin. Va pour mannequin...et puis j'ai posé pour des publicités, des machines à écrire, des bas (...) Je n'ai jamais pensé faire du cinéma, qu'est-ce qu'on aurait dit à la maison!" (...) "Cinéma 61, no 59 - Inoubliables par Raymond Chirat et Olivier Barrot - Editions Calmann Levy.
Et pourtant, Mireille Balin va faire du cinéma ! Après une apparition, aux côtés de Jean Gabin, dans "Adieu les beaux jours" en 1932, ses débuts au cinéma s'effectuent sous la conduite de G.W. Pabst qui lui confie le rôle modeste de la jeune nièce de "Don Quichotte" (1932), interprété par le célèbre chanteur Fedor Chaliapine. La jeune comédienne est lancée : elle a peine plus de vingt ans et sa silhouette impeccable, son visage juvénile sont mis au service de personnages de ravissantes ingénues dans quelques films oubliés.
Un tel parfum d'absolu constitue évidemment une essence des plus rares, et il n'est pas étonnant que sur des cimes à ce point quintessenciées ne survivent que peu d'élues : Theda Bara et Pola Negri, Francesca Bertini et Louise Brooks, Marlène et Garbo, Mireille Balin, son inimaginable visage qui provoque une stupeur incrédule : il y a là un soupçon d'absolu qui aurait dû lui conférer à cette Monégasque davantage qu'une principauté, un empire.
La star connaît un destin tragique, souvent. La vamp abdique d'elle-même. Elle n'a pas le goût de la mort volontaire mais sait décider de son retrait du monde, aussi définitif. Un beau jour elle n'est plus, au moins sur l'écran. Quel sens aura la tragédie, née des hommes, dans une destinée surhumaine où l'éternité prévaut ? Mireille Balin était si éloignée de notre monde qu'elle n'y fit à peu près que d'insignifiantes incursions et poussa le dédain jusqu'à n'apparaître que dans moins d'une demi douzaine de films dignes de mémoire, et à s'afficher en toute provocation avec le plus inattendu des chevaliers servants, son contraire absolu, Tino Rossi.
Peu après le tournage de "Don Quichotte" de Pabst, un autre émigré, Robert Siodmak, se voit charger de porter à l'écran le grand succès théâtral d'Edouard Bourdet, "Le Sexe faible" (1933) : plutôt que Janine Merrey, qui avait crée le rôle de Nicole sur scène, le cinéaste choisit Mireille Balin. Premier rôle, elle le devient dans "Si j'étais le patron" (1935) de Richard Pottier, fantaisie savoureuse écrite par Jacques Prévert et André Cerf et qu'orne, outre Mireille encore d'aspect juvénile, la tribu aimée du poète : Madeleine Guitty, Palau, Claire Gérard, Max Dearly, Gildès. On pressent pourtant que l'emploi de l'actrice sera le drame, le vrai, plutôt que les émois automatiques venus de Marcel Prévost "Marie des Angoisses" (1935) ou de Pierre Loti "Le Roman d'un spahi" (1936).
"Pépé-le-Moko" (1936), "Gueule d'amour" (1937) : Mireille Balin et Jean Gabin, un vrai couple de cinéma, fatal, beau, habité. A la brutalité imposée du héros tragique répond la grâce féline, vénale de l'héroïne. Force de régénérescence, Mireille Balin ne peut redonner la vie que pour tôt la reprendre. Elle est belle en blanc dans "Pépé", sublime en noir et blanc dans "Gueule d'amour". Encore mieux que le noir Julien Duvivier, Jean Grémillon saut faire percevoir en Mireille l'instrument de l'inéluctable; qui oublierait la bouleversante promenade nocturne sur la Croisette d'un Gabin écharpé de blanc au bras d'une Balin en fourrure et robe langue immaculées? Car c'est elle qui mène le bal tragique, et de ces traits sans défaut sourd la mort, de ce visage acéré, de ces sourcils arqués, de ces paupières profondes, de cette bouche parfaite mais ironique, à la lisière du mépris, de ces mains fines aux phalanges démesurées.
Mireille Balin ne se remettra pas de ces deux sommets, elle qui vient à peine de dépasser les vingt-cinq ans. Elle paraît davantage, les femmes de trente ans sont plus belles que leurs cadettes. Mêlées à des aventures militaires - "Capitaine Benoît" (1938) de Maurice Canonge, "Coups de feu" (1939) de René Barberis, à des niaiseries chantées par Tino, "Naples au baiser de feu" (1937) de Auguste Genina où se retrouvent aussi Michel Simon, Viviane Romance et Dalio "Terre de feu" (1938) de Marcel L'Herbier, elle est par deux fois en 1939 la partenaire de Erich von Stroheim dans l'étonnant "Menaces" d'Edmond T. Gréville, tout bruissant des dangers de l'embrasement mondial, et dans le distrayant "Macao l'enfer du jeu" de Jean Delannoy.
Après quatre films en 1942, dont "Dernier atout" de Jacques Becker qu'elle anime avec esprit sinon relief, elle accomplit en 1946 sa dernière apparition : qui se souvient de "Dernière chevauchée" - un titre adéquat - de Léon Mathot ? La Libération, il est vrai, ne fut pas sa meilleure période : on lui reprochait d'avoir participé en vedette au film fasciste italien de Genina "Les Cadets de l'Alcazar", tourné à Rome en 1940.
Auparavant, comme beaucoup de ses contemporaines, de Germaine Aussey à Michèle Morgan, de Ketty Gallian à Micheline Presle, Mireille Balin avait été approchée par Hollywood. Ce fut au lendemain de son triomphe dans "Pépé-le-Moko" qu'elle accepta les propositions de la MGM; lorsqu'elle fut sur place, elle demeura inemployée, et revint en France très affectée par ces mois de vaine attente.
Plus rien dès lors ne s'est produit, du moins de notre point de vue de spectateurs conquis. Pendant des années Mireille Balin s'est tenue éloignée de la vie des autres. Malade et sans ressources, lorsque la mort l'a requise jeune encore, le 9 novembre 1968, à l'âge de 59 ans, son histoire de cinéma s'était achevée depuis deux décennies. Elle repose au cimetière de Saint-Ouen, partageant son caveau avec Jean Tissier.
Extraits Noir & Blanc - Olivier Barrot - Raymond Chirat- Edition Flammarion
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