FILM NOIR -LES ANNEES 50-70 (3)
FILM NOIR
LES ANNEES 50-70 (3)
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3- LES PRECURSEURS DU FILM NOIR
Le "style noir" s'apparente très directement à l'expressionnisme allemand, notamment par l'éclairage, la reconstitution du milieu et le recours quasi systématique au clair-obscur. Le thème du conflit entre l'individu et la collectivité cher au cinéma allemand des années 20 est repris par le cinéma américain des années 40. Sans doute faut-il attribuer ce fait à la présence à Hollywood de metteurs en scène comme Fritz Lang, un des artisans du cinéma expressionniste allemand, et de ses émules : Billy Wilder "Assurance sur la mort", Josef Von Sternberg, Robert Siodmak "Les Tueurs", Edgard G. Ulmer "Détour", John Brahm, Otto Preminger, Max Ophüls, Douglas Sirk, Anatole Litvak et Rudolph Maté entre autres.
Le film noir doit également à quelques metteurs en scène français, tels que Marcel Carné et Julien Duvivier; il est significatif d'ailleurs que, pendant son séjour à Hollywood, Jean Renoir ait abordé le genre avec "La Femme sur la plage" (The Woman on the Beach,1946). Autre précurseur du film noir : le film de gangsters hollywoodien, et en particulier les productions de la Warner au cours des années 30. C'est notamment en visionnant et en étudiant ces films de près qu'Orson Welles conçut et mit au point le style visuel de son propre chef-d'oeuvre : "Citizen Kane" (1940).
Au début des années 40, déjà, dans plusieurs films policiers, il est possible de discerner les signes avant-coureurs du film noir : qu'il nous suffise de citer "Le Faucon Maltais", "Tueur à gages" (This Gun for Hire,1942), "La Femme au portrait" (The Woman in the Window) et "Laura" deux films de 1944, et "La Maison du Dr Edwards" (Spellbound,1945). Toutefois, c'est dans la seconde moitié de cette décennie seulement que les sombres accompagnements musicaux commencent à éprouver les nerfs des spectateurs et que les ombres se glissent avec insistance dans leur champ visuel. Dès lors, le spectateur se trouve sur un terrain miné. Fasciné par la mortelle sensualité des femmes fatales (Les veuves noires), selon la formule du critique Raymond Dugnat, accentuée par la photographie suggestive et habile de John Alton, Nicholas Musuraca et John Seitz, empoigné par la voix inexorable des narrateurs hors champ, le spectateur des années 40 était saisi d'une angoisse qui ne faisait que croître au fur et à mesure que les thrillers se faisaient plus oppressants.
La Femme sur la plage" (The Woman on the Beach,1946)
4- LES HEROS DU CRIME
"L'Enfer est à lui" (White Heat,1949) de Raoul Walsh et "Le Démon des armes" (Gun Crazy,1949) de Joseph H. Lewis, l'un et l'autre de 1949, sont deux films dont on peut tirer, si on les compare, d'intéressants aperçus sur le genre. Dans le premier, James Cagney interprète le rôle de Cody Jarrett, un gangster psychopate. Déjà interné dans une maison de santé et obsédé par sa mère, l'homme, animé d'une tendance à l'autodestruction, court à sa propre fin (il se suicidera, en effet, au sommet d'un gazomètre). Les héros du "Démon des Armes" sont "simplement" fascinés par le crime. Contrairement à Walsh, Lewis ne nous donne aucune explication sur leur instinct criminel, se limitant à en montrer les manifestations. Rarement les motivations des protagonistes du film noir sont "expliquées" au spectateur. Dans un monde sans certitude et sans morale, tout est suspect et les explications n'auraient qu'une valeur bien relative.
Souvent les protagonistes se trahissent mutuellement. Dans "Le Faucon maltais", Sam Spade (Humphrey Bogart) évite le piège du sentiment et envoie Brigid (Mary Astor) en prison. A la fin de "La Dame de Shanghai" (The Lady from Shangai,1947) O'Hara (Orson Welles) laisse mourir Elsa (Rita Hayworth) plutôt que de continuer d'être une marionnette entre ses mains. Dans "Réglement de comptes" (The Big Heat,1953) de Fritz Lang, Glenn Ford est un policier honnête jusqu'au moment où il décide de venger la mort de sa femme; en devenant son propre justicier, il se met hors-la-loi. Dans "Piège au Grisbi" (The Money Trap,1965) le même Glenn Ford joue cette fois encore le rôle d'un policier qui se laisse corrompre pour obtenir l'argent qui rendra sa jeune épouse heureuse.
Le personnage interprété par Robert Mitchum dans "La Griffe du Passé" quitte la terne mais honnête femme aimée, incarnée par Rhonda Fleming, afin de suivre une aventurière jouée par Jane Greer, faiblesse dont il se repentira amèrement. Toutefois la plus célèbre des trahisons est probablement celle dont est victime Joan Crawford dans "Le Roman de Mildred Pierce" (Mildred Pierce,1945), histoire d'une mère qui se sacrifie pour sa fille et découvre que celle-ci a séduit, et détruit son propre mari!. Dans le film noir, cependant, ce sont plus souvent les hommes qui sont trahis, ces victimes sont la plupart incarnées par Richard Widmark, Robert Ryan, Richard Conte, Richard Basehart et surtout Robert Mitchum.
5- LE SUCCES DU FILM NOIR
L'influence du film noir se fit sentir jusque dans le western des années 40, ultime bastion de la morale manichéenne, qui ne connaissait jusqu'alors que des bons et des méchants. Dans un film de 1947 : "La Vallée de la peur" (Pursued), Raoul Walsh analyse et finit par expliquer les motivations du héros (Robert Mitchum) par le drame qu'il a vécu enfant et qu'il a enfoui dans son inconscient. D'autres genres se trouvent à la croisée du film noir et des drames pyschologiques : les films d'horreur produits par Val Lewton pour la RKO, par exemple, explorent volontiers l'inconscient humain. "La Septième Victime" (The Seventh Victim",1943), où l'obsession suicidaire de l'héroïne (Jean Brooks) sert de pivot (avec des effets particulièrement terrifiants) à une intrigue de démonisme moderne, qui a pour cadre le New York contemporain, est probablement le film le plus noir de la série.
Le succès du film noir déborda largement les années 40 et trouva même un certain regain de vigueur dans la contradiction entre l'image rationnelle et rassurante du monde que l'administration d'Eisenhower tendait à promouvoir et celle plus cruelle de la réalité quotidienne. Des films comme "La Maison dans l'ombre" (On Dangerous Ground,1951), dirigé par Nicholas Ray, et "Réglement de comptes" contestaient les valeurs prônées par la société de consommation, tandis que dans "En quatrième vitesse" (Kiss Me Deadly,1955) ces mêmes valeurs étaient complètement désintégrées.
Le film noir réapparut à la fin des années 60 et au début des années 70 avec des oeuvres comme "Le Point de non-retour" (Point Blank,1967) de John Boorman, "Klute" (1971), "Le Privé" (The Long Goodbye) de Robert Altman et "Mean Streets" de Martin Scorsese, l'un et l'autre de 1973, "Chinatown" (1974) de Roman Polanski avec Jack Nicholson et "La Fugue" (Night Moves,1975); on remarquera qu'à cette époque la situation politique était fort semblable à ce qu'elle était à la fin des années 40 et au débutr de la décennie suivante : cette fois encore, l'Amérique combattait le communisme bien au-delà de ses frontières; seul le pays avait changé puisque le Viêt-nam succédait à la Corée. Sur le plan intérieur se développait le scandale du Watergate : le cinéma repartit en guerre contre la corruption du pouvoir.
L'influence du film noir se retrouve aussi chez les cinéastes de la nouvelle vague français ainsi que dans le jeune cinéma allemand des années 70. Des films comme "Made in U.S.A." (1965) de Jean-Luc Godard et "Götte der Pest" (1970) de Rainer Werner Fassbinder renouaient avec les traditions noires nationales tout en rendant hommage à cette ère sombre du cinéma américain à laquelle la critique contemporaine a fait la place importante qui lui revient dans l'histoire du septième art.
"La Maison dans l'ombre" (On Dangerous Ground,1951)
"En quatrième vitesse" (Kiss Me Deadly,1955)
Le Point de non-retour (Point Blank,1967) de John Boorman
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Actrice et compagne de Jean Renoir : Catherine Hessling