DE LA 317 ÈME SECTION A MAIGRET, L'ADIEU A BRUNO CREMER
DE LA 317ème SECTION A MAIGRET
L'ADIEU A
BRUNO CREMER 1929 - 2010
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Le comédien Bruno Cremer, qui incarna au cinéma "La 317 ème Section" (1964) de Pierre Schoendorffer avec Jacques Perrin et qui termina une carrière à la télévision en incarnant le commissaire Maigret entre 1991 et 2005, est décédé samedi 7 août 2010, dans un hôpital parisien, à l'âge de 80 ans, a annoncé dimanche son agent France Degand. L'acteur luttait depuis plusieurs années contre un cancer.
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Bruno Cremer est né le 6 octobre 1929 à Saint-Mandé dans le Val-de-Marne, d'une mère d'origine belge et d'un père qui prendra la nationalité belge parce que la France n'aurait pas voulu l'accepter comme soldat durant la guerre, contrairement à la Belgique.
Après ses études secondaires, il suit les cours au Conservatoire et débute au théâtre dans "Robinson" de Jules Supervielle. Pendant dix ans, il se consacre presqu'exclusivement au théâtre en jouant dans "Le Mari idéal" d' Oscar Wilde, "Périclès" de Shakespeare et "Pauvre Bitos" de Jean Anouilh. Frappé par l'interprétation de Bruno Cremer, l'auteur lui confie le rôle principal de "Becket". "Le plus beau moment de ma carrière, dit Bruno Cremer, je le dois au théâtre, à "Becket" la pièce de Anouilh que j'ai jouée pendant deux ans et demi."
Il débute au cinéma aux côtés d' Alain Delon, Edwige Feuillère et Bernard Blier dans «Quand la femme s'en mêle» en 1957 réalisé par Yves Allégret. Cependant, il lui faudra attendre l'année 1964, pour voir sa carrière cinématographique s'accélèrait avec «La 317e section», un des rares films réalisés sur la guerre d'Indochine, réalisé par Pierre Schoendoerffer. Ce film extraordinaire raconte la bataille de Dien Bien Phu, vu de l'intérieur. Cremer donne la réplique à un autre comédien français qui débuta peu de temps auparavant dans deux films italiens : Jacques Perrin. Tous deux deviennent des acteurs populaires.
L'année suivante, il enchaîne avec le célèbre film de René Clément, "Paris brûle-t'il? " (1966) aux côtés d'une pléiade d'acteurs internationaux : Jean-Paul Belmondo, Charles Boyer, Jean-Pierre Cassel, Alain Delon, Orson Welles, Kirk Douglas, Gert Froebe, Simone Signoret, Michel Piccoli, Yves Montand, Jean-Louis Trintignant, Daniel Gélin, Suzy Delair, Wolfgang Preiss, et tant d'autres.
Il poursuit en inteprétant un résistant pendant la seconde guerre mondiale dans "Un Homme de trop" (1967) mise en scène par Costa-Gavras avec Michel Piccoli, Charles Vanel, François Périer, Jean-Claude Brialy, Gérard Blain, Jacques Perrin et Claude Brasseur.
Sous-titré "Breakdown", "Si j'étais un espion" (1967) est le second film de Bertrand Blier avec Bernard Blier, Bruno Cremer et Suzanne Flon. Le cinéaste déclara : "J'ai rencontré un producteur, reçu une avance sur recette acquis l'accord de mon père pour l'interprétation. C'était l'époque où les films d'espionnage étaient traités généralement sous la forme parodique, style James Bond (...) L'espionnage est une chose tellement absurde que personne n'en accepte une vision autre que burlesque. Moi je voulais surtout, avec ce scénario, proposer une réflexion sur le fascisme". (Bertrand Blier, "Cinéma 8", no271).
Dès lors il ne cesse de tourner surtout avec les cinéastes Yves Boisset et Costa-Gavras mais aussi dans les premiers films de jeunes réalisateurs prometteurs. On le voit aussi dans le film de Luchino Visconti "L'Etranger" (Lo Straniero, 1967) d'après l'oeuvre d'Albert Camus avec Marcello Mastroianni, Anna Karina et Bernard Blier pour princIpaux interprètes. Il étonne mais ne laisse pas indifférent dans "Le Viol" (1967) de Jacques Doniol-Valcroze avec Bibi Anderson.
Il donne la réplique à Annie Girardot dans "Les Gauloises bleues" (1967) de Michel Cournot. Tout le monde se souvient de sa participation au film de Philippe Fourastié aux côtés de Jacques Brel et Annie Girardot dans "La Bande à Bonnot" (1968). Bruno Cremer retrouve le cinéaste Yves Boisset avec qui, il tournera trois autres films : "Cran d'arrêt" (1969), "L'Attentat" (1972) avec la participation de Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Jean Seberg, Gian-Maria Volonté, Michel Bouquet, Daniel Ivernel, Philippe Noiret, Roy Scheider et François Périer et enfin "R.A.S." (1973) d'après le roman de Roland Perrot aux côtés de Jacques Weber, Jacques Spiesser, Philippe Léotard, Jean-François Balmer, Jacques Villeret et Roland Blanche.
Un autre film, une autre histoire, celle de "La Chair de l'orchidée" (1975) du jeune réalisateur Patrice Chéreau avec Charlotte Rampling, Bruno Cremer, Edwige Feuillère, Simone Signoret et Alida Valli. Il s'agissait du premier long métrage de Chéreau qui a réussit une sacrée performance avec cette première oeuvre.
Bruno Cremer participe aussi au tournage du film de Michel Wyn : "Les Suspects" (1975) avec Mimsy Farmer, Paul Meurisse, Michel Bouquet et Michaël Lonsdale. En 1975, Costa-Gavras réalise un film politique :"Section Spéciale" dont le sujet nous ramène en 1941 et l'assassinat d'un officier allemand à Paris, le gouvernement de Pétain est amené à appliquer des lois d'exception rétroactives. Une dénonciation efficace.
Après avoir donné la réplique à Jean-Paul Belmondo dans "L'Alpagueur" (1976) de Philippe Labro, Bruno Cremer accepte de figurer dans "L'ordre et la Sécurité du monde" (1978) de Claude d'Anna aux côtés de Joseph Cotten, Gabriele Ferzetti, Dennis Hopper, Michel Bouquet et Donald Pleasence. Le but du réalisateur et de sa scénariste l'actrice Laure Dechasnel, avait été de dénoncer les agissements des gros groupements financiers qui régissent désormais, plus que les gouvernements, le sort des pays du tiers-monde, et selon ses propres termes "rendre concrète l'abstraction des multinationales" : un monde de cruauté et de violence caché sous les dehors de banquiers paisibles et de diplomates affables. L'autre propos du film, souligné par ses images crépusculaires (tout se passe de nuit en 24 heures) était de donner le sentiment d'une charnière temporelle et de la fin d'un monde. (Entretien dans "Cinéma 78" no 236/237)
A la télévision, on a pu voir Bruno Cremer dans "Cet homme là", dans la série "Orient Express", l'épisode : "Hélène", réalisé par Marcel Moussy, dans "La traque" de Philippe Lefebvre et dans "Une page d'amour", d'Elie Chouraqui. En cette fin des années 70, il accomplit une interprétation magistrale aux côtés de Romy Schneider dans "Une Histoire simple" (1978) réalisé par Claude Sautet, ce film permettra à Romy d'être honorée du César de la meilleure actrice.
"Anthracite" (1980) est le premier long métrage d'Edouard Niermans, Bruno Cremer et Jean Bouise sont les deux principaux interprétes de ce collège religieux dans les années 50. Un prêtre veut appliquer les méthodes évangéliques à l'éducation des jeunes gens. Ce qui ne plait ni aux autorités du collège....
1982, deux autres grands films, le premier est une comédie dramatique "Josepha" de Christopher Frank avec Miou-Miou et Claude Brasseur et le second est "Espion lève-toi" d'Yves Boisset avec Lino Ventura et Michel Piccoli.
Période Jean-Claude Brisseau
Massif, le visage fermé et impassible, la souffrance que l'on devine derrière la violence latente, tel apparaît en 1983 Bruno Cremer dans le premier film de Jean-Claude Brisseau, "Un Jeu brutal". Il incarnait un chercheur scientifique, père indigne d'une enfant infirme, qu'il élève à la spartiate. A l'insu de tous, il est aussi l'impitoyable coupable des ignobles meurtres d'enfants qui défraient la chronique. Ce rôle glaçant ouvre une collaboration fructueuse entre les deux hommes, poursuivie à travers le père sévère du violent : "De Bruit et de Fureur" (1987), présenté à Cannes en 1988, il y obtint le Prix Perspectives du Cinéma Français, ainsi que le Prix Spécial de la Jeunesse (il fut pourtant interdit aux moins de 18 ans).
Puis sous les traits du professeur de Lettres séduit par une Lolita dans "Noce Blanche" (1989). Ce dernier bénéficie d'une mise en lumière médiatique particulière, puisque sa jeune partenaire n'est autre que la chanteuse Vanessa Paradis. Jean-Claude Brisseau ex-enseignant lui-même, précisa que son scénario n'avait rien de spécialement autobiographique même s'il était nourri de ses observations.
Entre-temps, Bruno Cremer avait accepté de jouer aux côtés de Marlène Jobert et Jacques Villeret dans une mise en scène de Daniel Duval : "Effraction" (1982). On le vit également dans un long métrage de René Allio : "Le Matelot 512" (1984) de René Allio avec Dominique Sanda et Jacques Penot. En 1985, Bruno Cremer endosse le rôle de Bernard Corain, industriel qui est contacté par la DGSE afin de lui proposer un poste d'Informateurs Bénévole au sein des services secrets dans "Le Transfuge" du metteur en scène Philippe Lefebvre. Trois télévisions francophones (française, belge et suisse) et une chaîne d'Allemagne de L'Ouest, s'associèrent pour produire ce long métrage qui fut tourné en 35mm et programmé d'abord sur grand écran.
Bruno Cremer participa à de nombreux films d'auteurs français, un petit tour chez Bertrand Blier : "Tenue de Soirée" (1986) avec Gérard Depardieu, Miou-Miou et Michel Blanc, un autre dans le moyen métrage d'Anne-Marie Miéville, "Le Livre de Marie" (1984) et plusieurs films européens (Espagne, Suisse, Italie et Belgique). Ainsi dans "Falsch" (1986) le premier film des frères Dardenne, futurs lauréats de la Palme d'or cannoise, il incarne le rôle titre, celui d'un juif ayant fuit aux Etats-Unis avant la guerre et hanté par les fantômes de l'Holocauste.
Sa douleur contenue s'exprime aussi dans le méconnu "Tumultes" (1990) réalisé par Bertrand Van Effenterre au côté de Nelly Borgeaud, où il tient une famille éplorée, mère anéantie, soeurs déboussolées par le suicide de son seul fils. Il retrouve plus tard Laure Marsac, présente dans "Tumultes" et dans "Taxi de nuit" (1992), un curieux film d'anticipation de Serge Leroy qui avait imaginé Paris après l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite.
Dès lors s'ouvre une période de neuf ans d'absence de Bruno Cremer sur le grand écran. En revanche, il va se faire très présent dans le petit écran...Depuis le milieu des années 80, il était déjà apparu dans de nombreux téléfilms, entre autres "Le regard dans le miroir" (1984) de Jean Chapot, "L'île" (1986) de François Leterrier, "Biafra : la naissance", réalisé par Laurent Heynemann dans la série "Médecins des hommes", "Le Diable en ville" (1988) de Christian de Chalonge (série Lavardin).
Mais surtout, à partir de 1991, Bruno Cremer endosse pour France 2 l'impérméable du commissaire Maigret, pour "Les Plaisirs de la nuit" de José Pinheiro, premier d'une longue série (quarante épisodes) réalisés par Serge Leroy, Claude Goretta, Bertrand Van Effenterre, Pierre Granier-Deferre, Edwin Baily, Philippe Bérenger, Olivier Schatzky...Le rôle du mythique enquêteur à la pipe imaginé par Georges Simenon, avec ses nuances flegmatiques et sa stature pesant, lui va comme un gant.
Mais Cremer revient parfois au théâtre. Il joue sous la direction de Georges Wilson "Léopold le bien-aimé" en 1988-1989, puis crée en septembre 1990 à Paris la pièce "Love Letters de A. R. Gurney, mise en scène par Lars Schmidt, aux côtés d'Anouk Aimée. Il poursuit les représentations en tournée en 1991-1992 puis la reprend à la Comédie des Champs-Elysées à l'automne 1994. Enfin il aborde l'oeuvre d'ingmar Bergman avec "Après la répétition", dirigé par Louis-Do de Lencquesaing au théâtre de la Renaissance en 1997, avant une tournée fin 1998.
En 2000, c'est la littérature qui le mobilise avec la publication aux Editions de Fallois d'une fiction sur son adolescence, "Un certain jeune homme". Le cinéma le retrouve l'année suivante dans "Sous le Sable" (2001) du réalisateur de "Huit Femmes", François Ozon qui réussit une oeuvre magique et intriguante avec un duo efficace pour le rôle bref mais primordial du mari de Charlotte Rampling, qui disparait sur la plage et dont le fantôme revient accompagner la vie de sa femme, qui ne parvient pas à faire son deuil. Un critique parlera de présence "minérale", un adjectif qui colle parfaitement à la silhouette de singulier et immense comédien.
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