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CINETOM
3 août 2025

JACQUELINE DELUBAC, MUSE DE SACHA GUITRY

JACQUELINE DELUBAC       1907 - 1997

Comédienne Française

Ravissante. La figure aux pommettes saillantes traçant un délicat triangle. Le sourire, triangulaire aussi, retroussant le coin des lèvres et creusant des fossettes. Les yeux, d'un bleu profond, miroirs de ses plaisirs et de ses menus soucis. Charmante, avec ce quelque chose de déluré qui ajoute du piquant à son comportement mondain. Mondaine, elle l'est, jusqu'au bout des ongles. Gracieuse, rieuse, avec une légère pointe d'affectation qui effleure certaines syllabes, chavire le regard, provoque le soupir. L'espace d'un instant. Le rire fuse vite et le corps s'abandonne.

 

C'est dans une famille de soyeux que naquit Jacqueline Delubac, née le 27 mai 1907 à Lyon, fille d'Henri Basset et d'Isabelle Delubac. Son père mort en 1911, elle est élevée par ses grands-parents à Valence où elle fait de brillantes études. Sa mère souhaite la voir embrasser la carrière théâtrale et l'envoie à Paris où elle débute à l'Empire, en imitant Joséphine Baker dans une tenue plutôt dévêtue, elle fut mannequin dans une revue du Palace dont l'ancien boxeur Georges Carpentier est la vedette. Mais aussi "soldate" aux Bouffes-Parisiens dans la troupe de Rip.

 

Parallèlement à ses apparitions sur les planches, son amour de la comédie l'avait guidée au cinéma où elle avait paru dans quelques films de Louis Mercanton, comme "Chérie" (1930) ou "Marions-nous" (1931), Serge Poligny lui avait réservé un rôle dans un court métrage dont le titre paraissait lui convenir à merveille : "Une Brune piquante" (1932), Las, le titre changea et devint "La Femme à barbe", plus commercial - Pauvre Jacqueline!

 

Au total, rien de bien important, hormis le nécessaire apprentissage d'un métier. Sa rencontre en 1931 du "maître" Sacha Guitry, qui l'engage dans sa troupe et lui fait interpréter le rôle d'une excentrique américaine dans "Villa à vendre". Le 21 février 1935, Sacha Guitry, tout juste divorcé d'Yvonne Printemps, épouse Jacqueline qui, depuis son entrée dans la troupe, quatre ans plutôt, lui avait maintes fois donné la réplique sur scène.

 

Au bras de son auguste époux, pendant ces quatre années, elle a remonté et descendu les Champs-Elysées. Sans montrer de trac. Il lui fallait surmonter un terrible handicap : assumer la succession d'Yvonne Printemps. L'harmonie qui émanait d'un couple célèbre et adulé s'était rompue en un couac retentissant. Pour les Parisiens, Jacqueline Delubac fut d'abord l'intruse. D'où venait-elle cette provinciale ? A quoi prétendait-elle ? Elle n'avait pas le gosier de rossignol d'Yvonne, ni ce don de répandre l'euphorie dès l'entrée en scène. De plus, elle allait à contre-courant des stars du temps. La plupart se montraient d'une blondeur excessive, platinées, pulpeuses, belles plantes. Les brunes s'affichaient marmoréennes à la manière de Marcelle Chantal, musclées comme Gina Manès, faussement alanguies à la Marie Bell. Jacqueline Delubac, fière de ce beau nom d'actrice qu'on pourrait piquer sur une portée de notes, jouait les Arlésiennes avec son visage net et frais et sa chevelure aile de corbeau. L'éclat des yeux, l'éclat des dents étaient admirables. Il lui fallait vaincre sa timidité en évitant de trop se blottir contre un Sacha, plus ronronnant que jamais mais dissimulant sa griffe sous la patte de velours.

 

Sa chance, le cinéma la lui apporte. Reniant tout ce qu'il avait dit à son sujet, Sacha Guitry, tout à coup, sacrifie au septième art. "Bonne chance" s'écrie-t'il en 1934, et, en même temps qu'il encense "Pasteur", il prodigue sa fantaisie dans ce film qui a laissé un souvenir ébloui à Alain Resnais. Jacqueline Delubac s'y nomme Marie Muscat, elle sourit et elle écoute - et elle écoute fort bien, tout comme elle sourit.

 

Les émotions les plus diverses se peignent sur sa physionomie, au gré des monologues. Elle opine s'effarouche, joue la moqueuse, la plaintive ou l'énamourée. Quand le dialogue s'anime, elle apprend à rattraper la balle, à la relancer, à déjouer les feintes, à multiplier les esquives, toujours avec ce sourire malicieux aux angles aigues. Elle parle d'une voix un peu mate, un peu courte, qui glisse parfois dans des inflexions chantantes - avec une élocution appliquée - mais franche, dans son désir de bien articuler. Une voix qui finalement reste dans l'oreille parce qu'il y traîne une sourde sensualité.

 

Dix films de l'auteur-acteur, dont six transportent en studio les succès du théâtre de la Madeleine. Deux scénarios originaux : "Bonne chance" et "Le Roman d'un tricheur" (1936), où comme ses camarades, elle doit se contenter de mimer ce que le narrateur détaille. Deux grandes machines, "Les Perles de la couronne" (1937) et "Remontons les Champs-Elysées" (1938). Seul accroc à la liste, "L'Accroche-cœur" (1938), comédie que Sacha abandonne à Pierre Caron. Jovial, vulgaire et mal embouché, le réalisateur choque Jacqueline Delubac, championne de la retenue et de la bonne éducation et lui fait traverser le film avec une nervosité sous-jacente qui ne lui est pas habituelle. Un peu godiche, dans "Le Nouveau Testament" (1936) réalisé par Guitry et Alexandre Ryder, mais le rôle l'exige, elle mène avec habileté son escrime contre la rivale. Avec Sacha Guitry, elle s'épanouit dans "Mon père avait raison" (1936), prompte à doser réserve et gaminerie amoureuse, et communie dans l'allégresse finale qui transforme l'escalade d'un escalier en montée vers le ciel. "Faisons un rêve" (1936), toujours de Guitry, lui permet d'ouvrir l'éventail de ses possibilités : narquoise, charmeuse au premier acte, elle paraît, furtive et émue, à la fin du deuxième, et s'accommode avec grâce de la toilette de nuit, de la chevelure ébouriffée et de la fausse émotion du troisième. Les amants s'enlacent : bonheur pour toute une vie ? Non, délices d'un court moment. Il faut rire et danser, les regrets viendront plus tard... Et qui prétend que Jacqueline pourra quitter Sacha? Dans le frais décor de la maison du général Cambronne, la servante s'active. Sous son madras, on ne voit que le rire de ses yeux. Oiseau des îles, elle soulève la poussière, écoute le madrigal de son maître, fait la révérence et brise les tasses. Avec autant de piquant qu'elle met à proférer le mot de Waterloo. On s'aperçoit alors qu'elle sait jouer la comédie "Le Mot de Cambronne" (1937). 

 

Demi-mondaine, qui voudrait tant devenir mondaine et qui se corsette de belles manières, elle n'en rêve pas moins de très précise façon à son valet de chambre "Désiré" (1937) de Guitry. Elle sait des choses sur lui, et lui s'en doute. Tous deux esquissent les pas de la valse-hésitation. Désiré effleurera à peine une épaule. Odette laissera glisser son écharpe, il y aura une discussion dans le jour qui pointe; la jeune femme murmurera le fameux prénom et restera troublée. Jacqueline Delubac fait passer dans son rôle un peu d'inquiétude, des frémissements, les soupirs qu'on réfrène, le regret de ce qu'on n'éprouvera plus mais aussi l'espoir d'une vie nouvelle qui calmera son ambition. L'actrice adopte un jeu diapré qu'elle assortit à ses toilettes, raffinées elles aussi.

 

"Quadrille" (1938) de Guitry, la transforme en confidente, puis, malgré elle, en rivale de Gaby Morlay. Journaliste malicieuse et équilibrée, elle compte d'abord les points des querelles amoureuses, puis se pique au jeu et entre à son tour dans la danse, elle assaisonne sa gentillesse naturelle d'un grain de gravité. Sans vouloir l'avouer elle souhaite le grand amour et finit par mettre la main dessus, sans s'être brûlée aux petits brasiers que la passion, le dépit, les malentendus ont disposés ça et là. L'actrice combine là encore l'élégance de son jeu à l'élégance de ses robes.

Sacha la quitte en 1938 et, pour cadeau d'adieu, lui offre la séquence de Flora la pythonisse, dans l'épisode Louis XV de "Remontons les Champs-Elysées". Avec son fameux sourire, plus enjôleur que jamais, ses yeux tendres, un ramage aimable, elle prédit la bonne aventure, déjà en exil puisque le maître ne lui a réservé aucun des rôles d'amoureuses qui illuminent le film. Ce n'est plus le temps des "Perles de la couronne" où elle s'octroyait les personnages de Marie Stuart, engoncée dans ses vêtements de deuil, de la languide Joséphine de Beauharnais, et de cette Françoise Martin à qui Raimu passait au cou la dernière perle, dans le salon du paquebot Normandie. Toute une époque où, pour l'épouse de Sacha Guitry, des mots chatoyants composent un art de vivre : grands magasins, salons de thé, palaces, Cannes, Deauville, rue de la Paix, galas à l'Opéra, porto à cinq heures, fume-cigarettes, sac en crocodile, voiture luisante, fourrures, parures, diadèmes et dîners en ville.

 

Flora la pythonisse souffle les flambeaux. Courageusement, Jacqueline Delubac continue son métier d'actrice en recherchant la difficulté. Si "Jeunes filles en détresse" (1939) de G.W. Pabst se contente la parer des atours d'une grande vedette et de lui accorder des scènes de coquetterie, elle effectue dans "Dernière jeunesse" (1939) de Jeff Musso un étonnant rétablissement. Fille perdue, elle rend foule vieil homme qui tente de la sauver. Indifférente, comme tombée d'une autre planète, elle le berne car tel est son bon plaisir. Jacqueline Delubac découvre alors une autre face de son talent comme en témoigne cette critique : "Dans son premier rôle dramatique, elle fait preuve de qualités remarquables, la sobriété de son jeu et sa science de l'attitude font d'ores et déjà d'elle l'une de nos vedettes dramatiques dont on peut attendre le plus !" Si bien qu'on ne lui propose plus que des héroïnes, énigmatiques et perfides. Que ce soit dans "L'Homme qui cherche la vérité" (1940) d'Alexandre Esway, dans "Le Collier de chanvre" (1940) de Léon Mathot ou dans "Fièvres" (1941) de Jean Delannoy. Seul Maurice Tourneur avec "Volpone" lui permet de s'amuser. Face à ces lions dévorants qui s'appellent Harry Baur, Louis Jouvet;, Charles Dullin et Fernand Ledoux, elle dessine craintivement, mais non sans drôlerie, une Colomba, aussi niaise que le veut le rôle, tout effarouchée sous son bonnet à ruches. Quant à "La Comédie du bonheur" (1940) de Marcel L'Herbier, c'est l'adieu fou aux années folles. 

 

A la Libération, elle reparaît dans un médiocre film de Berthomieu "J'ai 17 ans" (1945). Echaudée, elle fuit les studios, n'y revient que pour un film policier et une comédie, l'un et l'autre de Raymond Leboursier "Le Furet" (1949); "La Vie est un jeu" (1950). On ne l'y reprendra plus. Elle n'apparaîtra au théâtre que par intermittence et s'éclipsera discrètement, reine toutefois de l'élégance. Elle surprenait, elle détonnait, elle étonnait : elle a marqué à coup sûr un moment de Paris -et, comme l'aurait dit Sacha - Paris, c'est toute la France. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle devient la compagne d'un propriétaire de mines de diamant, qui l'épouse en 1981.

 

Après avoir tiré un trait définitivement à sa carrière de comédienne en 1951, Jacqueline Delubac commence à se constituer une  remarquable collection de tableaux d'art impressionniste et moderne. En 1983, elle lègue la plus grande partie de sa collection au musée des Beaux-Arts de Lyon. Jacqueline Delubac décède des suites d'un traumatisme crânien le 14 octobre 1997 à Créteil.  Son accident survenu en sortant de la boutique Hermès de la Rue du Faubourg Saint-Honoré, un cycliste la percute de plein fouet, alors qu'elle circulait à pied. Elle avait 90 ans. Je me souviens que dans un des films de Guitry des années 30, celui-ci était en train de procéder à un monologue sur le fait que la comédienne pouvait être renversé en traversant le Boulevard Haussmann !

Extraits de Noir & Blanc de Raymond Chirat et Olivier Barrot

Affiches-ciné * Cinéma français * Cinetom

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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