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CINETOM
1 novembre 2024

ROBERTO ROSSELLINI, CHEF DE FILE DU NÉOREALISME ITALIEN

ROBERTO ROSSELLINI          1906 - 1977

Cinéaste Italien

Pour les historiens du cinéma, Roberto Rossellini reste le "père du néoréalisme". Une définition bien restrictive pour une œuvre aussi riche, marquée par un constant souci de recherche et par le refus de la facilité. Si Rossellini attribuait au cinéma un rôle éducateur fondamental au sein de la société moderne, il n'a jamais cherché pour sa part à faire école. Et pourtant, il sera considéré comme un maître par quelques-uns des cinéastes les plus marquants de notre temps. A commencer par Jean-Luc Godard, il exercera une influence morale considérable sur la plupart des réalisateurs de sa génération, même s'ils n'ont pas partagé ses conceptions artistiques. Tous néanmoins s'accordent à reconnaître, comme Otto Preminger, qui n'a pourtant guère de points communs avec Rossellini que "Rome ville ouverte" (Roma città aperta,1945) marque une date capitale dans l'histoire du cinéma parlant. Ce film "bricolé" allait connaître un succès international au Festival de Cannes 1946 et y remporter le Grand Prix.

Film incontestablement révolutionnaire par sa manière nouvelle d'appréhender la réalité objective, "Rome ville ouverte" n'est cependant pas en totale rupture avec l'œuvre précédente de Rossellini, alors âgé de près de quarante ans. Roberto Rossellini est né le 8 mai 1906 à Rome. Sa famille appartient à la grande bourgeoisie, il tourne ses premiers films d'amateur avec l'argent de ses parents.

Sous la période fasciste déjà, le cinéaste a fait la preuve d'un talent résolument original, affranchi de toute convention et de tout conformisme. Il n'est que de citer une œuvre de commande comme "Un Pilote reviens" (Pilota ritorna,1942), film sans complaisance envers l'idéologie belliciste et remarquable par ses audacieuses ellipses narratives, qui annoncent déjà avec vingt ans d'avance, le "nouveau cinéma" qui va surgir en France, en Angleterre, en Tchécoslovaquie, au Brésil...et même aux Etats-Unis. On retrouve également dans "Le Navire blanc" (La Nave bianca,1941) et  "L'Homme à la croix" (L'Uomo della croce,1943), cette recherche objective de la réalité, ce refus de toute "démonstration" au profit d'un constat dépouillé, si caractéristique de l'art de Roberto Rossellini. "Le Navire blanc", ce premier long métrage de celui qui allait devenir le chef de file du néo-réalisme italien, il avait tourné précédemment  six courts métrages, s'inscrivait dans le cadre des activités de production du Centre cinématographique du Ministère italien de la Marine. A la biennale de Venise de 1941, "Le Navire blanc" obtint la coupe du parti fasciste, distinction qui fut reprochée par la suite à Rossellini.

Aujourd'hui encore, "Rome ville ouverte" frappe par sa modernité incisive, qu'il s'agisse du style, tant sur le plan narratif que dramatique, ou surtout du contenu moral, humain et social. Les thèmes de la guerre, de l'Occupation, de l'Allemand, du partisan y sont évoqués sur un ton nouveau, qui sera qualifié, à partir de "Païsa" (1946), de "néoréaliste". C'est autour de ces thèmes, en effet, que Rossellini va élaborer une nouvelle manière de filmer. Les épreuves traversées par le peuple italien en 1943 et 1944 posent un problème à la fois artistique et moral : il faut trouver une nouvelle manière de regarder et de représenter non par simple goût d'innover, mais pour adapter le langage cinématographique à la gravité douloureuse des sujets abordés; il faut savoir montrer des faits suffisamment poignants par eux-mêmes pour qu'il ne soit pas nécessaire de les travestir et moins encore de les accentuer.    

Bien que des années plus tard, Rossellini rappellera : "Pour moi, le néoréalisme était surtout une position morale, pour voir les choses et pour se voir soi-même. La guerre venait de se terminer; nous nagions en pleine confusion, nous étions humiliés et nous avions peur. Le néoréalisme nous a permis de nous regarder de l'extérieur, sans le moindre artifice. Nous avons ainsi châtié toutes nos prétentions d'auteurs, laissant aux choses toute leur authenticité; à ce prix nous avons pu donner au cinéma une fonction non plus narcissique, mais sociale. Au début peut-être, nous avons agi de la sorte uniquement par instinct. Mais par la suite, peu à peu, nous en avons pris conscience. Renonçant alors à tout le reste, nous n'avons plus aspiré qu'à une chose : la vérité, le document. Sans ornements, sans manipulations."

Cette nouvelle attitude devant la réalité caractérise déjà "Rome ville  ouverte", encore que dans ce film de Rossellini n'ait pas totalement éliminé toute trace de dramaturgie traditionnelle. "Païsa", par contraste, marque le sommet du dépouillement rossellinien : une œuvre maîtresse d'où découleront tous les courants novateurs du cinéma des vingt années suivantes. Rossellini lui-même était conscient d'avoir franchi une étape : "Au fond, dans "Rome ville ouverte", on trouvait encore quelques scories des vieux procédés d'autrefois, une certaine construction, et même la complaisance pour le sensationnel. Il fallait au contraire faire table rase du sensationnalisme. C'est ainsi que naquit "Païsa" est-il en prise sur la vie ? Parce que l'on voit des partisans jetés dans le Pô du bord d'une péniche et que le commentateur dit alors : "Ceci se passait pendant l'hiver 1944. Au début du printemps, la guerre était déjà terminée". Question de date. Trois mois plus tard, ce fait n'aurait plus était vrai. Tout le tragique était là. C'est évident. Une date qui change tout. Où est la vérité. Qu'est-elle ? Ceci. Passions, obéissance, sacrifices, une date peut tout changer, tout annuler. Qu'y a-t-il de plus affreux ?"

L'année suivante, la même quête passionnée mènera Rossellini en Allemagne, dans le Berlin ravagé de l'après-guerre. Au centre d' "Allemagne année zéro" (Germania anno zero,1947), il y a cette fois un enfant, un enfant qui finira par se tuer parce que le monde apocalyptique qui l'entoure n'est plus à son image. Le "sensationnalisme' que Rossellini regrettait d'avoir laissé transparaître encore dans "Rome ville ouverte" est ici impitoyablement éliminé. La cruelle trilogie de la guerre culmine avec une rigueur exemplaire, poussant jusqu'au bout les leçons de "Païsa". 

Alors que chez la plupart des autres réalisateurs italiens, l'inspiration néoréalisme, liée de façon ponctuelle à l'immédiat après-guerre, sera assez vite abandonnée, l'actualité historique ne sera nullement déterminante pour l'œuvre de Rossellini . S'il délaisse les chroniques de la guerre et de l'Occupation, il reste plus que jamais obsédé par les exigences d'un cinéma dépouillé de toute artifice spectaculaire et voué à révéler la vérité profonde des choses et des êtres. Sans renier l'éthique de ses premières œuvres, il se consacre désormais à une série d'études morales axées sur l'étude des individus confrontés à eux-mêmes et à leurs problèmes existentiels fondamentaux.

Cette continuité fondamentale de l'œuvre de Rossellini a bien souvent échappé aux critiques : pour beaucoup, "Allemagne année zéro" marque la fin de l'inspiration créatrice qui a été à l'origine du premier néoréalisme. Et, cependant, jusqu'aux années 60, avant que Rossellini n'entame une seconde carrière à la télévision, ses films offriront le même langage, la même appréhension de la réalité, même si les thèmes, le contexte historique, les personnages sont radicalement différents. Le metteur en scène le précisera d'ailleurs lui-même : "C'était toujours la même démarche : regarder pour comprendre. Dans "Allemagne année zéro" comme dans "Voyage en Italie" (Viaggio in Italia,1953). Dans "Voyage en Italie" comme dans "Europe 51". Évidemment les données de base sont différentes, mais l'effort de compréhension est toujours le même. Il n'y a pas plusieurs manières de transmettre ces données fournies par l'observation objective, si l'on fait entièrement confiance à l'homme. Sans aucun doute, si l'on a pas confiance en l'homme, ce type de démarche n'a plus de sens et il est alors facile de le critiquer. Pour ma part j'ai fois en l'homme. Et surtout j'ai confiance dans son esprit. C'est toujours à son esprit que je me suis adressé dans mes films, pour l'éveiller et le stimuler. Cette communication, cette information représentent, j'insiste là-dessus, la forme la plus honnête de l'éducation. Quant à ceux qui cherchent à favoriser l'action plutôt qu'à solliciter la pensée, ils ne se soucient nullement d'éduquer l'homme ou de l'informer : ils le domestiquent."

A "Allemagne année zéro" fait suite "Amore" (1948), ce qui permet à Anna Magnani d'effectuer une performance éblouissante. Qu'il s'agisse de "La Voix humaine", d'après Jean Cocteau ou du "Miracle", dont le caractère à la fois "visionnaire" et profondément enraciné dans le réel sera plus tard revendiqué comme source d'inspiration par le "cinéma nôvo" brésilien. La même année, c'est "La Machine à tuer les méchants" (La Macchina ammazzacattivi,1952), une étude sarcastique de la vie paysanne, qui constitue l'unique et brillante incursion encore parfaitement aboutie de Rossellini dans le genre comique.

Cette foi en l'homme que Rossellini affirme avec autant de force, on la retrouve dans les films suivants, magnifiée par l'inspiration chrétienne. Une foi profonde, qui exalte la communion des êtres vivants et de la création, transparaît en effet dans "Stromboli" (Stromboli, terra di Dio,1950), l'œuvre qui marque la rencontre du cinéaste et d'Ingrid Bergman, qui deviendra sa femme la même année. Par son sujet, "Stromboli" se rattache encore à la trilogie sur la guerre, puisque l'héroïne en est une réfugiée étrangère qui épouse un pêcheur italien à seule fin d'échapper à l'univers morne des camps d'accueil alliés. Toutefois, le contexte historique et politique s'efface ici au profit de l'itinéraire individuel : celui d'une "personne déplacée", qui trouvera enfin sa place véritable au sein d'un univers sauvage et passionné qui lui est tout d'abord étranger. La solitude désespérée de la jeune femme sur l'îlot brûlé de soleil de Stromboli est décrite avec la même rigueur attentive que l'isolement effrayant de l'enfant d' "Allemagne année zéro" au milieu des ruines de Berlin. Mais pour l'étrangère il s'agit d'une solitude rédemptrice, au terme de laquelle elle trouvera sa voie, tandis qu'aux premiers soubresauts de l'enfant qu'elle porte répondent les convulsions de la nature par l'éruption du volcan.

Les notations psychologiques ont pratiquement disparu dans "Onze fioretti de François d'Assise" (Francesco, giullare di Dio,1950). Le dépouillement presque absolu de la mise en scène nous laisse face à des personnages qui sont plus des âmes que des êtres humains et dont les gestes quotidiens ne sont que le reflet d'une vie intérieure intense.

Ingrid Bergman inspirera encore à Rossellini deux chefs-d'œuvre : "Europe 51" (Europa 51,1951) et "Voyage en Italie". Deux paraboles d'une étonnante modernité, dans lesquelles se reconnaîtra la future "nouvelle vague" française. Là encore sont décrits des individus en crise, face aux problèmes fondamentaux de l'existence. On ne peut qu'être frappé aujourd'hui par ce rôle de précurseur de Rossellini, qui évoque déjà l'incommunicabilité propre au monde moderne et les relations du couple, qui tiendront une place privilégiée dans l'œuvre d'un Antonioni. Le langage néoréaliste, auquel le cinéaste est toujours fidèle, devient un extraordinaire exemple de liberté narrative. Une liberté dont s'inspirera entre autres le cinéaste Jean-Luc Godard. A côté de ces œuvres inoubliables, on trouve aussi des films de circonstance, comme "Ou est la liberté ?" (Dov'è la libertà,1953) avec Toto. Ou encore "La Peur" (La Paura) et "Jeanne au bûcher" (Giovanna d'Arco al rogo), deux demi-échecs de 1954, malgré la présence d'Ingrid Bergman.

A la fin des années 50, Rossellini médite sur son itinéraire avec "India" (1958), un documentaire grave et quasi mystique. Il revient à la construction en épisode de "Païsa", mais le langage néoréaliste et l'attention portée à la réalité atteignent à une sorte de sublimation : le sentiment du sacré naît de l'observation des secrets de la nature. Parmi les admirateurs de Rossellini, ceux qui n'ont vu dans le néoréalisme qu'une école historique et politique sont perplexes. Ils seront encore plus déroutés par "Le Général della Rovere" (Il generale della Rovere,1959) et par "Les Evadés de la nuit" (Era notte a Roma,1960); en revenant à l'époque de la Résistance, Rossellini leur semble avoir cédé aux pièges de la convention. Et pourtant l'inspiration de Rossellini garde la même cohérence, décrivant encore une fois l'itinéraire spirituel qui mène les individus des ténèbres à la lumière de l'égoïsme au rachat et à l'ouverture sur autrui. Il est à noter que c'est en France, parmi les représentants de la nouvelle vague, que le cinéaste trouvera ses meilleurs défenseurs.

Toujours attentif aux problèmes de son temps, Rossellini se passionne pour la révolution du petit écran, qui lui semble répondre à l'une de ses exigences fondamentales : "Etendre la portée des informations." C'est ainsi qu'il passe de la chronique à l'histoire. "Les données de la chronique, explique-t'il, sont encore trop subjectives pour nous permettre de nous auto-analyser sans risque d'erreurs. Alors même que nous cherchons à nous identifier, nous sommes encore trop soumis à nos propres passions pour le faire avec le détachement objectif qui nous permettrait de nous "situer". L'histoire au contraire est là, lucide, distante; elle nous procure les exemples dont nous avons besoin, mais elle ne nous implique que rarement. Par elle, on arrive  la connaissance, sans risque de confusion."

Cette tendance didactique qui a toujours marqué son œuvre, Rossellini va pouvoir l'exprimer pleinement à la télévision. De façon méthodique et quasi encyclopédique, en inventoriant, puis en mettant en ordre toutes les connaissances que nous avons acquises. Cette exploration systématique nous donnera "L'Age du fer" (L'Età del ferro,1964), "La Lutte de l'humanité pour sa survivance" (La Lotta dell'uomo per la sua sopravvivenza,1967), "Les Actes des Apôtres" (Atti degli Apostoli,1968), "Socrate" (1970), "Blaise Pascal" (1971), "Saint-Augustin" (Agostino d'Ippona,1972), "L'Age des Médicis" (L'età di Cosimo,1973), "Descartes" (Cartesius,1974)...La réussite la plus exemplaire reste sans doute "La Prise du pouvoir par Louis XIV" (1966), qui fera date dans les annales de la télévision. Dans toutes ces oeuvres, un même souci : montrer sans démontrer, explorer et surtout donner le désir d'explorer, car, ainsi qu'a dit Comenius "l'enseignement doit être aux hommes ce que les cartes marines sont aux navigateurs.

Cet art de "donner à voir", de rassembler pour le spectateur toutes les données nécessaires à la compréhension de l'image, une image que Rossellini voulait "innocente", primitive, comme si elle devait être vue par l'œil du premier homme, on le percevait déjà dans les derniers films ayant précédé la période de la télévision : "Viva l'Italia ! (1960) et "Vanina Vanini" (1961). Des œuvres sévèrement jugées à l'époque et dont l'originalité a été méconnue par la critique. Cet art on le retrouve enfin poussé jusqu'à son aboutissement, dans "Le Messie"' (Il Messia,1975), le dernier film de Rossellini qui, trente ans après "Païsa", clôt un cycle rigoureusement cohérent.

Dernière œuvre et "somme" de toute une carrière, "Le Messie" marquera le grand retour au plus pur style néoréaliste rossellinien. Roberto Rossellini est mort le 3 juin 1977 à l'âge de 71 ans à Rome, il n'aura pas le temps d'appliquer ses principes dans un autre film. Juste avant sa mort, il usera de son influence pour faire attribuer la palme d'or du Festival de Cannes à "Padre Padrone" des frères Taviani, défendant ainsi jusqu'au bout le cinéma contre les servitudes mercantiles

*Affiches-cine * Cinetom

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