DANIEL GÉLIN, LE SAINT-CHÉRI
DANIEL GELIN 1921 - 2002
Acteur Français
Pour les plus jeunes lecteurs, Daniel Gélin est sans doute et avant tout le médecin taciturne et un peu las de "La Vie est un long fleuve tranquille" (1988) d'Etienne Chatillez qui honore distraitement son infirmière et maîtresse jouée avec feu par Catherine Hiégel. Leurs aînés se souviennent avec le sourire du couple télévisuel qu'il forma longtemps avec Micheline Presle pour la série "Les Saintes Chéries".
D'autres savent qu'il a la main verte et a longtemps prodigué ses conseils de jardinier aux lecteurs d'un grand hebdomadaire. Les plus attentifs ont lu ses recueils de poèmes publiés chez Seghers, ou son autobiographie déjà ancienne, "Deux ou trois vues qui sont les miennes" (1977). Or Daniel Gélin fut peut-être le plus romantique des jeunes premiers révélés à la Libération, au sein d'une marée montante de talents qui comptaient parmi d'autres Gérard Philipe et Yves Montand, Serge Reggiani et Michel Auclair, François Périer et Louis Jourdan. Soixante ans de métier, quelques ralentissements mais pas d'interruption. Gélin, dont le sourire a conservé tout son charme, demeure une figure extrêmement sympathique.
Daniel Gélin est né le 19 mai 1921 à Angers. Après une enfance passé à Saint-Malo, âgé de 17 ans, il décide de devenir comédien. il travaille dans une pêcherie de morues et une fabrique de cordages, avant d'aller tenter sa chance à Paris. Là il parvient à entrer au Cours Simon en 1939 avec l'intention de faire rire. Reçu au concours du Conservatoire, il est élève de Louis Jouvet dont il saura parler avec beaucoup d'intelligence, soulignant à la fois sa volonté de styliser le jeu de l'acteur sans jamais négliger la saveur concrète de l'existence. Jouvet quitte la France en 1941 pour une tournée de cinq ans en Amérique du Sud, Béatrix Dussane reprend son enseignement. Au nombre des condisciples de Gélin, Sophie Desmarets, Maria Casarès, Robert Dhéry, Daniel Ivernel, Jacques Charon. Et comme eux, il apparaît au détour d'un plan dans divers productions de l'Occupation, "Premier rendez-vous" (1941) de Henri Decoin, "Les Cadets de l'océan" (1942) de Jean Dréville, se lie à Paris avec Gérard Philipe et Simone Signoret, Serge Reggiani et Danièle Delorme qu'il épouse en 1946.
C'est l'âge d'or de Saint-Germain-des-Prés, du Flore et du Tabou, du jazz et du cinéma américain. Le visage aigu, la mèche romantique, Gélin commence à se faire remarquer dans des rôles de moins en moins épisodiques : "Un Ami viendra ce soir" (1945) de Raymond Bernard, "Martin Roumagnac" (1946) de Georges Lacombe au cinéma, "Les Parents terribles" de Cocteau, où il reprend le rôle de Jean Marais. Mais François Périer et Serge Reggiani ont bien avant lui accédé au vedettariat, tandis que le quatuor Gélin, Henri Vidal, Franck Villard, Michel Auclair anime les nuits du Silène, un bar de la rue François 1er où se retrouve la génération nouvelle. Dans leur sillage, deux futures étoiles de la mise en scène, Alain Resnais, mais oui, et Roger Vadim.
Heureuse époque que celle, mythique, de la fin des années quarante ! On vit en 1948 Alexandre Astruc entreprendre une version modernisée de "L'Odyssée" avec Boris Vian, François Chalais, Christian Bérard et Yvonne de Bray. Plus sérieusement, Gélin flanque ses amis Vidal et Auclair dans "Le Paradis des pilotes perdus" (1948) de Georges Lampin et connaît la consécration du premier rôle l'année suivante avec "Rendez-vous de juillet" de Jacques Becker. Un vrai succès commercial mais l'échec pour un autre grand film, "La Ronde" (1950) de Max Ophuls. Becker et Ophuls, deux créateurs qui tous deux témoignent leur fidélité à Gélin, vedette pour pour le premier "Edouard et Caroline" (1950) et de "Rue de l'Estrapade" (1952), pour le second du troisième sketch du "Plaisir" (1951). Ces cinq rôles en quatre ans constituent peut-être le sommet de sa jeune carrière. Il y montre à la fois de l'entrain et du charme, de la violence et de la mélancolie. Est-ce à ces vertus qu'il doit l'étiquette d'existentialiste qui lui colle au dos à l'époque ? Du moins les gazettes du temps débordent-elles d'allusions à ses excès en tous genres, à Saint-Germain ou à Saint-Tropez...A noter sa prestation dans le film de Paul Paviot dans "Chicago Digest", l'année suivante, Gélin donne la réplique à Michèle Morgan dans "La Minute de vérité" de Jean Delannoy.
Des "Mains sales" (1951) de Fernand Rivers d'après Sartre, Gélin garde surtout le souvenir de sa confrontation avec un Pierre Brasseur démesuré. De ses jours à Cinecitta pour de petits films inoubliables, ce sont les folles nuits romaines qui lui reviennent en mémoire. C'est alors qu'il touche à la drogue et s'abîme dans une longue dérive, qui affecte sa carrière sans le priver de certains emplois mémorables : Gélin, autant qu'un acteur, est un viveur infatigable. C'est à lui qu'Hitchcock fait appel pour son remake de "L'Homme qui en savait trop" (1956), Daniel Gélin réalise "Les dents longues" (1953) d'après le roman de Jacques Robert. Marcel Camus lui confie un rôle émouvant tout en lyrisme intérieur dans son beau "Mort en fraude", tourné en Indochine en 1957. Il n'était pas ridicule en Bonaparte du "Napoléon" (1954) de Sacha Guitry, il est remarquable de tension et d'inquiétude dans "L'Affaire Maurizius" (1953) de Julien Duvivier.
On le retrouve aussi dans les arabesques sentimentales de Pierre Kast dans "La Morte saison des amours" (1961); "Vacances portugaises" (1963), il figure dans "Le Jour le plus long" (1962) de Zanuck comme "Paris brûle-t'il ?" (1965) de René Clément. Il intéresse, la maturité venue, Marguerite Duras "Détruire dit-elle" (1969) et Louis Malle "Le Souffle au coeur" (1970) et démontre à quel point lui convient la nouvelle sérénité dont il sait faire preuve. Et du coup, les nouveaux metteurs en scène le convoquent, Jacques Fansten pour "Roulez jeunesse !" (1992) où il est épatant en "vieil homme indigne", Alain Berbérian pour "La Cité de la peur" (1993). La carrière de Daniel Gélin a écrit son autobiographie "A bâtons rompus" aux "Editions Le Rocher:Archimbaud" en l'an 2000.
Comment aborder la soixantaine lorsque l'on est un des plus grands acteurs du cinéma français, avec une carrière prestigieuse et bien remplie derrière soi? Daniel Gélin ne s'est sans doute pas posé la question. Il a simplement continuer à travailler, beaucoup et tous azimuts. Sur les planches, il a joué entre autres des pièces d'Anouilh "Le Scénario" (1977), Françoise Dorin "Le Tout pour le tout" - (1978), Sartre "Huis-clos" (1981), Vaclav Havel "Pétition" (1981), Molière "Georges Dandin" (1986) et Jean-Claude Brisville "Le Bonheur à Romorantin" (1997). Il a lui-même mis en scène "Les Petites femmes de Maupassant" en 1993 et "Noix de coco" de Marcel Achard l'année suivante. De la trentaine de téléfilms où il est apparu entre 1977 et 1997, citons parmi les plus remarquables "Ciné-Roman" (1979) de Serge Moati, "Le Crime" (1984) d'après Bernanos, "Condorcet" (1989) de Michel Soutter, "Crimes et jardins" (1991) de Jean-Paul Salomé, "Une Famille formidable" (1994) de Joel Santoni ou "Une Femme d'action" (1996) de Didier Albert.
Devenu une sorte de grand-père idéal, il s'est en effet vu en permanence très demandé par des cinéastes de différentes générations. On retiendra surtout sa savoureuse prestation et la consternation finale du vieux médecin de "La Vie est un long fleuve tranquille", apprenant, incrédule, la vengeance de l'infirmière qu'il avait humiliée. Au rayon des seconds rôles marquants figurent aussi en bonne place le patriarche des "Marmottes" (1993) d'Eli Chouraqui, le père d'Yvan Attal dans "Mauvaise fille" (1991) de Régis Franc, celui de Richard Anconina dans "Itinéraire d'un enfant gâté" (1988) de Claude Lelouch, avec également Jean-Paul Belmondo.
Daniel Gélin a épousé Danièle Delorme en 1946, ils sont les parents du comédien-réalisateur Xavier Gélin, disparu en 1999. Il a publié plusieurs ouvrages, dont deux autobiographies, "Deux ou trois vies qui sont les miennes" en 1977 et "A bâtons rompus" en 2000, et deux recueils de poésie "L'Orage enseveli" en 1981 et "Le Sang de mes songes" en 1996. Féru de jardinage, il prête sa signature à plusieurs guides et y consacre des chroniques, "Mon jardin et moi" en 1985. Sa carrière cinématographique s'achève entre 1996- 1997 avec deux films dont celui de Claude Lelouch "Hommes, femmes, mode d'emploi". Daniel Gélin décède d'une insuffisance rénale le 29 novembre 2002 à Paris, il avait 82 ans.
*Extraits de "Noir & Blanc d'Olivier Barrot et Raymond Chirat -Editions Flammarion
*Affiches-cine * Cinema français * Cinetom
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