MEL BROOKS, LA TRADITION DU GAG CINÉMATOGRAPHIQUE
MEL BROOKS 1926
Cinéaste, Acteur, Producteur, Scénariste Américain
Mel Brooks déclara : "Mes films sont très bien construits. La trame de mes histoires est meilleure que celle de la plupart des films d'aventures que j'ai eu l'occasion de voir. Si l'on ôte de mes films l'élément strictement comique, l'intrigue fonctionne admirablement. Mais les critiques pensent que, puisqu'il s'agit de comédies, celles-ci ne peuvent être que des pots-pourris, des collages de gags sans ligne directrice, sans base, sans signification philosophique ou psychologique. Or mes films sont centrés sur les comportements des êtres humains."
Mel Brooks est assurément l'un des cinéastes les plus drôles qui soient, avec une imagination prodigieuse. Lui seul avait pu avoir l'idée saugrenue de réaliser un film muet en plein dans les années 70, de convaincre la 20th Century-Fox de le financer et de faire la preuve que le silence est d'or. En effet le film, "La Dernière folie de Mel Brooks" (Silent Movie,1976), a encaissé des recettes fabuleuses aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Quant à son sens pour le moins peu ordinaire de l'humour, il s'exprime dans des registres très variés : humour noir avec "Les Producteurs" (The Producers,1967), scatologie avec "Le Shérif est en prison" (Blazing Saddles,1974), stylisation et sophistication avec "Frankenstein Junior" (Young Frankenstein,1974).
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les films de Mel Brooks aient heurté, voir scandalisé une critique américaine volontiers traditionnaliste et conformiste. En revanche, ils ont recueilli le plus grand succès auprès des jeunes que séduisait leur verve paradoxale et iconoclaste.
Mel Brooks est né le 28 juin 1926 à Brooklyn, Melvin Kaminsky reçut l'éducation classique des enfants des quartiers juifs de New York. Dès l'âge de quatorze ans, il adopta le pseudonyme de Brooks en hommage à sa mère, née Brookman et débuta dans la vie en faisant rire les autres : "Tout gosse, j'ai ressenti que faire rire les autres était un bon moyen de me faire aimer. Je pouvais parler plus longtemps et mieux que tous les gosses de mon quartier. Mes blagues me redonnaient confiance."
Après la guerre, à laquelle il a participé dans les Ardennes, il s'associa à Sid Caesar dont il a laissé ce témoignage : "Sid était un comique génial, le plus grand mime et imitateur qui ait jamais existé. Si nous n'avions pas été si semblables et si proches l'un de l'autre, je serais devenu acteur comique dix ans plus tôt." Pendant dix ans, à titre de gagman et de coscénariste, il participe à la série des "Your Show of Shows" de Sid Caesar, se spécialisant dans la parodie de films scandinaves et japonais, et travaillant étroitement avec Woody Allen et Neil Simon. Suivit ensuite une période plus difficile, qui le vit toutefois enregistrer un disque à succès avec Carl Reiner, "The 2,000 Year Old Man", signer le livret d'une comédie musicale mise en scène par Joshua Logan, "All American", et mettre au point une campagne publicitaire pour la bière Ballantine, "The 2,500 Year Old Brewer".
En 1965, il s'est consacré, avec Buck Henry, à une autre série télévisée très populaire dans les années 60, "Get Smart", qui offrait de savoureuses parodies des films d'espionnage. C'est alors qu'il se décida à réaliser un film d'après un roman qu'il avait commencé à écrire et dont il avait déjà envisagé de tirer une pièce, "Springtime for Hitler". Intitulé "Les Producteurs", ce film fut littéralement assassiné par la critique américaine, ce qui ne l'empêcha pas de faire une carrière mémorable en Europe et de recevoir l'Oscar du meilleur scénario. C'est l'histoire d'un producteur de théâtre Max Bialystock (Zero Mostel), et de son assistant Leo Bloom (Gene Wilder), qui imaginent, pour faire fortune, de "couler" délibérément les spectacles que leur commanditent des vieilles dames passionnées de théâtre. Pour ce faire, ils recherchent et découvrent la pièce la plus épouvantable jamais écrite, une comédie musicale à la gloire de Hitler qui sera jouée par une sorte de hippie dans le rôle du Führer...
De cette farce satirique du meilleur humour juif new-yorkais et aussi délirante que le fameux "Hellzapoppin" (1941) de H.C. Potter, Mel Brooks a dit : "C'est sans doute le film où j'ai mis le plus de moi-même. A quinze ans, j'ai travaillé pour un homme qui était le prototype de Bialystock (je ne peux révéler son nom : il risquerait la prison). Il séduisait les vieilles dames pour leur extorquer de l'argent et vivait dans son propre bureau, se nourrissant exclusivement d'un mélange de porridge, de soupe de poulet et de céréales..."
Après "Le Mystère des douze chaises" (The Twelve Chairs,1970), qu'il avait tourné en Yougoslavie d'après le chef-d'œuvre humoristique d'Ilf et Petrov sur les joyaux perdus des tsars, qu'il interprétait lui-même aux côtés de Ron Moody, Frank Langella et Dom DeLuise, mais qui n'eut guère de succès, Mel Brooks retrouva le public qu'il avait conquis avec son premier film.
Il y eut d'abord "Le Shérif est en prison", ébouriffante caricature des mythes de l'Ouest où l'on reconnaissait à nouveau Gene Wilder et Mel Brooks, embarqués dans une extravagante aventure : "C'est un hommage aux westerns dont j'ai été gavé pendant mon enfance, et l'occasion de donner libre cours à mon tempérament rabelaisien et à mon penchant pour l'humour scatologique. J'ai cherché à faire un film dans l'esprit de "Your Show of Shows", en enfermant une bande de forcenés du gag et en n'acceptant de les relâcher que lorsque le script serait au point. Nous nous sommes retrouvés à cinq autour d'un magnétophone, en train de délirer. Nous avons recensé tous les clichés du vieil Ouest et les avons amplifiés jusqu'à la folie. Au départ, il s'agissait d'un film à l'humour plus ou moins ésotérique, destiné aux cinglés du cinéma. La première projection, devant l'état-major du studio, fut un désastre. Chaque gag s'écrasait mollement, dans un silence glacé. Le soir même, on improvisa une seconde projection devant un vrai public, et ce fut le délire."
Pour bon nombre de ses admirateurs, "Frankenstein junior" reste l'œuvre la plus aboutie cinématographiquement de Mel Brooks, et en tout cas celle où sa conception du comique se trouve illustrée de la manière la plus cohérente : "Avant d'entreprendre une comédie, a-t-il un jour expliqué, il faut être bien conscient de ce que le comique doit partir de bases imperturbablement sérieuses. N'essayez pas d'être drôle. Les comédiens eux aussi doivent être graves, que seule la situation soit absurde. Le comique est plus dans l'écriture que dans la performance. Car l'effet comique se déplace comme une balle. Si vous lancez sur une surface trop douve, il n'y a pas de retour, alors que si vous le projetez sur le mur épais de la réalité, il revient en force et plein de vie."
Interprété par Gene Wilder, Peter Boyle, Marty Feldman et Madeline Kahn, ce pastiche du "classique" de James Whale constitue tout aussi bien une manière d'hommage. Le film restitue en effet à la perfection l'univers de l'œuvre originale, notamment grâce à la superbe photographie en noir et blanc de Gerald Hirschfeld, Brooks devait enfin souligner l'importance de sa collaboration avec Gene Wilder qui non seulement interprétait Frankenstein, mais fut aussi le coscénariste du film : "Mon rôle, a précisé Wilder, consista à faire passer certaines formes d'humour plus subtiles tandis que Mel me ramenait sur terre, conscient de l'impact public du film."
Des "Producteurs" à "Frankenstein Junior", en passant par "Le Shérif est en prison", l'œuvre de Mel Brooks porte indéniablement la marque d'une très grande passion pour le monde du spectacle, en dépit de son expression résolument satirique. Et personne n'a témoigné d'autant d'admiration pour la grande tradition cinématographique hollywoodienne que ce cinéaste dans "La Dernière folie de Mel Brooks".
Flanqué de Marty Feldman et Dom DeLuise, Mel Brooks y tenait le rôle d'un cinéaste éthylique qui se met en tête de réaliser un film muet avec quelques-unes des plus grands acteurs de l'époque, en l'occurrence Burt Reynolds, James Caan, Liza Minnelli, Anne Bancroft et Paul Newman, qui se prêtèrent au jeu avec beaucoup d'esprit. Par un effet comique suprême, le seul à prononcer une parole (un"non" bien senti) était le mime Marcel Marceau. Peu avare d'explications, Mel Brooks a raconté pourquoi il avait fait ce film paradoxal et parfaitement réussi : "J'ai compris, il y a quelque temps, que c'étaient les clowns - Keaton et Chaplin - qui me faisaient le plus rire et me procuraient le plus de plaisir. J'ai voulu voir s'il m'était possible de recréer cela dans un film. Le plus dur a été de ne pas loucher et de garder la langue rentrée. Cette fois, je suis le héros et je dois donner au rôle une dimension, un sérieux et une certaine force... le trio que je constitue avec Marty Feldman et Dom DeLuise est une référence aux grands "teams" comiques : Les Ritz Brothers, Les Marx Brothers. Nous avons emprunté quelque chose à tous les numéros de frères auxquels vous pouvez penser, y compris les Trois Stooges, qui étaient peut-être l'équipe la plus drôle jamais vue sur un écran. Il y aussi un peu des frères Karamazov. Et, à un moment, des Dolly Sisters, mais je préfère ne pas en parler..."
Après la réussite de "La Dernière folie de Mel Brooks", l'ancien compère de Sid Caesar et de Buck Henry a connu un certain ralentissement d'inspiration, et ses derniers films ont témoigné d'une légère régression formelle. Dans "Le Grand frisson" (High Anxiety,1977) qui se voulait une parodie des films de Hitchcock, on a pas retrouvé la veine de "Frankenstein Junior". Quant à "La Folle histoire du monde" (History of the World - Part One,1981), Mel Brooks passa deux ans à écrire le scénario et bénéficia d'un budget, important pour l'époque, de 22 millions de dollars. Toutefois, ce pastiche fut assez mal reçu, car l'engouement du public pour ce type de films était retombé. A noter la réalisation de "To be or not to be" (1984) de Alan Johnson, on indiquera que les scénaristes ont dépoussiéré certains aspects du scénario original de Lubitsch. En 1991, Mel Brooks réalise "Chienne de vie" (Life Stinks) en utilisant essentiellement des décors naturels, le film est un échec Les deux derniers longs métrages qu'a tourné Mel Brooks n'ont pas réussi à dépasser par leur originalité, ceux tournés entre 1967 et 1976 : "Sacré Robin des Bois" (Robin Hood : Men in Tights,1993) et "Dracula, mort et heureux de l'être" (Dracula: Dead and Loving it,1995).