DÉCÈS D'UN IMMENSE ACTEUR INTERNATIONAL, MICHEL PICCOLI
Michel Piccoli est l'égal de Marcello Mastroianni, il aura tourné avec les plus grands metteurs en scène du monde entier comme Mastroianni. Peu de comédiens peuvent prétendre à une telle filmographie mise à part Gérard Depardieu, Catherine Deneuve et Isabelle Huppert, sans oublier l'une des plus grandes actrices françaises aujourd'hui disparue Jeanne Moreau.
DÉCÈS D'UN IMMENSE ACTEUR INTERNATIONAL
MICHEL PICCOLI 1925 - 2020
AFP, publié le lundi 18 mai 2020 à 14h31
Compagnon de route de Claude Sautet et de Luis Buñuel, Michel Piccoli, décédé à l'âge de 94 ans, était un des monstres sacrés du cinéma français, avec des films qui ont marqué leur époque comme "Le Mépris", "Les Choses de la vie" ou "La Grande Bouffe".
Grand, brun, sourcils broussailleux et voix qui tonne ou ensorcelle, ce personnage complexe disait "se régaler à jouer l'extravagance ou les délires les plus troubles".
Renoir, Resnais, Demy, Melville, Bunuel, Godard, Varda et Hitchcock: Michel Piccoli a tourné avec chacun d'eux, mais n'a cessé de s'engager avec de jeunes auteurs avant de se lancer lui-même dans la réalisation, à 70 ans.
"Peu m'importe (...) de faire des choses non commerciales, dangereuses", déclarait-il aux Cahiers du cinéma. "Je préfère les prototypes aux séries."
"Prototype" par excellence, "Le Mépris" de Jean-Luc Godard (1963) avec Brigitte Bardot, le révèle au grand public. Dans cette chronique du désamour, il joue un scénariste, chapeau vissé sur la tête "pour faire comme Dean Martin".
Il tourne ensuite plus de 150 films, incarnant même un pape mélancolique qui rêve de se fondre dans l'anonymat des rues de Rome, dans "Habemus Papam" de Nanni Moretti (2011). Un de ses derniers grands rôles, qui aurait pu lui valoir un prix d'interprétation à Cannes.
Un personnage qui était, selon lui, "un homme qui, avant tout, a un grand sens de la dignité de sa tâche et non pas de sa gloire".
- Rejet de la bourgeoisie -
Né le 27 décembre 1925 à Paris, il dira de ses parents, "musiciens sans passion", qu'ils lui ont "servi de contre-modèle". Cette famille qu'il a décrite "égoïste, raciste et franchouillarde" a probablement pesé dans son rejet de la bourgeoisie.
Très vite, il prend des cours de théâtre et débute au cinéma dans "Le Point du jour" de Louis Daquin. Parallèlement, il commence sur les planches, notamment avec la compagnie Renaud-Barrault.
En 1945, à la Libération, il a 20 ans. L'époque lui donne sa chance. A Saint-Germain-des-Prés, il fait des rencontres: Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Juliette Gréco - qu'il épousera en 1966 -, des réalisateurs dont Luis Buñuel.
Question d'époque aussi, il devient compagnon de route du Parti communiste. Un engagement à gauche qu'il gardera sans jamais s'encarter, affichant parfois son soutien (à François Mitterrand en 1981, à Ségolène Royal en 2007).
Remarqué pour la première fois au cinéma avec "Le Doulos" de Jean-Pierre Melville (1962), il devient célèbre l'année suivante avec "Le Mépris". Il tourne ensuite énormément, fait la navette entre la France et l'Italie et étreint à l'écran nombre d'actrices: Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et Romy Schneider.
Il devient aussi un des acteurs fétiches de Buñuel ("Le journal d'une femme de chambre", "Belle de jour", "Le charme discret de la bourgeoisie") chez qui il incarne des personnages troubles, puis de Claude Sautet dans les années 70 ("Les choses de la vie", "Max et les ferrailleurs", "Vincent, François, Paul... et les autres"), qui fait presque de lui une incarnation des Trente glorieuses.
Il brise ensuite son image de séducteur au front dégarni et se jette dans des rôles aux profils débridés, dont celui d'homosexuel suicidaire dans "La Grande Bouffe" de Marco Ferreri (1973), qui fit scandale sur la Croisette par ses scènes orgiaques et scatophiles. Son refus du plan de carrière, son côté "anti-star" l'amènent à tourner également des films d'auteur sous la direction de Leos Carax, Jean-Claude Brisseau, Jacques Doillon.
En 1990, il campe avec gourmandise un personnage de grand bourgeois fantasque dans "Milou en mai" de Louis Malle, avant de devenir le peintre intransigeant de "La Belle Noiseuse" de Rivette (1991), aux côtés d'Emmanuelle Béart. Le film lui vaudra sa quatrième nomination aux César, mais il ne remportera jamais de statuette.
A la télévision, il a joué "Don Juan ou le Festin de pierre" de Marcel Bluwal en 1965, qui attira 12 millions de téléspectateurs.
Au théâtre, il a été dirigé par les plus grands, Peter Brook, Patrice Chéreau, Luc Bondy... "Si je pense à tous ces monstres que j'ai interprétés, tous ces abysses dégoûtants qui font peur, dira-t-il, je crois que c'est pour moi une façon de dire mes secrets."
Très discret sur sa vie privée, Piccoli, qui s'est marié trois fois - il est mort aux côtés de sa dernière épouse, la scénariste Ludivine Clerc - lèvera un coin du voile, à 90 ans, dans un livre d'entretiens avec son ami Gilles Jacob ("J'ai vécu dans mes rêves"). Il y confiait notamment son angoisse de ne plus pouvoir travailler: "On voudrait que ça ne s'arrête jamais et cela va s'arrêter".
Il est difficile de donner une biographie complète, tant celle-ci est riche d'évènements de tournages, de rencontres d'acteurs mais aussi de cinéastes de première grandeur mais aussi de jeunes cinéastes prometteurs, dans le cinéma français ainsi que de différentes nationalités.
Michel Piccoli accomplit depuis plus de soixante ans un remarquable parcours cinématographique. Un sublime dosage d'élégance et d'humour, son jeu lui a valu une popularité bien méritée. Il a tourné en moyenne trois films par an, parfois bien plus..., mais il lui fallut attendre les années 60 et le début de la decennie suivante pour connaître enfin la consécration internationale grâce à sa collaboration avec quelques uns des plus grands cinéastes européens.
Si je devais énumérer quelques uns des films qui m'auront le plus marqué, je citerai sans hésitation : "Les Choses de la vie de Claude Sautet"," Le Mépris" de Jean-Luc Godard, Belle de jour de Luis Bunuel, "le charme discret de la bourgeoisie de Bunel, et "Vincent, François, Paul et les autres" également de Claude Sautet.
Acteur français né à Paris le 27 décembre 1925, de parents italiens, il est le fils d'une famille de musiciens (père violoniste, mère pianiste). Études au collège d'Annel, à l'École Alsacienne et au Collège Sainte-Barbe à Paris. Il vit son enfance entre la capitale et la Corrèze. Il décide de devenir comédien au lendemain de la guerre en faisant de la figuration dans "Sortilèges" (1945) de Christian-Jaque. Après plusieurs rôles au cinéma, il débute en 1948 au théâtre en jouant "Le Matériel Humain". Dès lors il partagera sa carrière entre le cinéma et le théâtre. La télévision lui offre au début des années 1960 plusieurs compositions qui marquent profondément sa carrière : "Les Joueurs"; "Montserrat"; "Egmont"; "Hauteclaire"; "Don Juan".
Entre 1949 à 1962, Michel Piccoli entama différents rôles non négligeable aussi petits soient-ils, étant donné la qualité de certains de ces films, tels que "Le Point du jour" (1949) de Louis Daquin, "Sans laisser d'adresse" (1949) de Jean-Paul le Chanois avec Bernard Blier, "Rafles sur la ville" (1953) de Pierre Chenal avec Charles Vanel, "Marie-Antoinette" (1954) de Jean Delannoy avec Michèle Morgan, "French Cancan" (1955) de Jean Renoir avec Jean Gabin, "Les Mauvaises rencontres" (1955) d'Alexandre Astruc, pour lequel, il interprète un inspecteur de police, "La Mort en ce jardin" (1956) de Luis Bunuel avec Charles Vanel, Georges Marchal, Simone Signoret.
Michel Piccoli emboîte le pas et enchaîne les tournages, comme "Les Sorcières de Salem" (1957) de Raymond Rouleau avec Yves Montand et Simone Signoret, "Le Rendez-vous" (1961) de Jean Delannoy, un film culte "Le Doulos" (1962) de Jean-Pierre Melville avec Jean-Paul Belmondo et Serge Reggiani, puis avec René Clément, à nouveau avec Simone Signoret "Le Jour et l'heure".
Sa rencontre avec Luis Buñuel marque le début d'une longue complicité. Ils tourneront ensemble six films dont "Le Journal d'une femme de chambre" (1963) aux côtés de Jeanne Moreau, puis en 1967 "Belle de Jour" avec Catherine Deneuve. Depuis plusieurs années, Piccoli avait amorçé une remise en question de sa propre image, certes confortable mais dangereuse pour un acteur digne de ce nom. Cette amorce de reconversion était déjà patente dans "Le Mépris", qu'il tourna en 1963 sous la direction de Jean-Luc Godard, d'après une adaptation du roman d’Alberto Moravia. Dans le rôle de l'ecrivain engagé par un producteur mégalomane, il fait montre d'une fragilité intérieure loin de sa superbe habituelle de bourreau des coeurs. Sa solitude ne procède pas en effet de la froideur d'âme de l'homme convaincu de sa supériorité, mais d'une prise de conscience douloureuse de sa situation : tandis qu'il prostitue son talent, il est l'objet du mépris de sa femme. Son attirance taciturne contrastait avec sa sociabilité coutumière, une des raisons de sa popularité. A noterla magnifique musique de Georges Delerue qui ne fait qu'accentuer la gravité de la situation.
Jean-Louis Bory, disparu tragiquement disait : : « Le véritable Et Dieu... créa la femme, c'est Godard qui l'a tourné, et cela s'appelle Le Mépris. Je ne cherche pas à démêler — et peu m'importe — si Godard a respecté ou non le roman de Moravia, ou si Losey eût fabriqué un film plus moravien que Godard. Le Mépris que nous voyons, c'est du pur Godard, et, je m'empresse de le dire, de l'excellent Godard. Le prétexte, l'objet du film, plus que le roman italien, c'est BB. Ce que Vadim a imaginé dans son premier film, mais n'a plus été capable de réaliser, ce que Louis Malle a raté dans Vie privée, Godard l'a réussi. Le Mépris est le film de Bardot, parce qu'il est le film de la femme telle que Godard la conçoit et telle que Bardot l'incarne. Si le phénomène Bardot doit représenter plus tard quelque chose dans l'histoire du cinéma, au même titre que Garbo ou Dietrich, c'est dans Le Mépris qu'on le trouvera. Je ne sais dans quelles conditions le tournage a eu lieu ni si Bardot et Godard se sont bien entendus. Le résultat est là : il y a rarement eu entente aussi profonde (consciente ou non — consciente, je suppose, chez Godard) entre une actrice et son metteur en scène. »
Cette volonté d'échapper au stéréotype s'exprime aussi, grâce à Bunuel dont il partagea l'amitié, dans son film suivant, "Le journal d'une femme de chambre". Le grand bourgeois de province tyrannisé par sa femme frigide qui suit l'accorte Célestine (Jeanne Moreau) d'un oeil concupiscent n'a plus rien du séducteur. Dans un autre registre, on oubliera pas non plus, sa performance dans le rôle du minable fonctionnaire de "Compartiments tueurs" (1965) de Costa-Gavras : le cheveux rare et graisseux, l'oeil lubrique, il réussit à être tout à la fois ignoble et pathétique. Suivront "Les Créatures" (1965) d'Agnès Varda, "La Curée" (1965) de Roger Vadim avec Jane Fonda, "La Voleuse" (1966) de Jean Chapot, sur des dialogues de Marguerite Duras, ce film permettra à Michel Piccoli,de partager pour la première fois la vedette avec Romy Schneider. Le film fut un echec critique et commercial en dépit de l'interprétation des acteurs.
Après un passage dans l'univers de René Clément pour le besoin du film "Paris brûle t'il?" (1966) aux côtés de quelques uns des plus prestigieux du cinéma international : Kirk Douglas, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Simone Signoret, Yves Montand, Claude Rich, Orson Welles, Charles Boyer, Gert Froebe, Glenn Ford, Anthony Perkins... Piccoli complète l'affiche du film "La Guerre est finie" (1966) d'Alain Resnais, sur un scénario de Jorge Semprun. Le film obtint le Prix Louis Delluc, malgrès la censure, ainsi que le tournage suspendue pendant une dizaine de jours, le film est une réussite..... Cette même année, Piccoli joua dans "Les Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy, une brillante distribution : Catherine Deneuve, Françoise Dorléac, Jacques Perrin, Danielle Darrieux, George Chakiris et Gene Kell, sur une musique de Michel Legrand.En 1967, ce fût le film de Costa-Gavras, "Un Homme de trop", d'après le roman de Jean-Pierre Chabrol, qui s'inspire d'un fait authentique qui se passa en 1943 dans les Cévennes. Film sur la résistance, film d'hommes avec une distribution exclusivement masculine. Bruno Cremer, Jacques Perrin, François Périer, Jean-Claude Brialy, Gérard Blain, Claude Brasseur, Michel Creton et Charles Vanel.
"Belle de Jour" (1967) de Luis Bunuel obtint le Lion d'or à Venise 1967, mêlant volontairement réalité, souvenirs et rêves éveillés, Bunuel nous introduit dans l'univers mental de Séverine, pour se livrer à une étude clinique du masochisme, lié pourlui aux valeurs chrétiennes comme à la société bourgeoise. Il retrouve Catherine Deneuve dans un film rempli de grâces, beauté des imagesn des décors et costumes, légèreté de la réalisation de "Benjamin ou les mémoires d'un puceau" (1967) du cinéaste Michel Deville, Benjamin est interprété par Pierre Clémenti. Après une excusion dans l'oeuvre d'Alfred Hichcock, en 1968 dans "L'Etau" (Topaz), le cinéaste avait besoin d'engager quelques uns de nos plus grands acteurs, fit appel à Michel Piccoli et Philippe Noiret pour donner la réplique à John Forsythe et Frederick Stafford.
Piccoli est désormais une valeur sûre du cinéma. Alors qu'il pourrait sans inquiétude se contenter d'accepter des rôles classiques de Don Juan moderne, il remet soudain tout en question en acceptant de tourner avec Marco Ferreri "Dillinger est mort" (1968). Parfaite composition de l'acteur, ce film doit une grande part de sa réussite à l'inquiétante présence de Piccoli, solitaire et silencieux, il erre dans les pièces de son appartement, caresse les images qu'un projecteur dessine sur le mur, prépare une salade et démonte son vieux revolver. Par son jeu très concentré, Michel Piccoli confère à cette erraance muette une dimension quasi métaphysique. Le spectacteur ressent de façon presque palpable le divorce douloureux d'un homme pris entre ses aspirations spirituelles et le poids oppressant du monde matériel représenté par les objets qui l'environne.
Un autre film, un autre cinéaste d'exception, Claude Sautet réalise "Les Choses de la vie" (1968) avec Piccoli et Romy Schneider. Il renoue avec son image de séduisant quadragénaire, il garde ses distances en pimentant son interprétation d'une touche de malice. Le roman de Paul Guimard avait été un énorme succès, le film connut le même sort, tout en conservant soigneusement l'esprit du livre. Le film fut récompensé par le Prix Louis Delluc. Une des scènes les plus célèbres du film fut l'accident, qui constitue le point central de l'histoire, on ne peut oublier la séquence de la roue qui "glisse" lentement en traversant la route....
Claude Sautet,Michel Piccoli et Romy Schneider ont eu l'ingéniosité de tourner à nouveau ensemble, en 1971 dans "Max et les ferrailleurs" (1970),Piccoli est magnifique dans son rôle de policier névrosé, sa faiblesse, c'est la prostituée Lily (Romy Schneider). Sautet inaugure ce qui pourrait être appelé le "cycle des prénoms", avec "César et Rosalie", "Vincent, François, Paul et les autres" et "Mado". "Pour moi,précisa le réalisateur, le prénom c'est la première identité des personnages, il m'inspire. Parfois, au lieu de travailler sur le scénario, nous passons des jours entiers à chercher un prénom. A un moment donné, arrive un prénom qui chante et on voit le personnage s'épaissir à travers lui." (Unifrance, novembre 1974.) Sautet dirigea à nouveau, le couple de cinéma Piccoli-Schneider dans "Mado" (1976) avec un moindre rôle pour l'immense actrice, qu'était Romy .
En 1971, Piccoli tourne avec Marco Ferreri dans "L'Audience" le cinéaste s'exprima : " Je suis athée, je ne crois pas aux valeurs supra-existantes à l'homme. La seule façon de changer lEglise c'est de la détruire (..). Je ne crois pas au dialogue avec l'Église (.). C'est un pouvoir bien vieux, qui n'a plus grand chose à dire, mais qui reste Pune des forces les plus conservatrices et répressives d'Europe (...). L'audience" est l'analyse d'un pouvoir qui est en train de se défaire, mais qui est encore dangereux (..). C'est un film sur les structures dune institution spirituelle et bureaucratique (Marco Ferreri,Positif" n° 137, avril 1972).
Suivront la même année, deux films avec le tandem Piccoli, Marlène Jobert dans "La Poudre d'escampette" (1971) de Philippe de Broca, le film eut pour décor le Maroc au lieu de la Lybie, prévue initialement. , puis "La Décade prodigieuse" de Claude Chabrol. Claude Chabrol désirait adapter l'oeuvre d'Ellery Queen, qu'il adorait, avec Orson Welles, qu'il estimait indispensable à la réussite du film. Catherine Deneuve fût pressentie mais ne fut pas disponible pour interprétrer le rôle d'Hélène.
Après une excursion dans l'oeuvre de Ferreri, c'est à nouveau Luis Bunuel sur les feux de la rampe avec une de ses plus belles oeuvres "Le Charme discret dela bourgeoisie" (1972) avec Stéphane Audran, Bulle Ogier,Michel Piccoli, Delphine Seyrig, Jean-Pierre Cassel, Paul Frankeur, pour ne citer qu'eux...Lors de la sortie du film, Buñuel déclara: "J'y ai travaillé pendant deux ans et demi. Pas tout le temps bien sûr, mais assez pour en faire quatre versions avant celle-ci définitive", mais il précisa aussi "Pour ce film, j'ai eu beaucoup de facilités. J'avais devant moi une petite télévision reliée à la caméra, je pouvais contrôler sur l'écran tout ce qui se passait et être à la fois metteur en scène et cameraman. Au début, je me sentais davantage cameraman et je m'intéressais plus à la composition qu'à l'action. Ensuite, j'ai "rectifié" et j'ai rendu ces deux métiers compatibles. J'aimerais tourner dans les mêmes conditions si je fais un autre film. " (in "le Monde", 14 septembre 1972).
Michel Piccoli tournera alors dans des œuvres qu'il aura au préalable longuement étudiées, entre autres,un film avec son ami Jacques Brel "Le Far West" (1973), il enchaîne successivement des rôles decomposition, avec Marco Ferreri "Touche pas à la femme blanche" (1974). Avec Luis Garcia Berlanga, "Grandeur nature" (1974) , le cinéaste afficha ses propres convictions " La plus grande liberté sexuelle, la libéralisation dans la perversion (..). Pour moi, l'homme le plus libre du monde est le fétichiste total (..), c'est-à-dire propriétaire absolu d'une passion qui ne demande pas de réponse, qui ne soumet à aucune contrainte (..). L'absence de rapports dialectiques dans la passion fétichiste, l'impossibilité pour l'objet de la passion de se défendre donne au fétichiste la faculté de disponibilité la plus grande, donc la faculté de jouissance la plus absolue... "
(L. G. Berlanga).
Répondant à Michel Drucker qui l'interrogeait pour " Première " (n° 4), Michel Piccoli déclarait: " Il y a beaucoup d'acteurs qui ont un peu honte d'être acteurs. Je m'amuse beaucoup à être acteur et ainsi je suis disponible pour faire des pitreries. Si je pouvais arriver à être vraiment clown, je serais très heureux. J'ai joué tellement de personnages que j'appelle " intellichiants ", c'est-à-dire sévères, pesants, responsables, dignes, que maintenant j'ai envie de jouer les extravertis qui se dévergondent. Je crois à la démesure, on peut faire rire et aussi montrer l'extrême tendresse ou la grossièreté de nos agissements".
Cette même année, Michel Piccoli retrouve Luis Bunuel dans "Le Fantôme de la liberté" a 72 ans, le cinéaste conçut son avant dernier film comme une suite de séquences avortées où chaque embryon de récit se dissout dans le dérisoire, le non-sens ou la pirouette insolente. Mais c'est aussi les retrouvailles avec Romy Schneider dans "Le Trio infernal" (1974), d'après l'ouvrage de Solange Fasquelle, ce film est inspiré d'un fait divers réel, Georges Sarret joué par Piccoli fut condamné et guillotiné le 10 avril 1934 à cinq heures du matin.Le principe du film, selon Francis Girod : "Je place trois monstres dans un bocal. Et je les observe. À intervalles réguliers, je jette un victime dans le bocal et regarde comment elle se fait dévorer. Mes trois monstres ne peuvent venir à bout de la dernière victime. Elle est "indigeste"...
L'acteur devient le représentant de cette analyse romanesque, centrée sur les hommes, d'entre quarante et cinquante ans élaboré par Claude Sautet dans "Vincent, François, Paul et les autres" (1974) et qu'il approfondira dans "Mado". Ce fut le quatrième film de la collaboration entre Sautet et Piccoli. Cette histoire est tiré du roman "La Grande Marrade" de Claude Néron, sur un scénario de Jean-Loup Dabadie, aux côtés de Michel Piccoli, Yves Montand, Serge Reggiani, Gérard Depardieu, Marie Dubois, Stéphane Audran...
En 1975, Jean-Louis Bunuel, fils du grand réalisateur espagnol tourna "Léonor" dans le château de Caceres en Estramadure. Piccoli était entouré de de deux grandes actrices, "Ornella Muti mais aussi, celle qui fut l'éloge d'Ingmar Bergman, Liv Ullmann. En 1975, dans la revue "Écran", Guy Braucourt écrit : "Michel Piccoli est surgi de la rencontre en 1963, d'un corps célèbre (Bardot), d'un monde (Lang), d'une paire de lunettes fumées (Godard)-et d'un chapeau dans une baignoire en hommage, à Minelli et à Dean Martin. Michel Piccoli,Gérard Depardieu, Jane Birkin, Marina Vlady, Charles Vanel et Michel Auclair sont les interprètes du film de Jacques Rouffio "Sept morts sur ordonnance" (1975) inspiré d'un fait réel.
La nouvelle génération d'acteurs entoure Michel Piccoli dans "Les Enfants gâtés" (1977) de Bertrand Tavernier, autour de lui, on peut voir Christine Pascal, mais aussi la troupe du Splendid : Christian Clavier, Michel Blanc, Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot mais aussi Isabelle Huppert, Daniel Toscan du Plantier, Martin Lamotte...1978, il tourne successivement avec Francis Girod "L'état sauvage" avec Jacques Dutronc, Marie-Christine Barrault et Claude Brasseur, (le producteur Raoul Lévy avait acheté les droits d'adaptation du roman, Prix Goncourt 1964, pour un film que devait réaliser Clouzot. La mort de Lévy fit avorter le projet Lorsque Conchon racheta les droits de son oeuvre, il proposa à Francis Girod de la mettre en scène) puis avec Jacques Rouffio, "Le Sucre" aux côtés de Gérard Depardieu et Jean Carmet. C'est encore des événements réels survenus en 1974 des rumeurs de pénurie de sucre avaient alors déclenché une folle spéculation - qui fournirent à l'écrivain la trame de ce scénario dont Jean-Louis Bory écrivit dans "Le Nouvel Observateur" : "Je ne comprends rien aux magouilles de spéculation boursière sur n'importe quoi en général et sur les matières premières en particulier. Conchon-Rouffio démontent le mécanisme, c'est limpide."
A ce stade d'une carrière au cours de laquelle, il a tant de fois prouvé sa capacité à incarner les personnages les plus divers, Michel Piccoli, loin de se reposer sur des lauriers bien mérités et de gérer tranquillement sa réputation de grand comédien, s'ingénie à prendre pari sur pari en se jouant des risques de son métier avec une évidente jubilation. C'est d'abord le risque de déplaire au public, en multipliant les rôles antipathiques ou équivoques. Ceux de père aux tentations incestueuses "La Fille prodigue" ou tyranniques "La Puritaine"; de patron de choc anti-syndicaliste "PASSION" ou homosexuel "Une Etrange affaire"; de mari brutal "Une Chambre en ville" ou jaloux "Péril en la demeure"; d'espion à la solde des Russes "Espion lève-toi"; de manipulateur sadique "Que les gros salaires lèvent le doigt !" ou dangereusement démagogue "Le Prix du danger"; sans oublier "Le Paltoquet", archétype de ces personnages de meneur de jeux absurdes et dangereux dans lesquels excelle un comédien que, par ailleurs, ni ridicule, ni laideur, ni quelque infirmité ne font reculer.
C'est aussi le risque de participer au premier ou au second film de cinéastes débutants : "La Diagonale du fou" où il est un champion d'échecs vieillissant et contesté par son jeune challenger; "Mauvais sang" où il se soumet totalement à la volonté d'un cinéaste démiurge de 24 ans, Leos Carax. Ou celui de se lancer dans la folle aventure égyptienne et, "d'Adieu Bonaparte" ou celle encore du "Général de l'armée morte"," film dont il écrivit l'adaptation avant de le produire lui-même et d'en confier la réalisation - par modestie sans doute - à un novice a ce poste, le grand chef opérateur Luciano Tovoli. Michel Piccoli a reçu un Prix d'interprétation masculine, à Cannes en 1980, pour son rôle du juge sexuellement désaxé du "Saut dans la vide". C'est là, peut-être la rançon de l'indépendance et de l'audace d'un comédien à qui, un jour, Claude Sautet a dit : "Tu as raison de faire tous ces films fous. Ce sont tes soupapes de sûreté. " Et qui juge lui-même que : "les personnages raisonnables sont les plus ennuyeux, les plus anodins." (Cinématographe, N°124, Novembre 1986).
C'est en 1997 que Michel Piccoli mène à bien l'aventure de son premier long métrage en tant que réalisateur, "Alors voilà", après s'être exercé trois ans plus tôt à la faveur d'un court métrage, "Train de nuit", qu'il interprétait en compagnie de Dominique Blanc. Ce passage à la réalisation couronne une décennie pleine, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. De la variété de ses prestations à l'écran ressortent le rôle-titre du joyeux "Milou en mai" de Louis Malle, le peintre tourmenté de "La Belle Noiseuse" de Rivette, sélectionné à Cannes en 1991, et du dandy séducteur de "Party" du maître portugais Oliveira.
Sans oublier l'étrange Georges Didier, directeur d'une mystérieuse société de psychanalyse dans "Généalogies d'un crime" de Ruiz et, encore plus étonnant, le patriarche de L'ÉMIGRÉ de Chahine. Mais d'autres films, moins illustres, lui ont également donné l'occasion d'exprimer différentes facettes de son talent multiforme, que ce soit le chirurgien cynique de "MALADIE D'AMOUR",
Mais d'autres films, moins illustres, lui ont également donné l'occasion d'exprimer différentes facettes de son talent multiforme, que ce soit le chirurgien cynique de "Maladie d'amour" (1987), le sombre Kassar de "L'Homme voilé"(1987) ou le poète inverti des "Équilibristes" (1992), délibérément inspiré de Jean Genet. Tour à tour farfelu ou fermé, extravagant ou inquiétant, Piccoli ne cesse d'être cet éternel comédien de tempérament et prend peu à peu une stature de monstre sacré de l'écran européen. Tant et si bien qu'il est intronisé officiellement président de l'association "Premier siècle du cinéma" en 1995 et personnifie à lui tout seul le septième art centenaire dans "Les Cent-et-une nuits" (1995) d'Agnès Varda, à travers le personnage délirant de Simon Cinéma. Mais l'acteur échappe en réalité à toute " institutionnalisation " et fonctionne au gré de ses envies : "J'aime bien dérailler. J'aime bien prendre les chemins de traverse pour pouvoir revenir ensuite sur la grand-route ", confie-t-il ainsi au magazine Studio (n° 15, juin 1988).
À cette disponibilité répond son attention au jeune cinéma, à la comédienne Christine Citti pour "Rupures(s) " ou au cinéaste-écrivain Guillaume Nicloux qui lui donne le rôle principal de son téléfilm, "La vie crevée", une audacieuse production de la chaîne Arte, tournée sans scénario et en seulement 70 plans. Il arrive également à l'acteur d'accepter des rôles dans des courts métrages, tel l'excellent "Bête de scène" de Bernard Nissille en 1994. Ce film prend comme cadre les coulisses d'une représentation du "Conte d'hiver" de Shakespeare, que Piccoli a effectivement interprété, en 1988, sous la direction de Luc Bondy aux Amandiers. La même année il avait joué "Le retour au désert" de Bernard-Marie Koltès mis en scène de Patrice Chéreau, qu'il devait aussi retrouver alors pour un enregistrement télévisé de "La fausse suivante" de Marivaux.
Parmi ses nombreuses autres apparitions sur les planches, on peut citer, en 1997, "La maladie de la mort" de Marguerite Duras, mis en scène par Bob Wilson. À la télévision, Piccoli se fait plus rare, mais on le voit entre autres en 1989 dans "Les grandes familles" de Maurice Druon version Édouard Molinaro et en 1994 dans "La confusion des sentiments" adapté de Stefan Zweig par Étienne Périer. Souvent engagé politiquement, Piccoli s'est également investi, en 1990, dans l'opération lancée par Amnesty international, "Écrire contre l'oubli", dont il a réalisé l'un des films courts. En 1989, il a fait l'objet d'une biographie, signée Robert Chazal, aux éditions France-Empire : "Michel Piccoli le provocateur".
Pour Piccoli, pas question de changer une formule qui marche. Le nouveau siècle est à l’image du précédent, un riche voyage d’univers en univers. Il prête sa voix à l’un des personnages du film d’animation de Jacques Rémy Gireird "La Prophétie des grenouilles", tourne chez Claude Miller "La Petite Lili", (2003), Otar Iosseliani "Jardins en automne", 2006), Jane Birkin "Boxes", (2007) ou Hiner Saleem "Les Toîts de Paris", (2007), sans quitter Manoel de Oliveira "Je rentre à la maison", 2001, "Bellle toujours", 2006) ni Raoul Ruiz "Ce-jour là",( 2003). Piccoli réalise également deux nouveaux longs métrages : "La plage noire" en 2001 et "C’es pas tout à fait la vie dont j'avais rêvé" en 2005. A suivre