TINO ROSSI, AU PAYS DU SOLEIL DE CORSE
TINO ROSSI 1907 - 1983
Chanteur, Comédien Français
Riez, sourions : Constantin Rossi, de tous les noms sans doute celui qui renvoie le plus naturellement au mythe. Hexagonal donc modeste, certes, encore qu'il ne faille pas oublier que son île de Beauté natale lui octroyait aussi les faveurs espagnoles, sud-africaines voire latino-américaines.
De tout le temps qui fut le sien, Tino demeura inexplicable à une bonne part de ses contemporains, qui s'étonnèrent pendant un demi-siècle qu'une telle "absence" tout simplement - par opposition à la présence - qu'un tel néant puisse engendrer une telle idolâtrie. La voix emmiellée du chanteur, la fadeur immobile de l'acteur en exaspérèrent plus d'un.
Mais que sont ces réserves devant la popularité de l'artiste, exceptionnelle par son étendu comme par sa durée? Quelle légitimité dans le recul que nous prenons puisque tous un jour, de De Gaulle à Jean-Christophe Averty, de Georges Brassens à Jack Lang, rendirent hommage au Corse le plus célèbre, à un concitoyen près? Il serait au demeurant à la fois injuste et imbécile de contester à Tino les raisons mêmes de son succès : on n'est pas si longtemps l'idole des foules pour rien, et sans talent. Ce chantre à la voix de la romance sans texte eut sans doute la chance de voir sa carrière se développer en même temps que les techniques d'enregistrement et de diffusion du son, mais il savait lui aussi parler aux français.
Constantino, dit Tino Rossi est né le 29 avril 1907 à Ajaccio (Corse), d'un père tailleur. Il était le septième de huit enfants. Il fut d'abord employé chez un avoué, puis comme changeur au Casino d'Ajaccio. Le souhait de son père, est de le voir débuter en tant que chanteur à la Scala de Milan. Il débuta dans les music-halls et au Grand Hôtel d'Ajaccio.
En 1927, il effectue son service militaire à Menton. Rentré en Corse, il préfère s'installer à Aix-en-Provence, espérant se faire engager au Casino. C'est alors que dans un concours de chant, il remporte un triomphe avec "Reviens, veux-tu". Un imprésario corse, "Petit Louis", l'engage et le fait chanter dans les villages, pour des fêtes et des concerts. Motivé, il se rend en 1932 à Marseille où il réussit à se faire engager à l'Alcazar pour jouer de petits rôles dans des revues. Mais il enregistre également un disque à ses frais en montant à Paris : son premier disque commercial sort en décembre mais reste un échec commercial. Déçu, il rentre à Marseille où "Petit-Louis" lui obtient un gala avec Raimu, Maurice Chevalier et Mistinguett. Puis il part en tournée de Marseille à Paris, avec Damia et les duettistes Gilles et Julien. Comme ses disques se vendent toujours mal, les duettistes lui obtiennent un engagement à l'ABC, où il remporte un petit succès avec "Le tango de Marilou".
En 1934, Henri Varna l'engage au Casino de Paris dans sa revue "Parade de France" qui est un triomphe grâce aux chansons de Vincent Scotto. Sa vie même ne signale pas aucun fait saillant, et n'offre donc aucun intérêt. Enfance à Ajaccio d'un fils de simple tailleur, chasseur alpin à Menton, premières tournées dans le Midi au début des années trente, premier disque, deux berceuses corses - en 1932 l'Alcazar de Marseille -(comme indiqué ci-dessus), la montée à Paris, le passage chez Columbia, la maison de disques de Lucienne Boyer, Pills et Talbet, Damia, Jean Sablon, Georges Thill, les débuts parisiens à l'ABC, en 1934, la rencontre avec Vincent Scotto et Marcel Pagnol, le triomphe au cinéma à partir de "Marinella" de Pierre Caron en 1936...
Car on ne se contenta pas de voir Tino mener des revues et effectuer des tournées à succès en France et dans le monde, un sort qui, au fond, aurait semblé enviable à bien des confrères à lui : "Les parfums bon marché de l'île de Beauté, Tahiti à l'Uniprix, Verlaine et Chopin adaptés à l'usage des auditeurs dominicaux. Tino distribuait cette marine et ne se croyait pas pour cela aussi grand que Napoléon", rappelait "L'Ecran français (14 janvier 1947). La modestie, déjà. Or sous la conduite de ses imprésarios Audiffred et Félix Marouani, il allait à son tour tâter du cinéma et devenir lui, mieux que Réda Caire ou Charles Trénet, une valeur authentique sinon une vedette telle que fut Chevalier.
Il faut concéder que les moyens de l'acteur étaient des plus discrets, et qu'il avait notamment le plus grand mal à demeurer plus d'un instant sous l'oeil de la caméra : le ton est faux, la gestuelle empruntée, le naturel absent, "l'embonpoint des ténorinos qui craignent les rhumes et des mains dont son propriétaire ne sait que faire une fois qu'il les a suffisamment pressées sur son coeur" (id.) Il avait figuré dès 1934 dans "L'Affaire Coquelet" de Jean Gourguet, "La Cinquième empreinte" (1934) de Karl Anton et "Les Nuits moscovites" (1935) de Alexis Granowski où il poussait déjà la chansonnette napolitaine. Troubadour dans "Ademaï au Moyen Age" (1935) de Jean de Marguenat, pêcheur corse dans "Au son des guitares" (1936) de Pierre-Jean Ducis, ces années de lustre le voient exercer au cinéma la profession de chanteur quand ce n'est pas interpréter son propre rôle, depuis "Marinella" (1936) de Pierre Caron jusqu'à "L'Ane de Zigliara" (1970) de Jean Canolle. Productions quelconques, encore que "Naples au baiser de feu", en 1937, reflétât un peu l'oeil vif du metteur en scène Augusto Genina, qui flanquait Tino Rossi de Michel Simon, Viviane Romance, Dalio et de Mireille Balin, alors l'exquise et inexplicable maîtresse officielle du chanteur. Ce film de Genina le révèle au grand public. Hollywood lui propose "Balalaika" qu'il refuse au dernier moment, malgré un accueil délirant à New York et au Canada. De retour à Paris, il tourne chaque année un ou deux films faits sur mesure par des réalisateurs sans grande personnalité. Seul son ami Marcel Pagnol lui offrira un rôle inattendu celui de Franz Schubert dans "La Belle Meunière" (1948). Il s'est déjà marié deux fois quand il rencontre en 1942 sa troisième femme : l'actrice Lilia Vetti dont il aura un fils, Laurent Rossi, né en 1948, mort en 2015, lui-même chanteur. Dès lors, Tino Rossi mène conjointement une grande carrière de chanteur de variétés et d'opérettes telles que : "Tout Paris chante" de Henri Varna (1941-42), "Méditerranée" (1956) de Francis Lopez, "Naples au baiser de feu" (1958) de Vincent Scotto et Henri Varna, "Le Tempes des guitares" (1965) et "Le Marchand de soleil" (1969). A noter sa prestation dans "Le Chant de l'exilé" (1943) de André Hugon, film prétexte pour Tino Rossi.
Tino change d'ambition pendant les années quarante. On ne se satisfait plus de l'entendre couler dans le miel de sa voix les calanques de la Méditerranée et les escapades au crépusculle. Avec ce merveilleux sens du kitsh que le cinéma sait distiller, on verra Jacques Prévert écrire pour lui "Le Soleil a toujours raison" (1941) de Pierre Billon. Delannoy en faire un religieux à la voix rédemptrice "Fièvres" (1941), Pagnol lui confier le rôle de Schubert dans "La Belle Meunière", Sacha Guitry, coutumier du fait, le transformer en gondolier de Louis XIV pour les besoins de "Si Versailles m'était conté" (1953).
Bien sûr, ce palmarès est quelque peu étique, et Tino le savait bien : "J'ai tourné des films qui ne sont pas bons, j'en suis tout à fait d'accord. Mais j'ai comme excuse que mes films ne dépendaient pas que de moi. Il y a tellement de producteurs qui m'engagent en pensant "de toutes manières, il fera de l'argent" et qui, en partant de ce principe, sont partisans du moindre effort artistique", avouait-il à Jean-Charles Tacchella "L'Ecran français, 14 octobre 1947". La modestie, toujours même si l'on est en droit de discuter cette conception du métier d'interprète. Et c'est encore au nom de cette modestie appuyée par un vrai bon sens que Tino renonce aux prolongements cinématographiques de son métier de crooner, à la fin de la décennie. Couvert d'honneurs, sa gloire intacte, il est mort sincèrement pleuré par des milliers d'inconditionnels. L'interprète de "Marinella" et "Petit Papa Noël" est mort le 26 septembre 1983 à l'âge de 76 ans.
Extraits de "Noir & Blanc - Olivier Barrot - Raymond Chirat Editions Flammarion
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