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CINETOM
29 septembre 2019

GEORG WILHELM PABST OU CELUI QUI RÉALISA LOULOU

           G.W PABST                        1894 - 1957

           Cinéaste Allemand 

 

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De tous les grands réalisateurs allemand, Georg Wilhelm Pabst est un des plus méconnus. A la différence de Fritz Lang, il n'émigra pas à Hollywood et fut vivement critiqué pour être resté en Allemagne sous le régime nazi. Pourtant, en six ans seulement Pabst avait su renouveler toutes les conventions et tous les styles du cinéma mondial. La variété de ses films à quelque chose de stupéfiant : cela va du symbolisme exotique de "Loulou" (Die Büschse der Pandora,1929) au réalisme brut de "La Tragédie de la mine" (Kameradschaft,1931), des arabesques visuelles de "Mystère d'une âme" (Geheimnisse einer Seele,1926) à la dénonciation de la guerre dans "Quatre de l'infanterie" (Westfront 1918,1930).

Georg Wilhelm Pabst était né le 27 août 1885 à Raudnitz en Bohême, il est le pur produit de l'empire austro-hongrois. Ses parents le poussaient à devenir ingénieur, alors qu'il n'aspirait qu'à la carrière d'acteur. Après ses débuts sur les planches dès 1905 dans des théâtres suisses, il passa quatre ans à New York, jouant dans les théâtres de langue allemande, et revint en Europe à la veille de la Première Guerre mondiale pour se retrouver interné en France en tant que "citoyen ennemi". Il s'installa à Vienne après l'Armistice et reprit sa carrière de comédien aux côtés de la populaire actrice Elisabeth Bergner. Puis Pabst fut l'assistant du réalisateur Carl Froelich, l'un des pionniers du cinéma allemand, qui le fit également jouer et lui permit d'écrire quelques scénarios.

En 1923, Pabst s'estima prêt pour se lancer dans la réalisation. Son premier film, "Le Trésor" (Der Schatz,1923), ne permit guère de se faire une idée précise du talent de son auteur. Mais "La Rue sans joie" (Die Freudlose Gasse,1925) allait le placer d'un seul coup au premier rang des cinéastes allemands. L'ambiance sordide et lugubre de ce film évoquant la misère et l'exploitation des laissés pour compte dans une Vienne à peine sortie de la guerre remuèrent le public allemand comme si le cinéaste avait touché une plaie encore à vif, alors que les oeuvres baroques et fantastiques de Fritz Lang le laissaient plutôt froid. Mais Pabst allait bientôt démontrer que même dans le domaine de l'imagination pure il pouvait réaliser, si nécessaire, avec Lang et Murnau. "Les Mystères d'une âme" ou "Le Cas du professeur Mathias" raconte l'histoire d'un malheureux docteur qui sombre dans la folie. Lorsqu'il parle au psychiatre de ses cauchemars quotidiens, rêve et réalité ordinaire se mêlent au point que la séquence finale, située pourtant dans un décor bucolique, dégage une impression de claustrophobie et de profond malaise.

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Journaliste soviétique alors installé à Paris, Ilya Ehrenbourg écrivit à l'époque un roman condamnant aussi bien les communistes extrémistes que la décadence bourgeoise. Lorsque la maison de production UFA confia l'adaptation à Pabst, elle lui intima, en vain, l'ordre de gommer les aspects trop crus du roman. Dans "L'Amour de Jeanne Ney" (Die Liebe der Jeanne Ney,1927), Pabst et son opérateur Fritz Arno Wagner surent rendre l'atmosphère lourde et convulsive d'un monde en plein mutation en utilisant la caméra comme un observateur impassible de l'amour brûlant de Jeanne Ney pour le jeune agent communiste Andrea dans le chaos engendré par la guerre civile qui fait rage en Crimée. Le soucis obsédant de Pabst pour la vérité culmine dans la scène de l'orgie, pour laquelle il engagea cent vingt anciens officiers tsaristes. La petite histoire dit que les Russes se présentèrent en uniforme, encaissèrent leur cachet de douze marks, puis se jetèrent sur les bouteilles de vodka et sur les figurantes. Pendant ce temps, la caméra filmait la scène. 

On n'a pas vraiment apprécié à sa juste valeur l'acuité du regard de Pabst sur la réalité sociale. Même dans un film dans l'ensemble insignifiant comme "Crise" (Abwege,1928), il parvient à rendre l'atmosphère décadente de l'après-guerre par la seule description d'un microcosme : une boîte de nuit où une femme riche vient de tuer son ennui et ses peines de coeur. Par la suite, le cabaret deviendra pour Pabst le symbole réccurent de l'aliénation : celle de l'individu prisonnier de son narcissisme. Il suffit de penser au cabaret de "La Rue sans joie" et à la scène des bambocheurs dans "Loulou", où Pabst présenta pour la première fois au public européen la fulgurante beauté de l'actrice américaine Louise Brooks. Il existait une réelle communauté de vues entre le cinéaste et Frank Wedekind, auteur du drame d'où a été tiré "Loulou" et contempteur féroce de la bourgeoisie : tous deux, à des années de distance, portèrent le même regard froid de chirurgien sur les plaies purulentes d'une société corrompue.

Louise Brooks resta en Allemagne pour jouer dans le film suivant de Pabst, "Trois pages dans un journal" ou "Journal d'une fille perdue" (Das Tagebuch einer Verlorenen,1929). Fille d'un pharmacien, Thymiane, trop belle et trop vivante, succombe à la première tentation. Après avoir accouché d'un enfant mort-né, elle est enfermée dans une maison de correction dirigée par une matrone sadique, assistée d'un sinistre individu aux sourires aussi mielleux qu'inquiétants. Thymiane et une amie profitent d'une révolte pour s'enfuir, mais aboutissent rapidement dans un lupanar de luxe, dont Thymiane finira par sortir pour une meilleure condition. Pabst associe de nouveau l'insouciance de la jeunesse et de la beauté à la crudité d'un univers suffocant et glauque, comme il fera plus tard dans "L'Opéra de quat'sous" (Die Dreigroschen oper,1931). On se souviendra de la danse de Thymiane avec un client du bordel, plus scandaleuse que toutes les étreintes de corps nus que le cinéma a pu montrer au cours de ces dernières années.

Par une coïncidence curieuse, deux des films les plus importants sur la Première Guerre mondiale "A l'Ouest rien de nouveau" de Lewis Milestone et "Quatre de l'infanterie" de Pabst sortirent l'un et l'autre en 1930. Avec ce film, Pabst fit sa première tentative, pas totalement réussie d'ailleurs dans le parlant; mais il avait déjà travaillé, en fait, avec le réalisateur Arnold Fanck  à la postsynchronisation du film "Prisonniers de la montagne" devenu "L'Enfer blanc" (Die weisse Hölle vom Piz Palü,1929), dont l'héroïne était Leni Riefenstahl. "Quatre de l'infanterie" met en scène, comme l'indique son titre français, quatre soldats originaires de régions et de milieux sociaux différents, qui se retrouvent sur le front. La caméra en perpétuel mouvement de Pabst les suit dans les tranchées avec un calme et une lucidité qui semblent répondre aux préceptes de "la nouvelle objectivité", le courant artistique allemand des années 20. La veille même de présentation du film au public, le réalisateur décida d'ajouter au mot "fin" un énorme point d'interrogation. Les nazis mirent le film à l'index en avril 1933, deux mois après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Moins de quatre mois plus tard, la censure interdit aussi "L'Opéra de quat'sous", sorti en 1931 et qui avait permis à Pabst, délaissant pour une fois le réalisme, de s'abandonner un temps au romantisme noir. 

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Si "L'Opéra de quat'sous" reste bien l'oeuvre de Brecht et du compositeur Kurt Weil, Pabst en fit un chef-d'oeuvre personnel par sa direction des acteurs et sa maîtrise à rendre l'atmosphère vénéneuse de Soho, le quartier général des gangsters et des prostituées. Outre les superbes morceaux d'anthologie de la cérémonie nuptiale et du cortège des mendiants, "L'Opéra de quat'sous" est remarquable par la performance de ses acteurs, notamment Rudolf Forster, plein de morgue et d'élégance dans le rôle de Mackie Messer, et Carola Neher, alanguie et railleuse Molly. Dans la version française, Florelle, Albert Préjean, Gaston Modot et Margo Lion furent également excellents.

Pabst atteignit l'apogée de sa carrière avec "La Tragédie de la mine", coproduction franco-allemande racontant l'histoire d'une catastrophe dans une mine de charbon et exaltant le courage des hommes qui arrachent les victimes à la mort, en faisant fi des frontières et des différences de langues. Le réalisme du film, digne d'un documentaire, compense heureusement son sentimentalisme et son idéalisme un peu naïf.

Le film s'inspirait du désastre de Courrières, survenu en 1906, pendant lequel des mineurs allemands s'étaient portés au secours de leurs camarades français prisonniers des galeries situées près de la frontière. Mais les scénaristes Ladislaus Vajda, Karl Otten et Peter Martin Lampel situèrent audacieusement l'histoire en 1919, donc au début d'un après-guerre marqué par un climat de profonde rancoeur entre la France et l'Allemagne. Surmontant les réticences des dirigeants de la mine, les ouvriers organisent les secours. Le slogan final du film, "Ouvriers, nous sommes unis contre les deux ennemis communs : la guerre et le gaz !", ne fut guère du goût de Goebbels, responsable de la propagande nazie. Pabst tourna encore une film en Allemagne, avant de quitter le pays à la suite de l'arrivée des nazis en pouvoir. Il s'agit de "L'Atlantide" (Die Herrin von Atlantis,1932) adapté du roman de Pierre Benoit, qui avait déjà fait l'objet d'une adaptation célèbre, due à Jacques Feyder, onze ans plus tôt. Mais l'histoire mythique de la puissante souveraine Antinéa et de son royaume au milieu des sables n'inspira guère le cinéaste allemand, qui signa en l'occurence un bon travail d'artisan.

En quittant son pays, Pabst donna l'impression d'y avoir laissé talent et inspiration. En 1933, il tourna deux films en France, "Don Quichotte" et "De haut en bas" ; l'année suivante, ce fut aux Etats-Unis "Un Héros moderne" (A Modern Hero), avec Richard Barthelmess et Jean Muir, un échec complet. Le projet d'un film sur Faust n'eut pas de suite. Il réalisa encore trois films en France, moins brillants que les précédents films allemands sauf à la rigueur : "Mademoiselle Docteur" (1936), avant de prendre une décision qui fit beaucoup de bruit. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, Pabst avait annoncé qu'il allait émigrer aux Etats-Unis. En fait, il tourna tout à coup les talons, passa la frontière entre la Suisse et l'Autriche en rentra en Allemagne, où il resta tout le temps du conflit. En 1938, quand Goebbels lui avait proposé de travailler pour le IIIe Reich, en lui promettant carte blanche, Pabst avait refusé sans la moindre hésitation. Un an plus tard, à cinquante ans passés, peut-être le cinéaste se sentit-il trop vieux pour se lancer dans une nouvelle aventure. Peut-être craignait-il aussi que les nazis ne se vengent de leur déconvenue sur son fils, qui devait d'ailleurs être horriblement brûlé au cours du siège de Stalingrad. Entre 1941 et 1944, il réalisa trois films, dont l'assez beau "Paracelsus" (1943).

Pabst poursuivit sa carrière après la guerre, réalisant cinq films en deux ans alors qu'il était âgé de près de soixante-dix ans. "La Fin d'Hitler" (Der Letzte Akt,1955) raconte les derniers jours du dictateur dans un style assez puissant, qui mêle le grotesque au lyrisme wagnérien. Mais tous les films de Pabst postérieurs à la guerre dégagent une impression de lassitude. Le réalisateur est peut-être trop âgé pour s'adapter à la nouvelle façon de concevoir le cinéma, et son engagement politique de jeunesse avait été remis en cause, voire balayé par le choix malheureux qu'il avait fait à la veille de la guerre. Il cessa de tourner en 1956 et meurt presque oublié, le 29 mai 1967 à Vienne en Autriche.

                                                1925

 

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Louise Brooks | Die Büchse der Pandora (Loulou,1929) 

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                 Quatre de l'infanterie -  1930         

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                              Le Drame de Shanghaï - 1938 -

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                                                     1955

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