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CINETOM
8 février 2019

ODETTE JOYEUX, CHIFFON, DOUCE, ZÉLIE OU SYLVIE

         ODETTE JOYEUX                   1914  -2000

          Comédienne Française

 

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Chiffon, Zélie, Douce et Sylvie : Odette Joyeux n'échappera plus au piège de ces prénoms. Des ombres tenaces l'entourent et la pressent. S'y joignent d'autres adolescentes, têtues et trompeuses : que se passe-t'il derrière les yeux de Marie-Dorée d'Elfy, de Rosine ou de Jeanne de Pincret?

Le sourire de Thérèse de Marsannes n'est pas non plus celui de l'ange de Reims. Ainsi escortée et peut-être accablée, Odette va de son pas léger de danseuse. Son pied fait voler des jonchées de feuilles mortes. Princesse des nostalgies, elle va, ployant les branches, vers des lointains brumeux : un village blotti à l'ombre d'un château à tourelles, une petite ville assoupie que réveille à l'aurore l'école des trompettes de la garnison. Paris silencieux sous la neige, un manoir cerné d'étangs, troué d'oubliettes, Odette Joyeux, elle-même est un sphinx qui voit, qui écoute, qui retient. Qui a beaucoup retenu, et qui s'est racontée, dansant sa variation à l'Opéra dans le ballet "L'Eventail de Jane", tenant sa partie dans le choeur parlé des petites filles d'Intermezzo surveillé par Louis Jouvet. Elle a parlé avec netteté de Pierre Brasseur, revécu l'enfance de Claude : elle a évalué le talent de ses metteurs en scène, retrouvé les rapports entre camarades, évoqué avec simplicité Philippe Agostini. Il n'est que lire ses souvenirs - Côté jardin" ou "Le Beau Monde" - et l'on comprend pourquoi Odette Joyeux s'est retirée du spectacle, pour exorciser ses propres fantômes. Odette Joyeux est née le 5 décembre 1914 à Paris.

Elle a toujours conversé avec des créatures impalpables - Elfy, jeune fille de bonne famille et de parfaite éducation, croit aimer un garçon mais épousera l'autre. Écartant d'une main les toiles d'araignée, elle tâtonnera, dans le grenier du "Baron fantôme" (1942) de Serge de Poligny. Cela sous la Restauration, quand les romans de Walter Scott faisaient frissonner les adolescentes. Sa cousine Sylvie, bien que de notre époque s'éprend du Chasseur Blanc et rêve d'étreintes désincarnées; éperdu, son père peuple le domaine de suaires, de chaînes et de cagoules. En soulevant l'une d'elle, l'enfant découvre l'amour, et le doux Chasseur qui promenait sa transparence dans la chambre virginale n'a plus qu'à se confondre avec la lumière d'une étoile "Sylvie et le fantôme" (1945) de Claude Autant-Lara. Qui nous dit que Mlle Porey-Cave n'a pas été émue par la triste vie et la mort lamentable de Rémy Bonvent? Et qu'après son riche mariage, elle ne fredonnera pas la complainte du Prisonnier de la tour - qui s'est tué ce matin - Grand-mère?...Mais a-t'elle du vraiment du chagrin cette petite demoiselle propre, bien peignée, qui touche du piano et songe qu'au-delà des barreaux de la prison dirigée par son père, il existe des salons flamboyants et des parcs immenses? Marie-Dorée gardera ses secrets et écoutera, indifférente, la partition du "Lit à colonnes" (1942) de Roland Tual.   

Quant à Thérèse de Marsannes "Pour une nuit d'amour" (1946) de Edmond T. Greville, elle aura à se débattre avec deux larves, qui, dans ses cauchemars, viendront lui tirer les pieds. A moins que dans l'au-delà l'amant immolé et le soupirant sacrifié soient encore émus par l'ovale du visage, la malice du regard, le nez qui se fonce, la bouche prometteuse, le buste fait au tour et les doigts effilés. Thérèse pourra alors reposer en paix sur l'épaule de son noble époux. Énergique Thérèse. Aussi forte, aussi déterminée, que les jeunes personnes qu'on aurait tort de prendre pour des automates de boîtes à musique. Chiffon qui se prénomme Corysande, Zélie Fontaine et Douce de Bonafé vivent. Un sang généreux coule dans leurs veines et leur coeur est prompt à battre pour les meilleures causes. Comme d'ailleurs celui de Mlle de Pincret "Echec au roy" (1943) de Jean-Paul Paulin. 

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Cette écervelée lucide ferait bien sauter son bonnet par-dessus les murs de l'austère maison où règne Mme de Maitenon. Elle ressuscite la Fronde et présage la nuit du 4 août. A l'heure du roi Soleil, elle veut avant tout sentir contre ses lèvres la blonde moustache du vicomte d'Haussy, Chiffon, Douce et Zélie partageront plus tard ce même combat en troublant l'eau limpide des époques heureuses. Chiffon qui trottine menu sur les pavés de la province se regimbe contre n'importe quel corset "Le Mariage de Chiffon" (1941) de Claude Autant-Lara. Elle veut sa liberté, dure à conquérir. Mais qui ne s'inclinerait devant ses élans, ses larmes sa voix qui se brise, et sa palpitation d'oiseau qui se heurte à la cage ? Ses gracieuses impertinences ont pourtant le dernier mort, tandis que Douce succombe.

Son sacrifice est prématuré. L'enfant élevée dans les principes supporte mal la vulgarité d'une chambre d'hôtel, les promiscuités, l'hommage maladroit du beau régisseur. Les flammes qui vont la dévorer valent mieux que la prison de velours dont les portes claquent définitivement, enfermant dans leur détresse les parents intransigeants et dans sa servilité le personnel. Odette Joyeux a paré "Douce" (1943) (de Claude Autant-Lara) d'un chatoiement continuel. Toutes les nuances d'un rôle complexe sont indiquées. "Jamais dit-elle, je ne m'identifierai aussi profondément à un personnage." Et c'est en effet sa création la plus émouvante et la plus achevée. Car Zélie Fontaine, maîtresse de poste au Second Empire, n'est après tout qu'une héroïne d'opérette "Lettres d'amour" (1942) de Autant-Lara. Cette entreprenante personne n'admet pas les castes : elle est de la Boutique, or les trop nantis appartiennent à la Société. Tout un petit monde s'agite, échange des lettres compromettantes, entraîné par le violon diabolique du maître de danse. Zélie, crinière au vent, apprend avec ses adversaires le quadrille des lanciers, mais c'est sur un pas de polka qu'elle donne son consentement à celui par qui le scandale est arrivé. Offenbach n'est pas loin et Napoléon III, effilant sa moustache, ne joue pas les potiches mais les dei ex machina.

Il ne restait plus à Odette qu'à représenter la grisette fin de siècle de "La Ronde" (1950) de Max Ophüls. Mutine, bien sûr, délicate, créée pour enfouir son museau dans une touffe de violettes. Ce rôle est un adieu. Sortie de "La Ronde", Odette Joyeux fait la révérence et s'éclipse sur une valse. Elle a joué au théâtre souvent et bien. Elle devait rire, c'est certain, en se rappelant ses joues rondes dans "Lac aux dames" (1934) de Marc Allégret ou la coiffe bretonne qu'elle portait dans "La Glu" (1937) de Jean Choux ou son nez maculé du charbon de "Grisou" (1936) de Maurice de Canonge. Et elle a frôlé aussi du Cammage "Une Femme qui se partage" (1937) et du Pujol "Trois artilleurs au pensionnat" (1937) et du Robert Péguy "Notre-Dame de la Mouise" (1940). Fumées que dissipe d'un geste dégoûté la Cécilia de ' "Entrée des Artistes" (1938) de Marc Allégret. Cécilia, l'étincellante, qui laisse dériver ses amours orgueilleuses entre des décors de théâtre, élabore sa vengeance à la façon d'un mélodrame et se tue avec une fiole de poison qui n'est plus qu'un accessoire. Cécilia rit, pleure, marivaude, masque son désespoir sous le persiflage et brise les verres de cristal, ravagée de dépit. Cécilia, à la mode de l'immédiate avant-guerre, tend sa main à Douce de Bonafé. Qu'importent après cela les petites histoires de Gilles Grangier "Leçon de conduite" (1945) ou de René le Hénaff "Scandale" (1947). Odette Joyeux, portant haut le panache de son flambeau, illuminera toujours le cinéma des années noires. En 1994, elle écrira ses mémoires sous le titre "Entrée d'une artiste", mariée au comédien Pierre Brasseur en 1935, mère du comédien Claude Brasseur en 1935, elle épouse en secondes noces le réalisateur Philippe Agostini en 1958. Sa mort survenue le 26 août 2000 d'une attaque cérébrale, elle avait 85 ans.  

 

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*Certains textes sont de  Olivier Barrot & Raymond Chirat : Noir&Blanc Editions Flammarion

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