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CINETOM
27 octobre 2018

QUEL GRAND CINÉASTE QUE FUT JACQUES BECKER

               JACQUES BECKER          1906 - 1960

         Cinéaste Français

 

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De Jacques Becker, on croit avoir tout dit en parlant de perfectionnisme, de rigueur artisanale, d'équiliibre et de mesure "à la française". Français, il l'était en effet par tous ses pores, français comme la rose de Fontenelle et la bande à Bonnot", dira Jean-Luc Godard. Ses films, même les plus légers (je songe à "Falbalas" à "Edouard et Caroline", à "Touchez pas au grisbi", ne prennent pas une ride : chaque génération nouvelle de cinéphiles en découvre l'élégance et la clarté, techniques et narratives. Mais Becker s'est haussé à deux ou trois reprises au-dessus de cette urbanité de grand seigneur, en créant des personnages mieux que pittoresques : emportés par le souffle de la tragédie. Ce fut "Casque d'or", film qui s'ouvre sur le chaud soleil des guinguettes et se ferme sur le petit matin blême de l'échafaud; "Montparnasse 19", drame de l'artiste confronté aux promiscuités de la vie; et enfin "Le Trou", film "policier" d'un dépouillement admirable. Dans ces oeuvres, Becker s'égale à son maître Renoir, dont il fut longtemps assistant, et aux modèles américains qu'il admirait tant, Howard Hawks et King Vidor.

Becker était un outre l'un des rares cinéastes capables de se peindre à travers des "doubles" aussi divers que Goupi-Monsieur, Antoine l'ouvrirer, Edouard le pianiste, Manda l'apache au coeur pur, Max le menteur, Riton et Arsène Lupin. Il filmait à la première personne, tout en contant à la troisième. Démarche exemplaire. La Nouvelle Vague lui doit tout. Claude Beylie

Jacques Becker est né le 15 septembre 1906 à Paris, dans une famille bourgeoise. Ce fils d'un riche industriel parisien passait ses vacances en famille, tous les ans, à Marlotte. C'est ainsi que la famille Becker et la famille Renoir firent connaissance, et que, le moment venu, M. Becker père fut amené à recommander à Jean Renoir ce fils qui avait fait de bonnes études, mais n'était pas trop fixé sur son avenir et souhaitait alors "faire du cinéma". Pour faire plaisir à un ami, Renoir engagea le fils, et l'utilisa pour la première fois dans "Le Bled" (1929). Puis, après une interruption consacrée à divers besognes, Jacques Becker retrouva Renoir en 1932 et devint son assistant pour "La Nuit du carrefour", rôle qu'il assura, pendant près de six ans, pour "Boudu sauvé des eaux" (1932), "Chotard et Cie" (1933), "Madame Bovary" (1934), "La Vie est à nous" (1936), "Une partie de campagne" (1936), "Les Bas-Fonds" (1936), "La Grande Illusion" (1937) et "La Marseillaise" (1937). De temps à autre, Renoir s'amusait à confier à son assistant une silhouette dans ses films et ainsi peut-on l'apercevoir, notamment dans "La Vie est à nous", oeuvre collective, quoi qu'en dise, Renoir était bien le vrai réalisateur. Becker se vit confier la caméra pour quelques plans de l'épisode campagnard interprété par Gaston Modot, et l'expérience se renouvela également dans "La Grande Illusion". Ainsi faisait-il son apprentissage auprès du plus prestigieux et du moins dogmatique des maîtres, et sa manière en conserva toujours quelque chose.

Entre-temps, il s'essayait prudemment à la réalisation, notamment en coréalisant avec Pierre Prévert une pochade d'une heure d'après Courteline "Le Commissaire est bon enfant" (1935). Le film marquait les débuts de producteur de son ami d'enfance André des Fontaines, qu'il retrouvera par la suite. En 1937, le parti communiste confia à Becker la réalisation d'un documentaire sur la réunion de son congrès national à Arles. C'était un choix assez curieux car, de tous les collaborateurs de Renoir au service du Front populaire, Becker fut certainement le moins engagé politiquement, ce dont toute la suite de son oeuvre témoigne du reste éloquemment. En 1939, dix ans après ses premiers contacts avec le cinéma, Becker aborde enfin le long métrage. On lui confie la réalisation de "L'Or du Cristobal" d'après un roman de t'Serstevens. Le tournage fut chaotique, et le film interrompu, faute d'argent, puis repris et mené à bien par un autre réalisateur. Becker renia toujours ce film, qui, néanmoins, et contrairement à une légende tenace, sortit bien sous sa signature.

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Fait prisonnier en 1940, Becker fut libéré au début de l'Occupation et put enfin effectuer ce qu'il considérait lui-même comme ses débuts de metteur en scène. Ce fut avec "Dernier Atout" (1942), produit par son ami André des Fontaines. Après la désolante médiocrité de la production de l'année 1941, le film fut un des premiers de ceux qui marquèrent le surprenant réveil du cinéma français de l'Occupation, et il fut accueilli avec un enthousiasme extraordinaire. Becker fut tout de suite sacré grand cinéaste par la presse d'alors.

 

Aujourd'hui, quand on revoit "Dernier Atout", ce sont encore ces qualités qui frappent toujours. Après ce brillant début, Becker récidiva tout de suite après, avec "Goupi-mains-rouges" (1942), film paysan où il s'affirmait fidèle disciple de Renoir, par un souci de réalisme et de vérité des personnages, peu courant dans le cinéma d'alors. De Renoir aussi venaient certains éclats inattendus, certaines ruptures de ton, comme l'extraordinaire numéro de Robert Le Vigan en Goupi-Tonkin, ancien colonial alcoolique, au cerveau fêlé. Cette étude de moeurs, centrée sur un milieu négligé jusqu'àlors par le cinéma français : la paysannerie, calculatrice, imbue de ses traditions fertiles en drames rentrés. Le film fut un des grands succès de l'année 1943-1944 et reste un des titres célèbres de la période. Un peu vieilli dans certaines de ses parties, il reste excellent dans l'ensemble, surtout grâce à une galerie de figures, ayant toutes un relief extraordinaire. On y trouve déjà cet amour des personnages qui, de son propre aveu, fut une des marques caractéristiques du talent de Becker.

Son troisième film de l'Occupation, "Falbalas" (1944), présenté après la Libération, fut moins bien accueilli par une presse qui n'était plus la même et par un public tout à la redécouverte du cinéma américain. C'est pourtant un film remarquable et moins vieilli encore que les deux précédents que cette peinture des milieux de la haute couture, malgré un scénario inégal. Les personnages, surtout féminins, sont d'un intérêt exceptionnel, et remarquablement servis par Micheline Presle et Gabrielle Dorziat. Enfin "Falbalas" est un des rarissimes films français d'alors qui soient explicitement "datés", et dans lesquels se retrouve quelque chose de l'air du temps où il fut réalisé.

"Antoine et Antoinette" (1946) présentait toujours les mêmes qualités, mais sur le mode mineur. Le scénario était un peu mince, et la vie de ce couple d'ouvriers parisiens jeunes et sympathiques n'évitait pas toujours les pièges de la gentillesse facile et du populisme souriant. Restait un dialogue très brillant de Françoise Giroud, des personnages, comme toujours, pleins de vie et de chaleur humaine, on ne peut oublier Noël Roquevert en épicier salace!, et une virtuosité technique à son sommet. Becker déclarait dans un entretien avec François Truffaut et Jacques Rivette : "C'est un film qui m'intéresse beaucoup techniquement, parce que c'est le plus découpé de tous ceux que j'ai fait (...près de 1250 collures)" (Cahiers du cinéma No 32, février 1954). Dans le même entretien, Becker se montrait plus sévère pour le film suivant, "Rendez-vous de juillet" (1949) où il prétendait avoir raté beaucoup de choses, et déplorait des passages très "pesants". Il y a du vrai dans cette autocritique, et ce portrait de la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés-, au lendemain de la guerre, n'est pas entièrement satisfaisant. Jacques Becker a fait appel à de nombreux comédiens débutants : Daniel Gélin, Nicole Courcel, Brigitte Aubert, Pierre Trabaud, Maurice Ronet et Jacques Fabbri. Le film a obtenu le Prix Louis Delluc en 1949.

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En revanche, les années 1951-1953 sont parmi les plus fastes de la carrière de Becker. Elles comportent deux comédies, qui sont autant d'exquises réussites, "Edouard et Caroline" (1951) et "Rue de l'estrapade" (1953), et un drame qui est un chef-d'oeuvre, "Casque d'Or" (1952). Les deux comédies portent assez fortement la marque d'une nouvelle collaboration de Becker, la scénariste-dialoguiste Annette Wademant, qui ne retrouvera jamais pareil bonheur. Elles montrent un Becker léger, heureux, épanoui et en pleine possession de son style. Ce sont deux films très enlevés et très bien servis par leurs interprètes, Anne Verson et Daniel Gélin. C'est entre ces deux oeuvres d'une agréable vivacité qu'on a la surprise de trouver une oeuvre d'un tout autre ton, grave, pathétique même à la fin, celle où l'on voit le mieux quel grand cinéaste fut Jacques Becker. Et pourtant "Casque d'Or", que tous s'accordent aujourd'hui à tenir pour un grand chef-d'oeuvre, ne suscita pas un grand enthousiasme à son apparition. C'est un film qui a gagné son procès en appel, comme "La Règle du jeu" ou "Pickpocket". Comme Becker le déclarait à Truffaut et Rivette, en 1954, "ce qui a gêné les gens dans "Casque d'Or", c'est la lenteur du temps, l'absence de toute ellipse, l'abondance des temps morts". Bref, exactement tout ce qui, à nos yeux, fait aujourd'hui le prix du film. Au moment où le langage cinématographique commençait à bouger, entre autres avec Fellini et Antonioni, Becker contribua à ce mouvement involontairement, en tout cas sans l'avoir prémédité. Il avait écrit le scénario lui-même, sauf le dénouement, pour lequel se trouvant "en panne", il fit appel à Jacques Companeez, mécanicien chevronné. Il avait porté un soin extrême à tous les détails, au côté "avant-guerre 14", à la vérité des dialogues, à la démarche étudiée de Simone Signoret, dont ce fut le plus beau rôle. La qualité plastique des images est très grande -superbe photo de Robert Le Febvre et personne n'a oublié l'émotion poignante qui se dégage de la scène finale, l'exécution de Manda vue par les yeux de Casque d'Or, tandis que les premières notes du "Temps des Cerises" viennent conclure le drame...

Après ce chef-d'oeuvre, "Touchez pas au grisbi" (1954) permit à Becker de retrouver l'astmosphère du "film de gangsters", tout en y apportant sa touche personnelle, son goût du détail et de l'étude du milieu. Le travail du metteur en scène est toujours superbe, mais le matériau travaillé est beaucoup moins enthousiasme que celui de "Casque d'Or".  Becker offre à Jean Gabin l'occasion de commencer une seconde carrière dans ce rôle d'un truand vieillissant, tiré du roman d'Albert Simonin. A noter, la première apparition au cinéma de Lino Ventura. Le film suivant n'était pas souhaité par le cinéaste, "Ali Baba et les 40 voleurs" (1954) mais il avait promis de le tourner, après avoir essuyé deux échecs successifs. Sans enthousiasme, il le réalisa. Il s'agit d'une pure oeuvre de commande pour les inconditionnels de Fernandel, Premier film couleur pour Becker.

Certains trouveront plus de charme aux "Aventures d'Arsène Lupin" (1956), mais c'est encore un film mineur, dont le scénario, écrit par Becker et Simonin, est très librement inspiré du héros de Maurice Leblanc. François Truffaut, qui professait pourtant une grande admiration pour Becker, n'en devait pas moins critiquer avec la dernière sévérité ce film "qui n'a pas de ligne, pas de rythme, pas de souffle, et où l'on passe son temps à regarder les bibelots, les fauteuils, la baignoire, le gramophone, les vêtements". Mais bon, les critiques de Truffaut ne sont pas toujours fondés à mon avis, lui qui a autant critiquer les cinéastes comme Claude Autant-Lara, Gilles Grangier ou Henri Verneuil, pour lesquels  il n'a jamais été très tendre dans les Cahiers du cinéma entre autres, mais pour ma part, non justifiées... Voir "Un Singe en hiver", "Le Cave se rebiffe" ou "La Traversée de Paris"...

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En 1958, Becker se retrouva à son vrai niveau avec "Montparnasse 19", biographie de Modigliani, que la mort avait empêché Max Ophuls de réaliser. Ce film dépouillé, ennemi de l'anedocte et du pittoresque, trouva peu de défenseurs, hormis Jean-Luc Godard et Jacques Rivette, et sombra dans l'incompréhension générale. Même la présence du comédien Gérard Philipe dans le rôle principal ne parvint pas à lui gagner la faveur du public. La critique y vit l'amorce d'une évolution "bressonienne" de Becker, ce qui n'était pas entièrement faux; Becker avait toujours dit son admiration pour Bresson, "le metteur en scène français qui a le plus de goût", et, en 1945, il avait même écrit un article pour défendre "Les Dames du bois de Boulogne, voué à l'opprobre général. "Montparnasse 19" subit un sort analogue et demeura le plus incompris de ses films. Il ne restait à Becker qu'un dernier film à réaliser avant sa mort survenue à Paris le 21 février 1960 à l'âge de 53 ans. Ce fut "Le Trou" (1959), le "plus grand film français" comme l'écrivit Jean-Pierre Melville, dans un article qui parut après la disparition du réalisateur. L'hommage était un peu outré, mais il est vrai que "Le Trou" fait partie des meilleurs films de Becker, avec "Casque d'Or" et "Falbalas". A la sortie, on le compara souvent à "Un Condamné à mort s'est échappé" de Bresson, comparaison aussi tentante (à cause de l'analogie du sujet) que superficielle. Mais "Le Trou" oeuvre austère à l'émotion contenue, confirmait bien l'évolution stylistique, révélée dans "Montparnasse 19", et dont, après coup, on peut entrevoir certaines prémisses dans "Arsène Lupin". Fauchant le cinéaste en pleine maturité, nous a privés de son oeuvre de vieillesse, dont nous ne savons pas ce qu'elle aurait été, et on en est réduit aux suppositions. S'il fallait en hasarder une, on serait tenté de dire que ce goût de la perfection intransigeante, apparu dans ses derniers films, semblait devoir le rapprocher, moins de Bresson que peut-être de Fritz Lang et de certains cinéastes américains. Mais peut-être aurait-il encore réservé d'autres surprises, car il admirait aussi Ophuls et Cocteau...Et au moment de sa mort, il rêvait de tourner "Les Trois Mousquetaires", ce que personne n'a jamais vraiment réussi. Dans le numéro d'hommage des Cahiers du Cinéma d'avril 1960, on trouve des phrases justes et émues de Cocteau, de Renoir ou de Jean Aurel. Mais la plus juste est celle, assez étonnante aujourdhui de Jean-Luc Godard : "Seul Jacques Becker était et restait français à la française, français comme la rose de Fontenelle et la bande à Bonnot." Il est curieux de voir, dans le cinéma français plutôt dévalué de l'après-guerre, comme Becker et ses films ont toujours excercé une attirance sur les Jeunes-Turcs d'alors, sans jamais faire aucune démagogie, aucune concession aux modes du moment, simplement en restant fidèle à une certaine idée de l'artiste et de sa mission, apprise sans doute chez Renoir, mais venue de beaucoup plus loin. C'était un beau témoignage d'admiration et de respect que lui rendait Truffaut, lorsqu'il concluait un article de 1954 par ces mots : "La réussite de Jacques Becker est celle d'un jeune qui ne concevait pas d'autre voie que celle choisie par lui, et dont l'amour qu'il portait au cinéma a été payé de retour." Jacques Becker a eu trois enfants : Sophie, Jean et Etienne. Le second a été l'assistant de son père, est devenu cinéaste à son tour.

 

 

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Dernier atout - Jacques Becker

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Antoine and Antoinette - Becker - Roger Pigaut - Noël Roquevert

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