GEORGE CUKOR, UNE RÉUSSITE CINEMATOGRAPHIQUE
GEORGE CUKOR 1895 - 1983
Cinéaste Américain
George Cukor est né le 7 juillet 1899 à New York (Etats-Unis). D'origine hongroise, sa famille le destine, par tradition, au barreau. Il abandonne ses études de droit au profit du théâtre. George Cukor est déjà un metteur en scène célèbre lorsqu'il arrive à Hollywood. D'abord régisseur à Chicago et à Rochester, il a même tenu quelques rôles lorsqu'il se fait rapidement un nom à Broadway, vers la fin des années 20.
En 1926, Cukor monte sa première pièce à Broadway : "The Great Gatsby" de F. Scott Fitzgerald. Parmi ses autres mises en scène : "Her Carboard Lover", qu'il portera à l'écran en 1942 et "The Furies", de Zoe Akins (future scénariste de plusieurs de ses films). Recommandé par Rouben Mamoulian, il est engagé en 1929 par la Paramount comme dialoguiste.
L'avénement du parlant pousse les maisons de production à s'adjoindre les services de spécialistes de la scène. A Hollywood, Cukor fait ses débuts comme dialoguiste sur "A l'Ouest rien de nouveau" (All Quiet On The Western Front,1930), production Universal réalisée par Lewis Milestone. Il est ensuite engagé par Paramount pour tourner plusieurs adaptations de pièce de théâtre, la plus intéressante étant certainement un pastiche de la famille Barrymore, intitulé "The Royal Family Of Broadway" (1930) avec Fredric March. L'année suivante, il réalise seul son premier film, "Tarnished Lady"; l'opérateur n'est pas une mince affaire puisqu'il a pour mission de diriger l'excentrique Tallulah Bankhead, et de faire de cette comédienne de théâtre une star de l'écran. Il fera plus tard le commentaire suivant : "Mademoiselle Bankhead est une actrice "étincelante" sur scène, mais ce genre de qualité n'est malheureusement par indispensable au cinéma." Doux euphémisme !. Il enchaîna avec "Viveuses" (Girls about Town,1931), ces deux films le firent remarquer comme un metteur en scène attiré par les sujets modernes ayant pour cadre une grande ville.
Toujours en 1931, sur le tournage de "Une Heure près de toi" (One Hour With You), il se dispute avec le producteur et co-réalisateur Ernst Lubitsch, ce qui provoque son départ hâtif de la Paramount. Ce film sera pourtant un ravissement pour les yeux. Et Cukor y est sûrement pour quelque chose. Ce film est le remake de "Comédiennes", le deuxième film et la première comédie qu'Ernst Lubitsch tourna en 1924 aux Etats-Unis. "Une heure près de toi" sera nominé pour l'Oscar du Meilleur Film. David Selzick, qui l'avait encouragé au début de sa carrière cinématographique, l'engage aussitôt chez RKO. Il est d'ailleurs le producteur exécutif de son premier film pour la firme : "What Price Hollywood ?" (1932) d'après un script de Adela Rogers St. Johns. Sur un thème assez similaire à celui qu'il abordera bien plus tard avec "Une étoile est née" (A Star Is Born,1953), Cukor fait ici la preuve de son éclectisme : le film est à la fois un drame et une comédie, il y a à la fois des scènes d'extérieur et des séquences tournées en studio; enfin, la direction des acteurs est remarquable (Lowell Sherman et Constance Bennett notamment).
En 1933, le réalisateur aborde un tournant important dans sa carrière; il signe une production avec de nombreux comédiens confirmés, Jean Harlow, Wallace Beery, John et Lionel Barrymore et Marie Dressler dans "Les Invités de huit heures" (Dinner At Eight), d'après la pièce de George S. Kaufman, pour le compte de la MGM. Le film fut tourné en vingt-sept ou vingt-huit jours selon Cukor. Pour la RKO, il réalise "Les Quatre filles du Docteur March" (Little Women,1933), qui est la secondes trois adaptations du roman célèbre de Louisa May Alcott. Trois Oscars couronnèrent le film de George Cukor qui obtint l'Oscar du meilleur film de l'année, celui de la meilleure mise en scène et celui du meilleur scénario. L'année précédente il avait dirigé Katharine Hepburn (héroïne des "Quatre filles du Dr March") et John Barrymore dans "Héritage" (A Bill Of Divorcement).
En adaptant au cinéma "Les quatre filles du Docteur March", le réalisateur tourne son premier film "en costumes", lançant une mode qui sera suivie par bien d'autres cinéastes, mais pas toujours avec autant de succès; Cukor a su admirablement représenter la Nouvelle-Angleterre du milieu du XIX ème siècle et Mademoiselle Hepburn est très convaincante en garçon manqué dans le rôle de la petite Jo. Ce très grand succès public, le plus grand hit de la décennie au box-office, pour la RKO du moins !. Dès lors, le réalisateur est très demandé. Ayant acquis l'image de marque d'un "directeur d'actrices", Cukor va faire tourner durant les années 30 des célébrités comme Greta Garbo, Joan Crawford, Norma Shearer et Jean Harlow, tout en confortant la position de "sa" nouvelle star, Katharine Hepburn, de film en film. Et même plus tard, cette réputation le poursuivra; il réalisera alors des films avec Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Anouk Aimée, Maggie Smith; en 1981, son dernier travail ne sera-t'il pas de diriger Jacqueline Bisset et Candice Bergen dans "Riches et célèbres" (Rich And Famous)...mais ne brûlons pas les étapes !. A noter la réalisation du film "Haute société" (Our Betters) en 1933, dans lequel Cukor traite déjà ses futurs sujets de prédilection : le divorce, l'adultère et la guerre des sexes, le mener à terme, étant passé entre-temps de la RKO à la MGM.
On s'étonna du choix du metteur en scène : comment un homme habitué à des films bien plus ambitieux en était-il arrivé à s'intéresser à un sujet si mineur et si éloigné de ses préoccupations habituelles? Cukor faisant un film "pour la famille" ! Voilà qui semblait surprenant? Quel roman, en effet, répondait mieux aux critères moraux les plus traditionnels que celui de Louisa May Alcott? Quatre jeunes soeurs affrontent la vie courageusement unies autour de leur mère, tandis que le père risque sa vie dans les combats de la guerre de Sécession. Cukor ne semblait pas être l'homme de la situation. Et pourtant, il parvint sans trahir l'esprit du roman à restituer le climat de la Nouvelle-Angleterre du XIX e siècle. Dans "Les quatre filles du Dr March" Cukor s'attacha tout particulièrement aux personnages forts : Jo (Katharine Hepburn) et Amy. Jo était la plus volontaire des quatre soeurs. Pour se réaliser comme écrivain, elle quittait sa famille, épousait un étranger et s'installait à New York, centre de la vie littéraire. Amy (Joan Bennett) était, au contraire, une jeune fille frivole qui acceptait de jouer le rôle traditionnel de la femme à l'époque, bonne épouse tout en restant mondaine. Elle finissait ainsi par épouser l'ancien fiancé de Jo. Comme on peut le constater Cukor, même dans la romance à grand spectacle, savait rester fidèle à ses thèmes.
En 1934, pour Selznick et la MGM, il réalise une agréable version du "David Copperfield" de Charles Dickens, avec Freddie Bartholomew dans le rôle-titre, Basil Rathbone et W.C. Fields, inoubliable en Micawber. Par la qualité des décors, des costumes" et l'excellence de l'interprétation, le "David Copperfield" de George Cukor a toujours été considéré comme l'une des plus grandes réussites hollywoodiennes dans le domaine de la transposition cinématographique d'un classique de la littérature. Il bénéficia d'un immense succès critique aux Etats-Unis. Le "Roméo et Juliette" (Romeo and Juliet,1935) du cinéaste est l'une des trois versions cinématographiques les plus connues de la pièce de Shakespeare. Les trois principaux interprètes sont Norma Shearer, Leslie Howard, John Barrymore et Basil Rathbone. Il tourne ensuite pour la RKO "Sylvia Scarlett" (1935) avec Cary Grant et Katharine Hepburn (déguisée en jeune homme pendant une grande partie du film) : le public n'aimera pas, le film fut un désastre critique également.
L'année suivante (1936), Selznick quitte la MGM pour passer producteur indépendant, mais Cukor est aussitôt "adopté" par son remplaçant, Irving Thalberg, qui lui confie ses deux comédiens en herbe, Norma Shearer (Madame Talberg) et Greta Garbo, toujours pour la même raison : Cukor a la réputation d'être un incomparable manieur d'interprètes féminines". A juste titre, d'ailleurs. Ce sont donc deux films inspirés d'oeuvres littéraires d'après Alexandre Dumas et Shakespeare, deux films d'époque, avec deux actrices très bien entourées. "Le Roman de Marguerite Gautier" (Camille,1936), qui sera un des plus beaux rôles de Garbo. Utilisant le "génie" de la Divine, Cukor réussit à saisir l'essence de toute une époque, celle dans laquelle évolua la célèbre courtisane française du XIXe siècle.
Avec les années 30, le star system prit un essor rapide et Cukor devient le réalisateur le plus recherché par les grands comédiennes convaincues, à juste titre, de trouver en lui l'homme le plus apte à les mettre en valeur. Katharine Hepburn, Joan Bennett, Norma Shearer, Greta Garbo et Joan Crawford, toutes voulurent tourner sous sa direction...et elles y parvinrent. C'est sans doute pour cela qu'il garda le surnom de "metteur en scène des femmes".
En réalité, il ne faudrait pas réduire à ce rôle de faire-valoir de luxe un cinéaste dont la carrière s'étend sur un demi-siècle et embrasse tous les genres avec le même bonheur (seul le film de gangster manque à son palmarès). On serait mieux inspiré en disant que Cukor, grâce à son habileté, à mieux défini ce que peut être un "cinéma pour la femme", en transplantant l'univers spécifique de la comédie légère sur le terrain plus épineux de la morale.
Son attitude vis-à-vis de Hollywood, qui n'est pas sans rappeler celles d'un Frank Borzage, d'un John M. Stahl ou d'un Gregory La Cava, peut se qualifier de libérale, voire détachée. Les thèmes qu'il a traités, et surtout la manière dont il les a traités, reflètent, aujourd'hui encore, le conflit existant entre un metteur en scène intelligent et sensible et une industrie cinématographique bien décidée à imposer le mythe américain. Ce n'est pas la moindre qualité de Cukor de nous avoir prouvé qu'un grand metteur en scène pouvait résoudre ce conflit. En 1938, Cukor tourne un remake de "Zaza", dans lequel Claudette Colbert reprend le rôle tenu par Gloria Swanson, puis une comédie avec Cary Grant et Katharine Hepburn, "Vacances" (Holiday), pour le compte de la Columbia. Deux ans plus tard, pour la MGM, il réunit Cary Grant , James Stewart et son actrice-fétiche, Katharine Hepburn, dans "Indiscrétions" (The Philadelphia Story), adaptation cinématographique d'une autre pièce de Philip Barry. L'actrice a déjà présenté le rôle de Tracy Lord sur scène (d'ailleurs Barry l'avait écrit pour elle), sa performance à l'écran lui vaut le New York Film Critics Award et une nomination à l'Oscar. Cukor est également nominé, mais c'est James Stewart qui obtient l'Academy Award. Le film est un grand succès qui console le réalisateur de ses déboires de l'année précédente : deux films avec Joan Crawford "Femmes" (The Women) et "Suzanne et ses idées" (Susan and God) qui n'ont pas bien été perçu par le public et, surtout, son éviction de "Autant en emporte le vent" (Gone With The Wend,1939), à la demande de Clark Gable, qui estimait qu'il "féminisait" le film !, celui-ci sera remplacé par Sam Wood, puis par un cinéaste plus proche de Gable : Victor Fleming. Le film triompha d'ailleurs à la remise des Oscars en trustant à lui tout seul huit des récompenses!
Durant les années 40, le réalisateur va connaître une période de disgrâce. Son style est devenu désuet, comparé à celui d'une nouvelle génération de scénaristes-réalisateurs comme Orson Welles, Billy Wilder ou John Huston. Comme bien des réalisateurs attachés une "major company", il est alors en passe d'être considéré comme un "has been", en face de ces nouveaux venus fiers de leur indépendance.
Le personnage par excellence du cinéma de Cukor, c'est la femme qui ose afficher des idées très personnelles, ni héroïne traditionnelle ni vamp sophistiquée, et pour qui des notions comme la sacro-sainte respectabilité n'ont absolument aucune importance. Chez Cukor, la femme proclame son identité sans le moindre complexe, et refuse toutes les compromissions; par voie de conséquence, elle remet en cause le héros type du cinéma américain. Face à elle, l'homme voit s'écrouler le mythe de sa supériorité naturelle et connaît les doutes, les crises et la perplexité d'un être humain soudain privé de certitudes. On voit donc jusqu'à quel point Cukor est immunisé contre les mythes et les préjudices hollywoodiens et postule une vision radicalement nouvelle du rapport entre les sexes, au sein de laquelle trouvent toujours place l'amitié et l'amour, mais débarrassés de la rhétorique sentimentale et annihilante qui les enrobait auparavant.
Au stéréotype du héros pur corrompu par la femme, source de tous les vices, Cukor oppose l'image de la femme qui épouse l'homme égaré : le fasciste de "La Flamme sacrée" (Keeper of the Flame,1942) (Katharine Hepburn/Spencer Tracy) ou le psychopathe de "Hantise" (Gaslight,1944). Le film de Cukor remporta un très grand succès et fut nommé pour l'Oscar, mais ce fut Ingrid Bergman qui décrocha celui de la meilleure actrice 1944. Trois ans auparavant, ce fut Greta Garbo qui fut diriger par Cukor dans "La femme aux deux visages" (Two-Faced Woman,1941). Après avoir brillé durant une vingtaine d'années, la divine fit ses adieux à l'écran en 1941 avec ce film du cinéaste à "femmes" pour qui elle avait interprété le personnage hautement romantique de la Dame aux camélias dans "Le roman de Marguerite Gautier" en 1937. Toujours en 1941, Joan Crawford tourna sous la direction de Cukor "Il était une fois" (A Woman Face), l'une de ses compositions les plus remarquées avec les deux pôles attirants et repoussants de sa personnalité.
Ce n'est qu'à partir de "Edouard, mon fils" (Edward, My Son,1949) et "Ma vie à moi" (A Life of Her Own,1950) que le personnage féminin est influencé par le pessimisme du metteur en scène, tendance qui peut le mener à se détruire. On sait que ces films furent des exceptions. A la fin des années 40 Cukor commença une série de comédies à succès écrites par le couple de scénaristes Garson Kanin-Ruth Gordon, et interprétées par Spencer Tracy, Katharine Hepburn et Judy Holliday : "Madame porte la culotte" (Adam's Rib,1949), "The Actress,1953) et "Une femme qui s'affiche" (It Should Happen to You,1954). Trente-sept jours de tournage suffirent à George Cukor pour boucler "Madame porte la culotte", qui fut, en 1949, un des plus gros succès commerciaux du cinéma américain.
Réaliser "Une étoile est née" (A Star is born) en 1954 ne fut pas pour Cukor chose facile. Écartant délibérément les schémas classiques de la comédie musicale, il laissa à Judy Garland une liberté de jeu qui a véritablement marqué son époque. Il se révéla en outre un maître du Cinémascope, l'utilisant avec une efficacité consommée, mêlant réalité et fiction, biographie et fait divers pour décrire les travers et la misère morale du monde du spectacle. Après ce film remarquable à bien des égards, Cukor s'attaqua aux genres les plus divers : le film d'aventures "La croisée des destins" (Bhowani Junction,1956) et "Justine" (1969); le western avec "La diablesse en collant rose" (Heller in Pink Tights,1960) (Pour parler franc, révèle George Cukor à propos de ce film en couleurs, il n'y avait pas réellement d'histoire, mais c'est le sujet qui m'intéressait. J'ai voulu faire une film sur une troupe d'acteurs ambulants et sur les aventures qui leur arrivaient à l'époque de la conquête du Far-West. Ces acteurs devenaient les véhicules de la culture. Ils jouaient mal mais jouaient Shakespeare".
A la fin des années 50, Cukor dirigea Anthony Quinn et Anna Magnani dans "Car sauvage est le vent" (Wild Is The Wind,1957), mais aussi Marilyn Monroe et Yves Montand dans "Le Milliardaire" (Let's Make Love,1960) et Jane Fonda dans "Les Liaisons coupables" (The Chapman Report,1963). En 1963, juste avant de se lancer dans le tournage de "My Fair Lady", Cukor tourne "Something's Got to Give" (1962), dernier film avec Marilyn Monroe, le film restera inachevé. En 1969, il signera "Justine" avec Anouk Aimée et Dirk Bogarde. Cinq années ont passé depuis "My Fair Lady". Cette fois, hélas, l'auteur est bel et bien à court d'inspiration. On ne retiendra de ses dernières oeuvres que "Voyage avec ma tante" (Travels With My Aunt,1972), bien que son dernier film, "Riches et célèbres" (Rich and Famous,1981), ait bien la "Cukor's Touch", il faut se méfier des imitations trop parfaites, de la part de premiers assistants habiles, ou d'une productrice ayant trop bien assimilé l'oeuvre du Maître.
C'est seulement pour "My Fair Lady" que Cukor eut l'honneur de recevoir un Oscar, peut-être un peu tardif si l'on songe aux précieuses statuettes qu'il fit gagner à James Stewart, Ingrid Bergman, Ronald Colman, Judy Holliday et Rex Harrison. Appelé par certains "le grand vieillard du cinéma", sans que cela soit péjoratif, Cukor n'a rien perdu de sa vivacité et sa curiosité intellectuelle, une réussite aussi éblouissante que "Voyage avec ma tante". La télévision a fait appel à lui pour "Love among The Ruins" (1975) et "The Corn is Green" (1978). Son talent a suscité les commentaires les plus élogieux de maints grands cinéastes, au nombre desquels il faut citer Ingmar Bergman. Pour eux, Cukor est tout à la fois un maître, un exemple et un pionnier. Sa grande finesse pour tout ce qui touche à la psychologie, sa générosité et son approche tout à fait personnelle des personnages féminins sont reconnues bien au-delà des frontières de Hollywood. Cukor est mort quelques jours avant la première d'"Une étoile est née", on avait décidé de présenter enfin le film dans son intégralité. George Cukor meurt le 24 janvier 1983 à l'âge de 83 ans à Los Angeles.
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___________________Gene Kelly