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CINETOM
18 juin 2016

QUE VIVA S.M. EISENSTEIN !

 

          S.M. EISENSTEIN                         1898 - 1948 

          Cinéaste, Producteur Russe 

    

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Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein est né le 23 janvier 1898 à Riga en Lettonie. Son père travaillait comme ingénieur aux chantiers navals, sa mère appartenait à la petite bourgeoisie. Si ses parents lui donnent une éducation bourgeoise traditionnelle, sa nourrice l'élève dans le parfum des icônes et des mystérieuses superstitions populaires.

En 1910, sa famille s'installe à Saint-Péterbourg, le jeune Sergueï est envoyé à Riga, chez une tante, afin de poursuivre ses études au lycée, mais rejoint les siens dés le début de la guerre. En 1915, ses études secondaires terminées, il se prépare au métier d'ingénieur, mais il se passionne pour les arts plastiques et suit parallèlement les cours d'architecture de l'Ecole des Beaux-Arts. La lecture de Freud est pour lui une révélation et il songe un instant à aller à Vienne pour y suivre l'enseignement de l'illustre professeur, lorsque les signes précurseurs de la Révolution le détournent vers d'autres buts.

Au début de la guerre civile, tandis que son père rejoint l'armée blanche, il s'engage dans les forces révolutionnaires où l'on met à profit ses connaissances  graphiques pour lui faire dessiner tracts et affiches de propagande. A la fin de 1920, comme tous les étudiants démobilisés, il a la possibilité de poursuivre gratuitement ses études : intéressé par le Kabuki, il choisit à la fois des cours de théâtre et de japonais. Un camarade le fait alors engager au théâtre du peuple de Moscou, animé par le groupe du Prolet-Kult, comme assistant décorateur. Dès 1923, il assure la mise en scène d' "Un homme sage", très libre adaptation d'Ostrosky dans laquelle il se propose d'insérer un petit film, "Le Journal de Gloumov", sorte de parodie des actualités. Dziga Vertov, pressenti pour la réalisation, a un empêchement et Eisenstein doit tourner lui-même cette petite bande.

Désormais, Eisenstein va vivre en symbiose avec le septième art. En mai 1923, il publie dans "Lef", la revue de Maïakovski, un texte sur le montage-attraction au théâtre et au cinéma. En 1924, après avoir assuré la mise en scène du "Masque à gaz" dans une usine de produits chimiques de Moscou, il remonte en collaboration avec Esther Choub, "Le Docteur Mabuse (1922) de Fritz Lang, qui devient ainsi "La pourriture dorée". Au début de l'été de 1924, toujours pour le Prolet-Kult, il entreprend le tournage de "La Grève" (Statchka,1925).

Refusant les contraintes d'une intrigue classique, Einsentein livre une sorte de poème visuel qui traduit très librement la notion de collectivité. La scène culminante du film, qui montre l'abattage d'un boeuf, sert de contrepoint symbolique au massacre des grévistes et illustre parfaitement les théories du cinéaste sur le montage : la juxtaposition de deux images sur l'écran peut donner naissance à une troisième image dans l'esprit du spectateur, invisible à l'oeil, mais cependant réelle. Le dernier plan du film est constitué par le gros plan d'un oeil du boeuf mort, qui occupe tout l'écran.

Einsenstein a toujours considéré "La Grève", "gâchée  par les restes d'une théâtralité rancie", comme un échec et un exemple "d'extrémisme infantile". Il en interdira la projection par la suite et le film ne sera à nouveau diffusé qu'après sa mort. Mais le public occidental accueille avec enthousiasme cette oeuvre riche de novations esthétiques, qui sera primée à l'Exposition universelle de Paris en 1925. Quant au "Cuirassé Potemkine" (Bronenosez Potemkine,1925), c'est sans doute le film le plus célèbre de toute l'histoire du cinéma, celui sur lequel on a écrit le plus d'articles et d'exégèses. Les écrits théoriques du réalisateur, largement diffusés hors d'U.R.S.S. et ses nombreuses conférences à l'étranger (il parle couramment l'anglais, le français et l'allemand) contribuent également à lui assure une notoriété internationale sans équivalent à l'époque.

Lorsque Eisenstein arrive à Odessa, chassé de Leningrad par le mauvais temps, son imagination s'enflamme à la vue du grand escalier où les soldats tsaristes avaient tiré sur la foule qui guettait l'arrivée dans le port du navire mutiné. Il déplace les poteaux indicateurs, recherche les survivants et retrouve les dessins d'un Français qui avait assisté au massacre. La mutinerie du Potemkine, qui ne devait constituer que l'un des huit épisodes du projet initial, devient pour lui le vivant symbole des affrontements de 1905. Il récrit un nouveau scénario, divisé en cinq actes comme une tragédie classique, qui culmine lors de la fameuse séquence du massacre, pour laquelle est construit un chariot mobile, assez large pour transporter la caméra, Eisenstein, son opérateur Edouard Tissé et ses assistants, et qui se déplacera tout au long des marches pendant les prises de vues. Le cinéaste prit comme véritables artistes, les marins de la flotte et les habitants d'Odessa. Plusieurs de ceux-ci avaient d'ailleurs vécu la révolution de 1905 et contribuèrent à l'exactitude des détails. Le médecin major Smirnov fut interprété par un chauffeur, la femme qui tient un porcelet est jouée par la propre mère d'Eisenstein et c'est Einsenstein lui-même qui double le vieux jardinier qui tenait le rôle du pope du "Potemkine" lorsque le prélat est jeté à l'eau.

Eisenstein revient à Leningrad pour tourner "Octobre" (Octjabre,1927), et toute la ville est mise à sa disposition. A l'exception de Lénine, Trotsky et Kerenski, seules figures individualisées, le véritable personnage du film est la foule révolutionnaire, jouée par la population de la ville. Le flux de l'Histoire superbement reconstitué est ponctué de métaphores visuelles, ainsi la statue du tsar, brisée par le peuple, qui se reconstitue d'elle-même, fragment après fragment. L'arrivée au pouvoir de Kerenski donne lieu à des clins d'oeil sardoniques : à l'image du chef du gouvernement provisoire se pavanant dans les salons du palais d'Hiver, succède un plan d'un paon de bronze faisant la roue, rapprochement qui ne sera d'ailleurs absolument pas compris par les spectateurs soviétiques. !

La sortie du film est retardée de cinq mois, car Eisenstein, trop absorbé par son travail, n'a pas assez attentivement suivi les méandres de la politique : la chute de Trotsky le prend pas surprise et il doit éliminer tous les plans où il apparaît. Avant même de commencer à tourner "Octobre", le cinéaste avait déjà posé les bases de son prochain film, "La Ligne générale" (Staroie i Novoie,1928), tableau de l'évolution d'un petit village rural. Mais entre-temps le processus de la collectivisation a été si vigoureusement mené par le gouvernement qu'Eisenstein doir récrire un nouveau scénario.

La transfiguration de Marfa Lapkina (qui joue son propre rôle), simple paysanne ignorante qui devient, par la grâce de la Révolution, la conscience politique de sa communauté, nous est montrée au travers d'une étourdissante symphonie visuelle : fleuves triomphants de lait jaillissant de la nouvelle écrémeuse ou stupéfiant ballet des tracteurs dans les champs. Supervisé par Staline en personne, le film connaîtra un échec en Union Soviétique.

En 1930, Eisenstein, son assistant Gregori Alexandrov et Edouard Tissé sont envoyés en Europe pour y tourner un film sonore, innovation technique se développant trop lentement en U.R.S.S. au gré des autorités. Le cinéaste anglais Ivor Montague, ami d'Eisenstein, répand la nouvelle de l'arrivée de l'auteur du "Cuirassé Potemkine". Aussitôt, le dirigeant de la Paramount Jesse Lasky se précipite à Paris et prend contact avec le réalisateur soviétique. A son grand étonnement, Eisenstein, qui à la réputation d'être fort naïf en affaires, obtient un contrat  lui garantissant 900 dollars par semaine pour se rendre à Hollywood en compagnie de Tissé et d'Alexandrov.

A son arrivée à New York, Eisenstein est assailli par les photographes, les journalistes et les agents publicitaires de la Paramount. Mais il parvient à échapper à leurs sollicitations en se réfugiant dans les milieux universitaires où il donne d'ailleurs une série de conférences à Harvard et à Columbia. Avant son départ pour la côté ouest, "La Ligne générale" est présenté dans un ciné-club new-yorkais. Quelque peu choqués par cette apologie du collectivisme, les responsables de la Paramount proposent au cinéaste de tourner une histoire sur l'ordre des jésuites. Il leur propose pour sa part d'adapter "L'Or", de Blaise Cendrars, dont il avait emmené avec lui un exemplaire, mais le studio ne croit guère aux chances de ce tableau épique de la ruée vers l'or de 1848.

L'ironie  d'Eisenstein n'est toujours pas du goût des hôtes yankees. En débarquant sur le sol des Etats-Unis, il avait bien juré de ne pas attenter à la Constitution américaine, mais il ne s'était pas engagé à se raser ni à renoncer à son très prolétaire béret....Lors du banquet organisé à New York par la Paramount pour le présenter à la presse, il se montra avec une barbe de trois jours : "Je crois, dit-il, que vous vous imaginez tous les Russes comme de patibulaires barbus : je n'ai donc pas voulu vous décevoir."

Eisenstein et ses deux collaborateurs finissent enfin par arriver à Hollywood, où le cinéaste garde ses distances vis-à-vis de la faune du cinéma, qui l'intéresse moins que l'authentique peuple américain. Il ne se lie guère qu'avec Chaplin qu'il admire énormément. En trois jours, il écrit un synopsis pour "L'Or", mais la Paramount ne se laisse pas convaincre, d'autant que ses dirigeants commencent à craindre les retombées des diatribes enflammées que le major Frank Pease, chef d'une ligue patriote, lance contre "ce chien rouge". Pease venait de publier une brochure venimeuse intitulée "Eisenstein, messager de l'enfer à Holltwood, où il attribuait au cinéaste la responsabilité de toutes les atrocités commises par les bolchéviques.

On soumet alors à Eisenstein un projet qui dormait depuis longtemps dans les tiroirs de la Paramount : l'adaptation du long roman de Theodor Dreiser, "An American Tragedy", vigoureux réquisitoire contre les vices de la justice américaine. Le cinéaste écrit très rapidement un scénario qui est accueilli avec enthousiasme par le studio. Mais en octobre 1930, la Commission Fish, qui est en quelque sorte une ébauche du futur comité d'enquête sur les activités anti-américaines des années de la guerre froide, est chargée d'enquêter sur l'activité communiste en Californie, et plus précisément sur le projet d'adaptation du livre de Dreiser. Par ailleurs, Eisenstein s'oppose aux responsables du studio qui veulent accorder une importance prédominante à l'histoire d'amour du roman au détriment de la critique sociale. Cédant aux pressions de ses associés qui craignent un scandale, Lasky résilie le contrat. Le cinéaste soviétique n'a pas tourné un seul mètre de pellicule pendant son séjour à Hollywood...

Eisenstein se laisse alors séduire par la perspective de tourner un film au Mexique, pays qui l'a toujours fasciné, et il signe un accord, malgré les avertissements d'Ivor Montague, avec l'écrivain américain progressiste Upton Sinclair, qui accepte de financer la production. L'aventure américaine commence mal. Dès leur arrivée à Mexico, le réalisateur, Tissé et Alexandrov sont arrêtés à la suite d'un télégramme véhément que Pease avait envoyé au gouvernement mexicain. Fort heureusement, l'ambassadeur d'Espagne, ami d'Eisenstein, parvient à les tirer de prison. Le tournage de "Que Viva Mexico !" (1931) commence. Eisenstein impressionne 65 000 mètres de pellicule qu'il envoie à Sinclair pour le développement. Ce n'est qu'en 1977, après quarante-cinq ans donc de pourparlers et près de trente ans après la mort du cinéaste, que les Soviétiques purent enfin récupérer la pellicule conservée au Musée d'Art Moderne de New York et entreprendre la restauration du film.  

Il ne reste qu'un épisode à tourner lorsque Sinclair décide brutalement de mettre fin à sa collaboration avec Eisenstein et refuse de lui laisser diriger le montage. Accusé de désertion par Staline, le cinéaste est invité à rentrer à Moscou. Une partie des négatifs sera vendue à la MGM qui les utilisera dans plusieurs films, une autre sera cédée à Sol Lesser qui en tirera deux films reniés par le réalisateur : "Tonnerre sur le Mexique" (Thunder over Mexico,1933) et "Kermesse funèbre" (Death Day,1934). En 1939, Mary Seton se sert des négatifs encore inutilisés pour monter "Time in the sun".

De retour à Moscou en avril 1932, Eisenstein, profondément démoralisé par sa désastreuse odyssée mexicaine, ne parvient à mener à bien aucun projet. Boris Choumiatsky, directeur général du cinéma soviétique, refuse tous les sujets qu'il propose, dont une vie de Toussaint Louverture, l'esclave haïtien qui prit la tête d'une révolte des Noirs en 1791, qui serait interprétée par le célèbre chanteur noir américain Paul Robeson. Eisenstein se consacre totalement à l'enseignement du cinéma et à la rédaction de plusieurs ouvrages. En 1935, il est violemment critiqué lors de l'Assemblée marquant le quinzième anniversaire du cinéma soviétique. On lui reproche le formalisme de ses oeuvres et on le somme d'abandonner les recherches stériles pour la réalisation.

En mai 1935, Eisenstein commence "Le Pré de Béjine", dont le tournage sera interrompu, par une maladie du réalisateur, puis par Choumiasky, qui exige des modifications et qui finalement en interrompt définitivement la production en 1937. La même année, Eisenstein fait son autocritique dans une brochure intitulée "Les erreurs du Pré de Béjine". Choumiasky tombera ensuite en disgrâce, mais le film ne sera jamais achevé ni distribué. D'après la version officielle, il a été détruit au cours d'un bombardement en 1942...Tout ce qu'il en reste, c'est une reconstitution, faite après la mort du cinéaste par Serge Youtkevitch, à partir de photogrammes fixes.

Surmontant les humiliations, Eisenstein sura rentrer en grâce en réalisant un film dont la forme et le contenu idéologiquement ne pourront que satisfaire le nationalisme de Staline : "Alexandre Nevsky" (1938), fresque épique célébrant la victoire des Russes sur les chevaliers Teutoniques au XIII ième siècle. Grâce à ce succès populaire, qui consacrait une rupture totale avec son passé, le cinéaste obtient une récompense qu'on lui avait jusque-là refusée : l'Ordre de Lénine.

Si "Alexander Nevsky" célébrait opportunément le culte de la personnalité du chef de l'Union soviétique, l'allégorie stalinienne ne sera pas du goût de tous dans "Ivan le Terrible" (Ivan Gozny,1944-1946). Dans ce chef-d'oeuvre "shakespearien" d'une flamboyante somptuosité plastique, le maître de la Russie est montré comme un tyran obsédé par les complots. Alors qu'il achève le montage de la seconde partie, Eisenstein est terrassé par un infarctus. Alité pendant deux ans, il s'éteindra le 11 février 1948, non sans avoir fait une nouvelle fois son autocritique. De nombreuses études ont été consacrées à l'oeuvre de S.M. Eisenstein, citons parmi les plus récentes : "Que viva Eisenstein" de Barthélemy Amengual (Ed. l'Age d'Homme-Lausanne 1981). 

 

 

 

    

             

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_____________________________Jean Dréville

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