CECIL B.DE MILLE, PIONNIER DU GRAND FILM A SPECTACLE
CECIL B. DE MILLE 1881 - 1959
Cinéaste, Producteur Américain
Cecil Blount De Mille est né à Ashfield, Massachusetts le 12 août 1881, fils d'un couple d'auteurs dramatiques, il grandit dans les milieux du spectacle. Obstiné et impulsif, il décida un beau jour de 1913, d'abandonner le monde du théâtre pour se lancer dans l'aventure du cinéma...
Mourant d'ennui et déprimé, mais ayant la stature et le caractère d'un innovateur, il saisit l'occasion que lui proposait Jesse Lasky, un de ses amis qui sut lui faire sentir toutes les possibilités de réalisations artistiques et personnelles que pouvait lui offrir le cinéma. Ensemble, ils fondèrent en 1916, en compagnie de Sam Goldfish (plus tard connu sous le nom de Sam Goldwyn) la Jesse L. Lasky Feature Play Company. La personne qui a le plus influencé Cecil B. DeMille est sûrement son père, Henry Churchill de Mille (Cecil ayant changé l'orthographe de son nom de famille lorsqu'il s'essaya au théâtre). Il s'en souvenait fort peu, car il mourut quand l'enfant avait douze ans, mais celui-ci vénérait profondément l'image de ce laïque, évangéliste fervent, lisant, dimanche après dimanche, son livre de prières et un sermon de Charles Kingsley, dans le choeur de l'église. David Belasco (1854-1931) a lui aussi profondément marqué l'imagination de DeMille.
Le père de Cecil était un auteur célèbre de pièces édifiantes, et David Belasco, qui devint ensuite un dramaturge important du théâtre américain, était à la fois son collaborateur et un ami de la famille. Plus tard, DeMille fut parfois appelé "le Belasco du cinéma" car il y adapta nombre de ses pièces. L'inspiration visuelle particulière de DeMille, surtout pour ses épopées religieuses, provenait principalement des versets de la Bible que son père accrochait sur les murs de sa chambre d'enfant et des saynètes d'ombres et de lumières organisées par Belasco.
Quand il se lança dans le cinéma en 1913 DeMille n'avait vu que très peu de films. Malgré le travail remarquable d'Edwin S. Porter, de D.W. Griffith et de beaucoup d'autres, le cinémz commençait à peine être reconnu, comme autre chose qu'une distraction tout juste bonne pour ceux que le Saturday Evening Post appelait "les individus à demi civilisés des bas-fonds". DeMille pourtant était convaincu que des films dans le style des productions de Belasco à Brodway pourraient drâiner un public beaucoup plus large et contribuer à lui ouvrir l'esprit. Il était déterminé à produire des films qui, au moins en longueur pourraient rivaliser avec les pièces de théâtre; tous ses films seraient des longs métrages.
Son premier comportait déjà beaucoup d'éléments qui allaient caractériser les oeuvres de sa maturité. Pourtant d'une pièce connue, DeMille était convaincu d'atteindre davantage de réalisme avec une caméra. Pour son premier film "Le Mari de l'indienne" (The Squawman,1913), donc, il travailla en collaboration avec un réalisateur confirmé, Oscar Apfel, se chargeant tant de la direction des acteurs que des aspects techniques. D'emblée, en faisant construire la scène et les plateaux de son studio, DeMille définissait sa conception de l'espace par rapport aux films. Au lieu des modestes plateaux utilisés par la plupart de ses contemporains, il exigeait de véritables décors en trois dimensions. Cas unique dans l'histoire du cinéma, DeMille signera deux "remakes" du même film, un premier en 1918, distribué en France sous le titre d' "Un Coeur en exil" (The Squawman) , et un second, sonore, en 1931, jamais distribué.
Il mit également en cause la technique de l'éclairage qui consistait alors à inonder le plateau d'une lumière aussi intense q'uniforme, et fit tendre au-dessus des plateaux des diffuseurs en toile (qui ressemblaient à de stores) afin de pouvoir jouer avec la lumière. Enfin, DeMille obtint des performances remarquables de tous les acteurs professionnels, tel Dustin Farnum, vedette du film ou non. Il eut très vite la réputation de pouvoir tirer des interprétations tout en finesse de la foule d'acteurs qu'il dirigeait. Le succès tant critique que public, du "Mari de l'indienne" permit à DeMille d'agrandir ses studios, d'engager des acteurs renommés, des scénaristes (comme les frères William), des opérateurs (comme Alvin Wycoff qui a réussi des effets de lumière extraordinaires dans les quarantes-quatre premiers films de DeMille) et des directeurs artistiques de talent (en particulier Wilfred Buckland qui travaillait auparavant avec Belasco). DeMille transféra ensuite l'ensemble du personnel et le matériel de New York à Hollywood. Il acheta également les droits de dix pièces de Belasco pour les adapter à l'écran, mais n'en réalisa que trois ou quatre, préférant ensuite travailler avec la scénariste Jeanie Mac-Epherson.
Pendant sa période muette, DeMille explora un grand nombre de genres cinématographiques, mais surtout le film à grand spectacle. Conçus à l'origine comme des tentatives d'innovation à grande échelle qui devaient surpasser toutes les précédentes adaptations théâtrales de DeMille, ces films contribuèrent pourtant à détruire sa réputation de réalisateur "sérieux". Le grand spectacle ne fut pourtant pas toujours objet de mépris aux Etats-Unis (le fondateur du genre n'était-il pas le grand Griffith avec "Naissance d'une nation" (The Bird of a Nation,1915) ?.
Mais dès les années 30, Hollywood semblait étrangement honteux de ce genre de films, comme s'ils lui rappelaient trop l'époque des pionniers du cinéma. Pour sa part, DeMille réalisa trois films à grand spectacle muets, trois épopées historico-religieuses mais qui ont leur style et leur ton propres. "Jeanne D'Arc" (Joan the Woman,1916), acclamé par la critique, valut aussitôt à DeMille l'étiquette de grand metteur en scène américain. Film expérimental plein d'énergie et d'une extraordinaire beauté plastique, il proposait également un regard sur les problèmes du moment. Le scénario, écrit par Jeanie Macpherson, devait faire partie d'un cycle destiné à mettre à l'honneur une grande dame de l'opéra, Géraldine Farrar. Plus ou moins inconsciemment, "Jeanne d'Arc" exprimait certaines craintes de la société devant la montée du féminisme par suite de l'arrivée des femmes dans le monde du travail au cours de la Première Guerre mondiale. Assorti d'un prologue et d'un épilogue qui se déroulaient dans les tranchées, l'ensemble du film prenait la forme du rêve d'un soldat britannique.
Maître de l'épopée religieuse, DeMille l'était également du mélodrame familial, de la comédie légère sinon osée ainsi qu'en témoignent "Après la pluie, le beau temps" (Don't Change Your Husband,1919) et "La Proie pour l'ombre" (Why Change Your Wife?,1920). Ces oeuvres à leurs qualités remarquables, mais surtout par leurs déploiements d'atours et de lingerie fine, leurs scènes de bal et d'orgies plus démesurées encore que celles des pièces de théâtre, contemporaines des films. Tous développaient à peu près la même intrigue (ceux quine trouvent pas le bonheur auprès de leur compagne sont en droit de le chercher ailleurs) et connurent un succès aussi vif qu'éphémère. Mais en drainant les foules avec ce genre de films, DeMille perdait du même coup les égards de la critique.
On en trouve un écho fidèle et ironique autant qu'injuste dans ce passage de l'"Histoire du cinéma" de Bardèche et Brasillach : "La découverte qui sert de base à toutes les autres mauvaises actions de Cecil B. DeMille fut celle du sex-appeal...On pouvait aussi concevoir une héroïne qui serait assez dangereuse pour inquiéter et assez honorable pour que tout se terminât bien. La romance généreusement distribuée calmait les consciences alertées, sans dissimuler véritablement le trouble charnel dont la représentation suffisamment honnête pouvait être agréable à plusieurs. Et en même temps, pour achever de rassurer tout le monde à la fois, par l'éloignement du sujet et la décense des manières, on convint que tout cela se passerait dans le grand monde où, comme on le sait, des séductions de haute qualité et des sentiments d'une admirable exigence se rencontrent derrière chaque tenture... Des femmes éblouissantes et douées chacune d'un charme merveilleux et discrètement pervers évoluaient au milieu des pensées les plus distinguées.
Cecil B. DeMille apprit à Babbit à baiser la main des comtesses..."La raillerie amusante et un peu facile, développée plus longuement par les auteurs, même si elle contient une part de vérité (quand elle s'applique au contenu des scénarios), n'en constitue pas moins une erreur d'appréciation sur la talent même de DeMille. L'accusation de "vulgarité" est inexacte et DeMille pouvait à l'occasion faire preuve d'un goût heureux.
C'est le décorateur français Paul Iribe "précurseur de l'art déco" et touche-à-tout qui collabora avec Cecil B. DeMille dans "L'Admirable Crichton" (Male and Female,1919) où le français réalisa pour Gloria Swanson une robe de perles qui fit date. Elle se poursuivit jusqu'en 1925, et Iribe habilla ou décora les films suivants, qui sont ceux-là même qu'incriminaient Bardèche et Brasillach : "Le Coeur nous trompe" (The Affairs of Anatol,1921), où il fit de Bebe Daniels une étonnante "femme pieuvre", "Le Détour" (Saturday Night,1922), "Le Réquisitoire" (Manslaughter,1922), "Triomphe" (Triumph,1924), "Le Tourbillon des âmes" (Feet of Clay,1924), "L'Empreinte du passé" (The Road to Yesterday,1925), "Le Lit d'or" (The Golden Bed,1925), tous films pour lesquels il réalisa des décors raffinés et des robes somptueuses pour Gloria Swanson, Jetta Goudal ou Leatrice Joy. Mais Iribe travailla également sur les décors de deux superproductions :"La Rançon d'un trône" (Adam's Rib,1923), où il construisit une gigantesque forêt préhistorique et surtout la première version des "Dix Commandements", pour lequel l'autre décorateur était Mitchell Leisen. Iribe échafauda une immense cité égyptienne de deux cent cinquante mètres de long et trente mètres de haut, décorée de sphinx pesant quatre tonnes. DeMille fut tellement satisfait de cette collaboration que, lorsque Iribe voulut passer à la réalisation. C'est lui-même qui produisit son premier film, "Souvent femme varie" (Changing Husbands,1924), dont la vedette était l'excellent acteur comique Raymond Griffith. Terminée par une brouille à propros du "Roi des Rois", cette collabroation durable entre un artiste inspiré et Cecil B. DeMille révèle chez ce dernier des préoccupations esthétiques qui, sur le moment échappèrent à beaucoup de contemporains. La légende du mauvais goût de Hollywood était si tenace qu'elle aveuglait les meilleurs esprits et DeMille resta victime de ce vieux préjugé, malgré tous ses efforts en sens contraire. A défaut des intellectuels, il avait pour lui le grand public et se consolait ainsi.
Mais certains des meilleurs films muets de DeMille, y compris "Forfaiture" (The Cheat,1915), tant admiré des critiques étaient des mélodrames beaucoup trop morbides pour avoir le même succès public que ses épopées, ses drames familiaux ou ses comédies mondaines. Attaché à son image d'artiste populaire, DeMille supporta mal le choc affectif et financier provoqué par l'échec du "Rachat suprême" (The Whispering Chorus,1918) -un film expressionniste très personnel qui essayait de pénétrer au-delà de la surface des choses et décrivait les méditations macabres d'un criminel rongé de remords, et il renonça plus ou moins à ce genre. Il y revint à l'occasion, en particulier avec un conte très réussi, "L'Empreinte du passé" , mais en général, avec le temps, cet aspect de son inspiration s'estompera dans ses productions commerciales.
A partir de "Forfaiture", sa suprématie n'est plus contestée, et le film de DeMille prit la signification d'un avénement. Louis Delluc lui-même, qui était loin de le tenir pour un chef-d'oeuvre, fut obligé d'en convenir :"Paris n'avait pas tort d'admirer puisqu'il voyait pour la première fois un film qui méritait le nom de film. Si les français arrivent peu à peu à comprendre quelques parcelles du cinéma, c'est "Forfaiture" qui en a la responsabilité." Et lui-même reconnaissait que ses préjugés initiaux contre le cinéma s'étaient effondrés au spectacle du film de DeMille et des mimiques magnifiques de Sessue Hayakawa. Même celle de Charlot vinrent après. "Nous avons eu "Forfaiture", répétait-il en leimotiv. Et Hayawaka fut un des premiers acteurs à qui Delluc appliqua l'épithète de "photogénique", à laquelle il fit le sort que l'on sait. L'acteur et sa partenaire Fannie Ward furent immédiatement promus grandes vedettes, et celle-ci, en1918, venait à Paris tourner deux films avec Baroncelli. Pourtant, contrairement à ses amis Lasky et Zukor, DeMille ne croyait pas aux vedettes et leur était hostile.
Réalisateur brillant, DeMille, dans ses films, faisait preuve d'un grand talent d'homme de spectacle. Sa direction d'acteurs était élégante, ses costumes éblouissants, ses éclairages parfaitement élaborés, toutes choses auxquelles David W. Griffith, son plus grand rival à l'époque du muet, attachait une moindre importance. Une telle intuition du spectacle, qui touchait souvent au génie, fut l'atout majeur de DeMille dans sa période muette. En fin de compte, Delluc n'avait pas tort de le situer sur le même rang que Griffith et Ince. C'est là qu'est sa vraie place, car il est vrai qu'il n'a pas fait "Naissance d'une nation", on lui dit sans doute un plus grand nombre de bons films qu'à l'un et à l'autre, même si cela ne se sait pas toujours.
2ème Partie en avril 2014 -"Les Rois des Rois" (1927) aux "Dix Commandements" (1956)
1915
Jeanne D'Arc (Joan The Woman,1916)
La Bête enchainée (A Romance of The Redwoods,1917)
Le Réquisitoire (Manslaughter,1922)
1923 - Les Dix Commandements
1927 - Le Roi des Rois
1933 - La Loi du Lynch
1935
1937 - Une Aventure de Buffalo Bill
1939
1942
1944 - L'Odyssée du Docteur Wassell
1952
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