MARGUERITE MORENO, LA COQUETTE
MARGUERITE MORENO 1871 - 1948
Comédienne Française
Marguerite Moreno, de son véritable nom Monceau, est née le 15 septembre 1871 à Paris. En 1890, elle remporte le premier prix de tragédie au Conservatoire et entre à la Comédie Française pour y jouer la reine dans "Ruy Blas" de Victor Hugo. Compagne de l'écrivain Marcel Schwob jusqu'à la mort de celui-ci en 1905. Entourée d'amis poètes : Verlaine, Mallarmé, Jean Moréas. Marguerite Moreno donne des récitals de poésie qui valent d'être surnommée la "Muse du Symbolisme.
Elle s'est évadée de la Comédie Française qui la condamnait au pensionnariat à perpétuité; Sarah Bernhardt la récupère et, gaillarde. Marguerite crible son entourage de mots barbelés qui écorchent et de propos directs et sensuels. Pourtant ses portraits la montrent flexible et longue avec une physionomie pensive encombrée par un nez impérieux. Léautaud constate encore : "On la trouve laide, on n'est pas laide avec un visage si expressif, si fin en même temps - les yeux, le nez, la bouche sont pleins d'esprit. Elle en a d'ailleurs comme rarement chez une femme. C'est la malice et la satire féminines en personne." Appréciés des hommes, au demeurant, elle passe des bras de Catulle Mendès à ceux du comte de Dion puis de Jean Duragon et gardera ce bel appétit jusqu'au seuil de la vieillesse, lestement franchi. On se rappelle à ce propos les pages colorés que Blaise Cendrars lui accord au début du roman "Emmène-moi au bout du monde".
Le cinématographe, Moréno le fréquente peu et mal. Passée la Grande Guerre, sous un maquillage plâtreux, yeux cernés, bouche en cerise, elle représente Anne d'Autriche dans "Vingt ans après" (1922) de Henri Diamant-Berger. Elle fournit parfois une réplique muette à Maurice Chevalier dans des pochades du même réalisateur "Le Mauvais garçon" (1923). A la fin du muet, Alberto Cavalcanti dans "Le Capitaine Fracasse" (1928) l'incline déjà vers la caricature (Elle est Dame Léonarde, une de ces douanières dont elle sera fera, dès les années trente, une spécialité : hautaine, bougonne, pétillante d'intelligence et de malice, souvent drôle mais trop majestueuse pour être ridicule). Elle s'est expatriée en Amérique du Sud assez longtemps. Dès son retour; elle abdique toute coquetterie, s'affuble de courtes jupes en lamé, coiffe ses cheveux coupés à la garçonne de chapeaux cloche, porte à ses lèvres un immense fume-cigarettes et grave ses rôles au vitriol.
Maurice Martin du Gard qui l'observe dans la pièce d'Edouard Bourdet "Le Sexe faible" écrit : "Madame Moréno a le rôle d'une vieille comtesse slave qui, pour s'occuper son ennui, lève et paie les beaux garçons... Quand on la vit entrer : "Pas possible, s'écria ma voisine, c'est un homme habillé en femme." Martin du Gard conclut avec une paisible malice : "Ce n'est pas si mal vu."
Prestigieuse pensionnaire de la Comédie Française à l'aube de sa carrière, Marguerite Moréno prend modestement pension aux studios Paramount de Joinville au début des années trente. Elle y tourne film sur film, court ou long métrage, dont peu mériteraient de rester dans l'histoire du 7ème Art. La comédienne accepte sans sourciller tout les emplois qu'on lui propose. Passant des bourgeoises soupçonneuses aux cyniques maquerelles - Pierre Caron "Bécassine" (1939), Jean de Marguenat "La Grande Marnière" (1942), Bernard Roland "La collection Ménard" (1943), Paul Mesnier "Le Valet maître" (1941) spéculent à tour de rôle sur son talent et sa notoriété. Seule Marguerite Deval exploite son comique à ressorts, remonte les rouages invisibles et bouscule ses camarades en surgissant comme un diable au milieu des scènes anodines.
Elle est en mal d'amour dans "Un trou dans le mur" (1930), insupportable ménagère dans "Train de plaisir" (1935) de Léo Joannon, douairière dont l'autorité tourne à vide dans "Tout va très bien Madame la Marquise" (1936) d'Henri Wulschleger, déesse égarée dans le carton pâte "Les Dieux s'amusent" (3935) de Reinhold Schünzel et Albert Valentin. Il faut souligner ses disgrâces physiques, grossir sans cesse le trait en évitant l'outrance et son amie Colette relate un incident : " Je prête à Moréno un mot que je veux qu'elle ait dit. Pendant une prise de vues, le metteur en scène lui crie "Attention, bon Dieu, Moréno, tu es jolie - Je te demande pardon mon vieux, répond Moreno, j'étais distraite."
A partir de cette attitude, démentie dans la vie quotidienne où l'actrice joue la coquette et se croint le point de mire, que peut lui importer la qualité des films où elle s'aventure et de tourner avec Pierre Caron "La Féssée" (1937), "Les Femmes collantes" (1938) et "L'Accroche-Coeur" (1938). Cependant, pour ce dernier titre, Sacha Guitry fournit sa caution, trop content d'avoir récupéré l'artiste, irritée par une brouille prolongée. Sacha lui écrit des répliques qui font mouche, lui concède le privilège dans "Le Roman d'un tricheur" (1936) de l'unique scène dialoguée, la dote de l'accent anglais dans "Le Mot de Cambronne" (1937), espagnol dans "Ils étaient neuf célibataires" (1939). Là, incandescente marchande de guano, elle soupire pour le regard de braise de Max Dearly. Enfin grand-mère philosophe de "Donne-Moi tes yeux" (1943), elle fredonne les regrets qui se lèvent en elle au souvenir "de son bras si dodu, de sa jambe bien faite et du temps perdu".
Les artifices de son art qu'elle exploite à fond lui permettent de gonfler d'émotion des mannequins conventionnels "Ces Dames aux chapeaux verts" (1937) de Maurice Cloche et de donner couleur et relief à des apparitions furtives "Derrière la façade" (1939) d'Yves Mirande et Georges Lacombe. Si sa composition de la Thénardier manque de vigueur "Les Misérables" (1933) de Raymond Bernard avec Harry Baur dans le rôle de Jean Valjean et Charles Vanel dans celui de Javert. Elle prend sa revanche dans "Le Coupable" (1936) du même réalisateur. Aveugle et soupçonneuse, elle oblige une malheureuse servante à ramasser des fraises en chantant des cantiques pour être sûre que pas un fruit ne sera distrait; Dans "La Dame de pique" (1937) de Fédor Ozep, elle insuffle une mystérieuse grandeur à la vieille folle qui possède le secret des cartes et elle pare la Mamèche de "Regain" (1937) de Marcel Pagnol d'une impassibilité qui touche à la grandeur. Elle retrouve à plusieurs reprises les châles, les philtres et les tarots des cartomanciennes "Le Danuble bleu" (1939) d'Alfred Rode, "Carmen" (1942) de Christian-Jaque; "Chemins sans loi" (1946) de Guillaume Radot. Le pittoresque lui plaît, elle ne le néglige jamais.
Elle atteint les sommets et tend la perfection sur la fin de sa carrière et de sa vie. A force de présence, elle pousse au premier plan la grand-mère de "Douce" (1943) de Claude Autant-Lata, la terrible aïeule, intoxiquée de préjugés, claquemurée dans sa caste, dévorée d'affection pour sa petite-fille mais qui vacille à peine en apprenant sa mort et foudroie ceux qui ont provoqué le drame. Dans le registre satirique du "Revenant" (1946) de Christian-Jaque, la tante Jeanne qui compte les points et cache ses sous ne le cède en rien à Madame de Bonafé. On s'avise, quand elle détaille son monologue à l'intention de Jouvet, de ce que devraient être ses interventions dans les petits théâtres où elle faisait craquer le cadre étroit et fragile des revues à la mode.
Moréno trouve son apothéose au théâtre avec "La Folle de Chaillot" et les diaprures du texte de Giraudoux. Elle devient tardivement, une des reines de Paris. On lit ses "Souvenirs d'une vie" qui rassemblent des écrits épars et elle apparaît en réceptionniste de l'au-delà dans "Les Jeux sont faits" (1947) de Jean-Paul Sartre et Jean Delannoy. Elle fixe d'un face à main altier les ombres errantes sans leur accorder rien d'autr qu'une indifférence polie. L'éternité a commencé pour elle. Marguerite Moréno s'éteint un soir de 14 juillet 1948 à Touzac dans sa propriété de Dordogne. La fidèle Colette écrit aussitôt au cousin de celle qu'elle appelait affectueusement "Malguelite" : "Je n'ai pas vue partir, je ne l'ai pas sentie partir, je ne la sens pas partie. Comme c'est triste, comme elle était peu faite pour être morte
Avec le concours de Olivier Barrot et Raymond Chirat "Les exentriques du Cinéma" aux éditions Henry Veyrier
1928 1930
1932
1933
1935
1936
1937
1938
1939
1941 1942
1943
1946
1947
1948
__________________________________________