JEAN TISSIER UN EXENTRIQUE DU CINEMA FRANCAIS
JEAN TISSIER 1896 - 1973
Comédien Français
L'aura-t-on vu sur les écrans, furtif et omniprésent, le dos rond, la mèche floue, flairant le décor, toisant ses partenaires. Son oeil d'almée glisse en coulisses, voilé par la paupière lourde. Est-ce pour masquer sa suavité, ou au contraire, pour en accentuer la saveur qu'il attaque vigoureusement ses répliques pour les diluer, en fin de course, dans un sirop où les syllabes se noient et fondent? Après ces débuts, recommencés sans cesse, où la ténacité remplaçait chez lui la pugnacité, ayant épuisé l'amertume des avanies parisiennes, à la morosité et la fatigue des tournées, il parvient à fixer sa silhouette, à exploiter à son avantage l'affaissement ironique qui la caractérise : "J'étais devenu inséparable d'une certaine conception languissante...hésitante...flasque...d'un être aux réactions sans détente...j'étais un mou." Il a saisi son personnage, défini son espace, reconnu ses limites. Il évitera dorénavant de le modifier, mais s'emploiera à l'affermir, souple et indéracinable comme le roseau de la fable.
Les Excentriques du cinéma français -Raymond Chirat & Olivier Barrot -Editions Henri Veyrier
Jean Tissier est né le 1er avril 1896 à Paris. On l'entrevoit peut-être au temps de l'art muet. En souvenir de la grande comédienne Réjane, vers laquelle son affectueuses reconnaissance, il figure, dit-on dans la "Madame Sans-Gêne" (1925) de Léonce Perret. Mais les spectateurs qui, pendant l'Occupation, ont cru le reconnaître, le temps d'un flash, en grognard de la Grande Armée, lors d'une reprise de "Napoléon" (1925-1927) d'Abel Gance, n'ont-ils pas été victimes d'un phénomène d'intoxication visuelle? Tissier, devenu alors la coqueluche des foules, de démène et se multiplie : vingt cinq films en quatre ans. En vedette pour quelques uns. On voit Tissier partout et on croit le voir à l'occasion.
On a la confirmation, qu'il a bien joué, en 1929, dans "Intermède", court métrage de Gaston Biard et René Guy-Grand, qui marquerait les véritables débuts à l'écran de ce comédien de théâtre. On le signale aussi dans "Le Séducteur ingénu" (1931) et dans "Le Millionnaire" (1932) de Jim Kay. Son premier grand film "Le Monde où l'on s'ennuie", tourné en 1934, sorti en 1935, réalisé par Jean de Marguénat avec André Luguet et Josseline Gaël. Il y incarnait un sentencieux raseur et arriviste, parasite déjà comme il sera souvent au long d'une carrière riche en silhouettes nonchalantes et lunaires trainant avec élégance leur ennui. L'acteur va perfectionner le personnage, affiner sa dégaine, le métamorphoser en snob, en parasie, en noble décadent, en couturier inspiré, en banquier cupide. Il ne dédaigne pas non plus de revêtir la livrée, triomphe à la scène dans "L'Inconnue d'Arras" de Salacrou où il campe une sorte de Sganarelle moderne, perspicace et déférent. Ainsi le verra-t'on au cinéma dans "Quartier Latin" (1938) de Pierre Colombier, "Nuit de décembre" (1939) de Kurt Bernhardt, "La Dame d'Onze heures" (1947) de Jean Devaivre avec Paul Meurisse, Pierre Renoir Micheline Francey et aussi dans "Le Capitan" (1945) de Robert Vernay avec Pierre Renoir, Aimé Clariond et Jean Tissier où la souquenille du valet Cogolin l'habille à ravir.
Son talent s'accomode aussi des amis de la famille, encombrants, bavards, ébouriffés, ébouriffants, de ces gentils copains qui campent dans l'appartement, bouffent les provisions, quémandent, mais, la main sur le coeur, jouent les terre-neuve et se donnent bonne conscience. Leur modèle reste le Roland de "Battement de coeur" (1939) d'Henri Decoin, qui, de fil en aiguille et à son corps défendant, la bouche pleine et le portefeuille vide, contribue au bonheur final de Danielle Darrieux et Claude Dauphin. Mais combien d'autres : le gangster affectueux de "J'étais une aventurière" (1938) de Raymond Bernard, le prof de maths perdu dans les équations de "Premier Rendez-Vous" (1941) d'Henri Decoin, le pianiste qui mêle la blague aux arpèges "Le Dernier des six" (1941) de Georges Lacombe, l'ouvrier parigot, casquette sur l'oeil, sourire aux lèvres de "Romance de Paris" (1941) de Jean Boyer ou le visiteur intempestif des "Casse-pieds" (1948) de Jean Dréville, qui ruine les rendez-vous galants et dévaste les assiettes de petits fours.
On est obligé à regret dans une carrière aussi touffue de choisir et d'élaguer. En 1949,1950,1955, Jean Tissier tourne dix films dans l'année : douze en 1956. Oubliant que "l'ennui naquit un jour de l'uniformité", Tissier ne se renouvelle guère mais conserve l'oreille du public. On le surnomme cordialement "le nonchalant qui passe", alors qu'en réalité il reste solide à son poste. L'Occupation, qui consomme des films anodins et intemporels, chérit ce grand garçon, à la veulerie sympathique, qui s'empêtre dans ses imperméables, fait joujou avec des pince-nez, affectionne les pochettes alanguies, et semble esquisser une perpétuelle valse lente. Hésitations rentrées, émois honteux, frémissements timides amortissent les éclats de "Vingt-cinq ans de bonheur" (1943) de René Jayet, de "Chèque au porteur" (1941) de Jean Boyer. Il se dédouble dans "Ce n'est pas moi" (1941) de Jacques de Baroncelli, conquiert Arletty dans "L'Amant de Bornéo" (1942) de René Le Hénaff et Jean-Pierre Feydeau, subit le joug de Saturnin Fabre dans "Le Merle Blanc" (1944) de Jacques Houssin, file doux devant Suzanne Dehelly dans "A vos ordres Madame" (1942) de Jean Boyer.
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Il faut aussi évoquer les mondains qui parlent pour ne rien dire et s'esclaffent à contretemps. Plus fouillés, ils auraient pu se pavaner dans le salon de Madame Verdurin. Voici le couturier prodigue en pirouettes des "Femmes collantes" (1938) de Pierre Caron, le directeur du ministère des Dons et Legs "Messieurs les ronds-de-cuir" (1937) d'Yves Mirande, le commandant Fourcadet qui fait carrière en distribuant des baisemains "Le tampon du capiston" (1950) de Maurice Labro. Voici les aristocrates vannés de "Gigi" (1948) de Jacqueline Audry et des "Petites Cardinal" (1950) de Gilles Grangier. Cafard et doucereux, voici Ducup, le juge d'instruction des "Inconnus dans la maison" (1941) d' Henri Decoin, tout acquis aux coteries bourgeoises et à leurs mesquineries. On le voit encore insomniaque et président d'une ligue contre le bruit "Le Grand Elan" (1938) de Christian-Jaque, cabot avantageux chantant "Mademoiselle, écoutez-moi donc..." avec Gaby Morlay, tombée bien bas dans "Lunegarde" (1944) de Marc Allégret (A suivre)
Avec le Concours des "Excentriques du cinéma français" -Raymond Chirat & Olivier Barrot -Editions Henri Veyrier
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