JEAN GREMILLON, cinéaste maudit ?
JEAN GREMILLON 1901 - 1959
Cinéaste, scénariste français
Il est l'un des plus grands noms du cinéma français, avant-gardiste, il contribue à l'avancé d'un certain réalisme poétique, en y incluant souvent, la nature, le vent, la mer...Le succès du film "Remorques", en 1941, devait constituer pour Jean Grémillon une revanche sur quinze ans de déboires. Les deux films qu'il tournera ensuite seront des chef-d'oeuvres. Considéré comme un cinéaste maudit, aucun de ses films n'obtint de véritable succès commercial, cependant, c'est au coeur d'une des périodes lesplus sombres de notre histoire, que "ce cinéaste maudit" va pouvoir le mieux s'exprimer, et dans l'oeuvre de ce metteur en scène de gauche, s'il en fut, la période "vichyssoise" apparait comme une trop brève saison privilégiée. Exemple d'un de des nombreux paradoxes qui ne cessèrent d'illustrer la vie de Grémillon...
Il disparait au même moment que deux grands acteurs du cinéma français, tout cela était trop prématuré, je n'ai pas connu cette époque, mais peut être que la mort de Jean Grémillon a t'elle aussi, était éffacée par le décès du "prince de Hambourg" -Gérard Philipe, ou celui d'Henri Vidal, qui n'a pas eu le temps lui aussi, de donner encore plus d'éloges à une carrière trop brève.
Jean Grémillon pendant le tournage de "Lumière d'été"
Jean Grémillon naquit à Bayeux le 3 octobre 1901. Décédé le 25 novembre 1959. Sa première vocation est la musique; à son arrivée à Paris, il sera l'élève de Vincent d'Indy à la Schola cantorum. Cela le conduisit à devenir violoniste de cinéma, accompagnant la projection de films muets. Plus tard, il composera la musique de certains de ses films (notamment LE SIX JUIN A L'AUBE). Il entre dans le cinéma comme titreur, puis s'oriente vers le documentaire. D'emblée, il s'impose comme un " expérimentateur " de talent.
Il passa à la réalisation de courts métrages industriels (une trentaine), dont il fit un montage d'extraits, essai de "rythme pur", dans le goût de l'avant-garde de l'époque, intitulé "Photogénique mécanique" (1924) et qui obtint un certain succès, dans les milieux spécialisés.Négligeant la routine, il hisse le court métrage, quel qu'en soit le sujet (la Cathédrale de Chartres, le revêtement des routes, les Aciéries) au rang d'une œuvre d'art.
Se souvenant de son ascendance bretonne, il réalise en 1926 "TOUR AU LARGE", à bord d'un thonier, ce "documentaire impréssionniste très surfait et artificiel en diable", s'il faut en croire Jean Mitry. Vint ensuite "Maldone" (1927), son premier film de fiction, sur un scénario de d'Alexandre Arnoux, interprétés par Charles Dullin et Genica Athanasiou. Un mélodrame...
En 1928, ce fut "GARDIENS DE PHARE", d'après un scénario de Jacques Feyder, et qui fut son premier grand succès, en dépit de l'influence un peu trop sensible du cinéma soviétique. Le sujet: l'odyssée de deux hommes bloqués dans un phare à Saint-Guénolé. Avec Charles Dullin. Ainsi, à la fin du muet, Grémillon, issu de l'avant-garde, commençait à bénéficier d'un renom d'un artiste prometteur, et, à 27 ans, faisait figure de future valeur sûre du cinéma français.
L'apparition du parlant, et l'echec de sa première tentative dans ce domaine, virent ruiner cette réputation pour des années. En 1930, Grémillon l'abordait avec,son premier film parlant, "LA PETITE LISE", mélodrame naif, sur un scénario du grand Charles Spaak. Il s'agissait d'un essai prématuré de " réalisme poétique ", il y vit surtout l'occasion de recherches sur les rapports à établir entre l'image, le son, la parole, et la musique, domaine qu'il était particulièrement qualifié pour explorer. Avec son ami, le compositeur Roland Manuel, il poussa dans cette direction, sans recueillir malheureusement le profit qu'il pouvait en espérer. Public et critique furent également déconcertés, et l'echec de "LA PETITE LISE", pesa lourd sur la suite de sa carrière de cinéaste. L'actrice Nadia Sibirskaia (1901-1980), conserva un souvenir très fort du tournage : "(...) L'affreux meurtre de Mihalesco? (...) Grémillon voulait que ce soit comme à l'abattoir, avec du sang partout . On en parlait, on en parlait et moi, j'étais chaque jour un peu plus subjuguée par la scène à faire. Et puis on s'est mis à reculer le tournage, jour après jour, de la fameuse scène. Mais moi, je continuais à rêver, à me mettre dans la peau de la petite Lise, tant et si bien qu'une nuit mon mari se réveille en sursaut et à tout juste le temps de m'empêcher d'escalader la fenêtre et de me jeter du quatrième..."(Cinéma 61" , no 60).
"Jean Grémillon a réalisé cette histoire avec une honnêteté extraordinaire, montrant ses personnages tels qu'il les voyait, tels que sa sensibilité lourde et enveloppante les percevait et s'intéressant à eux et à leur atmosphère en gardant toujours la fierté de son émotion intime, une émotion lente, forte, sans jamais nous flatter ni essayer de nous flatter..." (Jean-Georges Auriol, in La Revue du Cinéma, 1er janvier 1931).
Maldone (1929) avec Charles Dullin
Gardiens de phare (1929)
De 1930 à 1933, il ne réalisa que de pures besognes de commande : "DAINAH LA METISSE" (1930) (film mutilé et désavoué par l'auteur), "POUR UN SOU D'AMOUR" (1931), qu'il refusa de signer, "Le petit babouin" (1932) et "Conzague" (1932), deux courts sujets de fiction qu'il vaut mieux oublier. Dégoûté, Grémillon s'exila en Espagne de 1933 à 1935. Il y réalisa qu'un seul film, "LA DOLOROSA" (1934),avec pour directeur de production Luis Buñuel, il s'agissait d'un opéra-comique absurde et parfois ridicule, dont en peu retenir quelques belles images d'exterieurs, ou le cinéaste exprime ses nostalgies d'artiste.
En 1935, Raoul Ploquin, directeur de la production française de l'UFA le fait venir à Berlin, ou il va commencer à pouvoir remonter la pente. 1936 -"La Valse royale", version française d'une sucrerie austro-bavaroise, dans un genre alors florissant, avec Renée Saint-Cyr et Henri Garat, ainsi que sur "Les Pattes de mouche", tiré d'une pièce de Victorien Sardou et dialogué par Roger Vitrac, rencontre qui laisse perplexe. Toujours en Allemagne, mais en version française seulement, Grémillon réalise un film plus ambitieux et qui va lui permettre, enfin de renouer avec le succès, "GUEULE D'AMOUR" (1937). Il y retrouvait Charles Spaak et y faisait la rencontre de Jean Gabin, qui interprétait un beau spahi amoureux et assassin. A cause d'un scénario archi-conventionnel, le film a aujourd'hui beaucoup vieilli, mais il marquait néanmoins pour Grémillon la sortie du tunnel.
Beaucoup plus intéressant fut "L'ETRANGE MONSIEUR VICTOR" (1937) tourné la même année et dans les mêmes conditions, c'est-à-dire en Allemagne, en version française uniquement, Raoul Ploquin était toujours directeur de production et Charles Spaak scénariste, mais en compagnie cette fois d'Albert Valentin et de Marcel Achard, ce dernier codialoguiste. Aux côtés de Raimu, Viviane Romance qui commençait à s'affirmer, on pouvait voir aussi Pierre Blanchar, Blavette, Delmont...Ainsi remis en selle Grémillon put rentrer en France et s'attaquer à un grand projet.
Ce fut "REMORQUES" (1939), adapté d'un roman de Roger Vercel, on fit appel à Charles Spaak, puis succèda le futur réalisateur André Cayatte, avant que Jacques Prévert repris et signa les dialogues. Grémillon commença le tournage au début de l'été 1939. Il avait obtenu le concours de la Marine Nationale et disposait de plusieurs cargots et remorqueurs. Il dû se contenter d'une partie du matériel, à cause du mauvais temps. Le 11 août 1939, il s'installa aux studios de Billancout ou avait été construit le décorc du bistrot. Le 2 septembre 1939, Grémillon fut mobilisé et du coup, le film stoppé. Il ne put être repris qu'en mai 1940, lors d'une permission, il tourna d'autres séquences, de nouveau interrompu, le film fut repris en studio qu'en janvier 1941.
Entretemps, le producteur avait émigré aux Etats-Unis, et le film fut distribué en France par la Tobis allemande. Après dix-huit mois de vaches maigres, il fut particulièrement bien accueilli et le public retrouva avec joie le couple Gabin-Morgan. Quant à la critique de la presse "collaborationniste", elle fit une véritable fête à ce qui apparaissait comme la grande rentrée de ce cinéaste de gauche. Ainsi, dans "Je suis partout", Lucien Rebatet écrivait : "Je veux simplement dire aujourd'hui le plaisir que me fait le succès de Jean Grémillon. Je ne crois pas qu'il y ait un auteur de cinéma qui ait collectionné plus de malchances, davantage souffert de l'anarchie de notre ancien cinéma. N'est-il pas honteur que l'artiste qui a crée ce film robuste et d'un si beau métier ait été pendant des années, contraint à des besognes anonymes et écoeurantes chez des négriers de l'écran?. Je connais Grémillon de longue date, sa tenacité bretonne et ses dons. J'ai toujours pensé qu'il finirait par avoir une revanche."
"Remorques" ne fut que le début de la revanche; le film se ressentait un peu, malgré tout, des conditions de tournage et les tempêtes en studio firent l'objet de certaines critiques....
Jean Gabin et Michèle Morgan
La revanche véritable serait pour 1942, avec "LUMIERE D'ETE", qui demeure aujourd'hui, sans doute, le chef d'oeuvre de Grémillon. Pour ce film, Jacques Prévert avait écrit un de ses meilleurs scénarios, hormis ceux qu'il a fait pour Marcel Carné, et sa collaboration avec Grémillon apparaît ici bienplus convaincante que dans "Remorques". L'histoire comportait une part de satire sociale, assez virulente dans le climat de l'époque; le film frôla du reste l'interdiction complète par la censure de Vichy. Il ne fut autorisé qu'à la suite d'une série d'incidents qui provoquèrent la démission du président de la commission de censure qui n'était autre que l'écrivain Paul Morand. Les personnages inventés par Prévert avaient un relief étonnant, que soulignait encore une interprétation extraordinaire, dominée par un Pierre Brasseur des grands jours, aux côtés de qui Madeleine Renaud, Madeleine Robinson et Paul Bernard faisaient jeu égal, ce qui était méritoire. Bizarrement, le film fut attaqué surtout sur son scénario, pourtant le meilleur que Grémillon ait jamais tourné.
L'opposition entre l'univers du chantier, qui exaltait le monde du travail et celui des privilégiés oisifs et corrompus auquel appartenaient les principaux personnages fut jugée sommaire, voire simpliste. Il fallut attendre un article célèbre d'Henri Agel, en 1951, "Grémillon ou le tragique moderne", pour que justice soit complètement rendue au film, et Prévert et Grémillon associés dans un même éloge. Agel exprimait fort bien la signification de "Lumière d'été" : "Chaque groupe de personnages incarne ici -avec toute la complexité et le naturel qui conviennent - des réalités éthiques qui sont aussi symbolisées par les modalités du décor : santé, fraîcheur, don de soi, ouverte à la vie et au vrai chez les uns, perversité, déssèchement, repli sur soi, fuite de la vie, mensonge chez les autres..."
En 1943, un projet de film fut abondonné "Sylvie et le fantôme", repris en 1945, par Claude Autant-Lara. A la place de ce projet, Grémillon réalisa son troisème grand film de lapériode : "LE CIEL EST A VOUS" (1943). Il y retrouvait son ancien producteur Raoul Ploquin de l'UFA...Le scénario, d'Albert Valentin et Charles Spaak, s'inspirait d'une histoire vraie, celle d'une femme de garagiste de province qui, ayant appris à piloter, était devenue championne du monde d'aviation en battant un record de distance du vol en ligne droite. Après quoi, elle était rentrée chez elle et on n'en avait plus entendu parler. De cette histoire sobre et exaltante, Grémillon fit un film très beau, d'une éloquence discrète qui emportait la conviction et qui fit l'unanimité. Mais sans qu'il y fut pour rien, cette unanimité se fit dans la discorde, et "Le ciel est à vous" devint l'enjeu d'une polémique mémorable et même historique. Le film fut présentée en février 1944, une des périodes les plus noires de la guerre et de l'occupation, alors que le sort basculait, mais que bien des incertitudes demeuraient. Il fut exceptionnellement bien reçu par la presse parisienne...Côté distribution, hors mis Madeleine Renaud dans le rôle de la championne, à ses côtés : Charles Vanel, Jean Deboucourt.
Aussitôt après la libération de Paris, Grémillon, accompagne de Louis Page, partit, sans moyen en Normandie, juste après la bataille, avec l'idée de fixer l'état du champ de bataille. Après 27 jours de travail, les images obtenues furent présenté à Jean Painlevé, directeur générale du cinéma qui décida, vu la valeur des documents, la Coopérative générale du cinéma à produire un documentaire de moyen métrage sur le débarquement anglo-américain intitulait "LE SIX JUIN A L'AUBE", ce qui obligea Grémillon à retourner en Normandie pendant l'été 45. Le film fut exploité qu'en mars 1949. Quelques-uns de ses projets les plus ambitieux (LE MASSACRE DES INNOCENTS, LE PRINTEMPS DE LA LIBERTÉ) ne virent jamais le jour.
Le Six juin à l'aube (1945) de Jean Grémillon
En 1948, Grémillon peut enfin de nouveau réaliser un film, "PATTES BLANCHES" avec Suzy Delair dans un rôle inhabituel, Fernand Ledoux et Paul Bernard. Il s'agit d'un scénario de Jean Anouilh qu'il comptait réaliser lui-même, avant d'en être empêché et d'être remplacé presque au pied levé par Grémillon. Malgré cela, c'est tout de même un grand film et sans doute un des plus méconnus. Il atteint à une sorte de curieuse poésie. Ce fut un echec commercial.
En 1950, "L'ETRANGE MADAME X", mélodrame bourgeois indigeste, souffrira surtout d'un scénario larmoyant et nourri de conventions venues d'un autre âge, destiné à fournir des rôles sur mesure au couple alors à la mode formé par Michèle Morgan et Henri Vidal. La beauté de Michèle Morgan bien photographié par Louis Page, est d'ailleurs, un des meilleurs éléments de ce film.
Beaucoup plus intéressant sera "L'AMOUR D'UNE FEMME" (1953), avec Micheline Presle, Gaby Morlay et Julien Carette, ce fut le dernier long métrage du cinéaste, dans lequel il retrouvait la Bretagne de ses débuts, Ouessant exactement, ou était située l'histoire d'une femme médecin à qui Micheline Presle donnait beaucoup de relief. Après ce film, Grémillon a encore six ans à vivre, qu'il consacrera essentiellement à réaliser quelques courts métrages.
"LES CHARMES DE L'EXISTENCE" (satire humoristique de la peinture académique de l'époque 1900, lui avait déjà montré la voie), "LES DÉSASTRES DE LA GUERRE" (d'après Goya), "HAUTE LISSE" (les tapisseries des Gobelins) et le dernier, prétexte à une admirable méditation sur la création artistique : "ANDRÉ MASSON ET LES QUATRE ÉLÉMENTS".
Jean Grémilon meurt prématurément à 58 ans, le 25 novembre 1959. Son oeuvre existe bel et bien et constitue un des ensembles les plus riches du cinéma français de cette période. Le cinéma de Grémillon est une des pièces maîtresses de ce courant réaliste français des années 30 et 40, qui constitue l'un des aspects les plus intéressants de la production nationale de ce temps.
Sa vision du "tragique quotidien" (selon le mot de Pierre Kast) n'est jamais médiocre, terre à terre, mais portée chaque fois par un bel élan lyrique. Jean Grémillon est enterré au cimetière de Saint-Sulpice de Favières.
FILMOGRAPHIE
- 1923-1928
(30 courts métrages détruits ou disparus)
Nombreux courts métrages documentaires dont :
Chartres
L'éléctrification de la ligne Paris-Vierzon
L'Auvergne
La vie des travailleurs italiens en France
La croisière de "l'Atalante"
Le roulement à billes
Bobs
- 1925
Photogénie mécanique (c.m. d'avant garde)
- 1926
Tour au large
- 1927
MALDONE
- 1928
GARDIENS DE PHARE.
- 1930
LA PETITE LISE.
- 1931
DAINAH LA METISSE (film mutilé et désavoué par l'auteur).
- 1932
POUR UN SOU D'AMOUR (non signé)
LE PETIT BABOUIN (court métrage).
- 1933
GONZAGUE ou L'ACCORDEUR (moyen métrage).
- 1934
LA DOLOROSA. (En Espagne)
- 1935
CENTINELLA ALERTA! (En Espagne)
- 1936
LA VALSE ROYALE (version française)
PATTES DE MOUCHES.
- 1937
GUEULE D'AMOUR.
- 1938
L'ÉTRANGE MONSIEUR VICTOR.
- 1941
REMORQUES.
- 1943
LUMIÈRE D'ÉTÉ.
- 1944
LE CIEL EST A VOUS.
- 1945
LE SIX JUIN A L'AUBE.
- 1949
PATTES BLANCHES.
- 1951
L'ÉTRANGE MADAME X.
- 1949-1958
Courts métrages documentaires dont :
LES CHARMES DE L'EXISTENCE
LES DÉSASTRES DE LA GUERRE
ASTROLOGIE
LA MAISON AUX IMAGES
HAUTE LISSE
ANDRÉ MASSON ET LES QUATRE ÉLÉMENTS.
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