EDOUARD DELMONT           1883 - 1955

Acteur Français

Avec son corps, sec et noueux, que le sol semble toujours attirer, son visage émacié où deux yeux ronds brillent au-dessus de la maigre moustache, c'est un santon dont la peinture s'écaille comme se brise la voix usée. Invoquer Delmont c'est conjurer toutes les légendes qui relient d'un fin réseau Alphonse Daudet à Marcel Pagnol. Mais son talent l'a soustrait à l'empire du Midi, à l'instar de Raimu, de Charpin ou de Tramel. Il a été, lui aussi, à la rude école du music-hall. Il a connu les espoirs et les fatigues des tournées.

 

Edouard Delmont est né le 5 décembre 1883 à Marseille. Il fut ouvrier métallurgiste avant de se lancer dans le théâtre : tour à tour acteur, régisseur, administrateur de tournées; lui aussi a débarqué en 1931 à Paris pour s'y fondre aussitôt dans le chœur des Marseillais de la capitale qui travaillait durement, se raccrochant pourtant "Au pays du soleil", titre d'une opérette que Delmont interprète deux fois à l'écran : en 1934, sous la houlette de Robert Péguy; en 1951, sous l'égide de Maurice de Canonge. Delmont débute au cinéma en 1931, sous la direction de Marc Allégret dans "Mam'zelle Nitouche" avec Raimu, qu'il retrouvera au film suivant dans "Marius" (1931) réalisé par Alexander Korda d'après Pagnol, et la suite "Fanny" (1932) de Marc Allégret et "César" (1936) de Marcel Pagnol.

 

Daudet dont il burine quelques fameux personnages : l'abbé Germane, protecteur bourru du "Petit Chose" (1938) de Maurice Cloche avec Robert Lynen, le berger Balthazar, familier des étoiles, qui regarde son jeune maître mourir d'amour "L'Arlésienne" (1941) de Marc Allégret ou Maître Cornille, détenteur d'un douloureux secret "Les Lettres de mon moulin" (1954) de Pagnol. Le point de jonction, posé par ce dernier film, entre l'écrivain de la Provence du siècle passé et celui qui a voulu retrouver la veine des anciens félibres marque un point de rupture. Pagnol va disparaître et Delmont entrevoit la fin. Bras dessus, bras dessous, les deux hommes se seront longtemps promenés sur les routes blanches de poussière, s'arrêtant près d'une fontaine villageoise, le temps que l'un écrive pour l'autre les récits de Maillefer dans "La Femme du boulanger (1938) ou les plaintes de Gaubert dans "Regain" (1937). Que de haltes heureuses, de "Marius" à "Manon des Sources" (1952).

 

Jean Renoir s'en est mêlé, lui aussi. Il a fait signe à Delmont pour "Toni" (1934) et "La Marseillaise" (1937). C'est alors qu'on s'aperçoit que l'art de l'acteur n'est pas si aisé à définir. On croit le personnage planté au sol, têtu et malicieux; soudain le souffle des prophètes le gonfle et, en quelques secondes, l'artiste parvient à une incontestable grandeur. C'est le cas de l'évêque cathare dans "La Fiancée des ténèbres" (1944) de Serge de Poligny. Ou bien avec une patience et une minutie d'imagier, Delmont s'ingénie à donner chair et sang et larmes à des rôles de pure convention : le père du "Déserteur" (1939) de Léonide Moguy, ou le vieillard qu'on destine à l'asile "Le Val d'Enfer" (1943) de Maurice Tourneur, ou encore le vieil instituteur figé dans la routine "L'Ecole buissonnière" (1948) de Jean-Paul Le Chanois. Il prodigue par ailleurs la même sollicitude à des créatures jetées sur l'écran par André Hugon "Chourinette" (1934), "Romarin" (1936), "Le Héros de la Marne" (1938), Pierre Caron "Blanchette" (1936) ou Jacques Séverac "Firmin le muet de Saint-Pataclet" (1938) ou Fernandel "Simplet" (1942). Il apporte une gaieté crispée à des farces qui n'en valent pas la peine : "Le Paradis des voleurs" (1939) de L.C. Marsoudet, "Berlingot et Cie" (1939) de Fernand Rivers ou "Le Club des Fadas" (1938) d'Emile Couzinet pour ne rien dire de la pellicule Cammage. Il passe ainsi du meilleur au pire, de "L'Etrange M. Victor" (1938) de Jean Grémillon à "L'Héritier des Mondésir" (1939) d'Albert Valentin, de "Hercule" (1937) d'Alexandre Esway à "Trois Argentins à Montmartre" (1939) de André Hugon.

 

Avec la même facilité, il abandonne les calanques, les oliviers et la soupe au pistou, pour aborder aux pays où il pleut "Le Train de 8h47"(1934) de Henry Wulschleger, où il bruine "Quai des Brumes" (1938) de Marcel Carné, où l'eau stagne "Le Déserteur", ou l'on meurt sans souvenirs "Juliette ou la Clé des songes" (1950) de Marcel Carné, où les sorcières crépitent sur les bûchers "Le Destin exécrable de Guillemette Babin" (1947) de Guillaume Radot. Du pitoyable suspect de "Picpus" (1942) de Richard Pottier au vagabond guilleret de "Adieu Léonard" (1943) de Pierre Prévert, l'écart est grand, que comblent son talent et sa simple émotion. Amoureux de son cher soleil, il a terminé sa carrière dans les oasis de "Ali Baba et les Quarante Voleurs" (1954) de Jacques Becker, retrouvant l'Orient qu'il avait entrevu autrefois dans "Les Secrets de la mer Rouge" (1937), chuchotés par Henry de Monfreid à l'oreille de Richard Pottier. L'excès des lamentations voulues par le rôle a éteint à jamais la voix fatiguée, et le sirocco, remplaçant le mistral, en a éparpillé les derniers échos et le dernier soupir. On se souvient également de sa participation au "Retour de Don Camillo" (1952) de Julien Duvivier, dans le rôle du vieux docteur Spiletti, qui refuse obstinément de mourir, tant que Don Camillo n'est pas de retour à Brescello. Edouard Delmont décède le 22 novembre 1955 à Cannes, il avait 71 ans.

 

  *Extraits de "Noir&Blanc - de Raymond Chirat et Olivier Barrot Editions Flammarion                              *Affiches-cine * Cinéma français * Cinetom