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CINETOM
9 mars 2025

MICHAEL POWELL, ICONOCLASTE DE LA COULEUR DES ANNÉES 40

MICHAEL POWELL        1905 - 1990

Cinéaste, Scénariste, Producteur Anglais

Michael Powell, le plus original, le plus imaginatif et indiscutablement le plus moderne des réalisateurs anglais et, pendant longtemps, l'un des plus mésestimés, Michael Powell a signé de grands succès dans les années 40, avec le concours du scénariste Emeric Pressburger.

Injustement méconnu par les critiques, Michael Powell est sans doute l'un des cinéastes qui a su le mieux dépeindre l'âme anglaise avec toutes ses contradictions. Tout au long d'une œuvre placée sous le signe d'une recherche formelle passionnée, il a su admirablement exprimer ce mélange contradictoire de névroses et d'obsessions puritaines, de pulsions sauvages et d'imagination extatique, jugulées au prix d'une souffrance intérieure vécue avec beaucoup de réserve et une certaine dose de bon sens. Volontiers iconoclastes et démystificateurs, les films de Michael Powell constituent en outre un véritable manifeste de non-conformisme et d'indépendance artistique.

Michael Powell est né le 30 septembre 1905 à Bekesbourne, près de Canterbury dans le Kent. Une scolarité à la King's School de Canterbury. Puis dès 1922, il travaille dans une banque sans enthousiasme à Saint-Jean Cap-Ferrat, où son père possède un hôtel, non loin des studios de la Victorine de Nice, gérés par Rex Ingram.

Attiré très tôt par le cinéma, Powell acquiert une précieuse expérience comme assistant et figurant sur diverses productions de Rex Ingram, et il n'a pas oublié l'influence de ce dernier. Fasciné par l'Islam, Ingram a fui Hollywood pour travailler en France et en Afrique du Nord, où il peut donner libre cours à ses obsessions fantastiques. Ses films sont alors fortement influencés par le "mage" du spiritisme Aleister Crowley, qui inspirera "Le Magicien" (The Magician,1926), dans lequel Powell tient un petit rôle. De même, pour le film précédent "Mare Nostrum" (1925), il déclara : "C'était un grand film pour un début... un film spectaculaire, bourré de trucages énormes, avec un grand thème et une distribution internationale. Le genre de film qui vous donne des idées pour la vie entière."

De retour en Angleterre, Powell restera profondément marqué par la forte personnalité d'Ingram et par les splendeurs méditerranéennes, dont le souvenir est d'autant plus vif dans l'austérité ambiante de cette période de crise internationale. Pendant une dizaine d'années, il va apprendre son métier en réalisant des films sans grand intérêt. Powell travaille tantôt comme réalisateur de seconde équipe; il tourne deux films de série B en 1931, plus ou moins bien accueillis, mais avec lesquels il montre qu'il sait obtenir d'honnêtes résultats malgré un plan de travail serré et un budget minuscule. Pour "Star Reporter" (1932), comme il avait besoin de plans montrant un paquebot au radoub, il s'est rendu à Southampton, caméra à l'épaule, et a filmé lui-même ce qu'il lui fallait. Powell considérait ces "quota quickies", petits films contingentés de l'époque, comme un bon moyen de faire ses preuves, et il en a déjà plus d'une vingtaine à son actif - comédies, films policiers et d'aventures

Il aura l'occasion d'affirmer déjà de son non-conformisme en refusant de se plier au style de l'école documentariste, alors dominée par John Grierson. En 1937, celui-ci envoie Powell dans les îles Orcades, au large de l'Ecosse, pour y réaliser un documentaire sur la vie difficile des pêcheurs. Le résultat sera pour le moins inattendu : "A l'angle du monde" (edge of the World) est une flamboyante évocation des mythes celtiques, qui témoigne d'un souverain mépris pour le réalisme. Il se penche sur la situation de dépeuplement de l'île dont les habitants sont de plus en plus âgés et de moins en moins nombreux. Le réalisateur reprendra ce thème de façon plus assurée dans "Je sais où je vais" (I Know Where I'm Going,1945).

Engagé par le producteur Alexander Korda, Powell a pour mission de diriger Conrad Veidt dans "L'Espion noir" (The Spy In Black,1939), sur un scénario incertain parlant de Scapa Flow et des tentatives de sabotage naval par les Allemands lors du premier conflit mondial. Mais tout s'arrange lorsque le scénariste Emeric Pressburger (rencontre des deux hommes alors celui qui va devenir son fidèle collaborateur jusqu'en 1956) prend la plume pour magnifiquement remanier l'original. Emeric Pressburger est né le  5 décembre 1902 à Miskolc en Hongrie, a travaillé en Europe comme scénariste avant de se fixer en Angleterre en 1938. C'est un autre immigré hongrois, Alexander Korda, qui le présente à Powell. De cette triple association va naître "L'Espion noir", qui n'anticipe que de peu sur les évènements militaires. Avec un sens inné de la provocation, Powell et Pressburger, alors que la guerre est imminente, choisissent d'explorer l'âme germanique incarnée par Conrad Veidt. 

Powell coréalise ensuite deux films pour le compte de Korda : "Le Lion a des ailes" (The Lion Has Wings,1939), film de propagande destiné à remonter le moral des troupes, sort en hâte au début de la guerre, coréalisé avec Brian Desmond Hurts et Adrian Brunel et "Le Voleur de Bagdad" (The Thief of Bagdad,1940) donne un avant-goût du fantastique au cinéma, sous les couleurs du technicolor. Parallèlement, l'association naissante Powell-Pressburger se concrétise avec le film d'espionnage "Espionne à bord" (Contraband,1940), filmé à Londres pendant les consignes de black-out.

La Seconde Guerre mondiale va insuffler une vitalité nouvelle au cinéma britannique. Powell se met au travail, animé d'un patriotisme sincère. Théoriquement, le ministère de l'Information a un droit de regard sur les scénarios, afin de vérifier qu'ils sont bien conformes aux directives de la propagande. Mais devant la profonde ambiguïté de certains films de guerre de Michael Powell, force est de penser que les services gouvernementaux se sont montrés quelque peu négligents; à moins qu'ils n'aient été bien aveugles...

L'année suivante, le scénario de "49e Parallèle" (49th Parallel,1941) est dû à Emeric Pressburger : un sous-marin allemand fait naufrage sur les côtés canadiennes et les survivants se réfugient sur la terre ferme, où ils se trouvent soumis aux lois de la guerre. Le commandant du submersible, incarné par Eric Portman, est la parfaite illustration de la fascination horrifiée exercée par l'ennemi; brutal et arrogant, il est en même temps le symbole de l'abnégation héroïque et du dévouement total à une cause. En compétition pour l'Oscar du meilleur film sous un titre américain, "The Invaders", ce film remporte un Oscar à Pressburger pour l'histoire originale. En 1942, Powell et son scénariste sont co-nominés pour le scénario original de "Un de nos avions n'est pas rentré" (One Of Our Aircraft is Missing), dans lequel ils inversent la situation de "49e Parallèle" puisqu'il s'agit de l'équipage d'un bombardier britannique obligé de rebrousser chemin au-dessus des Pays-Bas occupés. 

En 1942, Powell et Pressburger fondent leur propre maison de production, l'Archers, dont l'emblème est une flèche plantée dans une cible, et réalisent désormais tous leurs films en complète association. Parce qu'il sait manier avec créativité les sujets de guerre, les saupoudrant d'un humour singulier et d'un sens de l'absurde manifeste. Powell met à profit la sophistication de Pressburger pour tempérer son point de vue anticonformiste, quoique britannique, et voilà pourquoi leurs films regorgent de surprises. 

En 1943, tous deux réussissent merveilleusement avec "Le Colonel Blimp" (The Life And Death of Colonel Blimp), photographié en technicolor par Georges Périnal, avec des décors d'Alfred Junge. Dans cette œuvre élégante, originale et complexe, la technique du flashback sert à évoquer la vie du personnage principal sur près de quarante ans. Un jeune officier britannique -Roger Livesey - y confronte ses expériences personnelles avec celles d'un homologue allemand - Anton Walbrook - en termes intimistes et pleins d'esprit, depuis la guerre des Boers et le Berlin de 1902 jusqu'au Londres en guerre de 1942, en passant par les Flandres en 1918. En cours de route, le film parle de l'évolution de la mentalité militaire, d'un côté, le rite du duel anachronique prôné par l'officier allemand, de l'autre, la montée du nazisme et la "guerre totale" du second conflit mondial. Le projet déplaît tant à Churchill qu'il envisage d'y mettre un terme pour "atteinte au moral de l'armée", et veut faire interdire la version définitive ou, du moins, l'empêcher d'être projetée à l'étranger. Le Ministre de l'information Brendan Bracken finit par le convaincre du contraire, "le film est tellement ennuyeux, je ne pas qu'il puisse nuire à quiconque..." "Colonel Blimp" sera bien accueilli par le public anglais, toujours fair-play et disposé à sourire de ses propres travers, pour peu que le propos soit spirituel.

"A Canterbury Tale" (1944), conte moral sur la guerre, bizarre mais plaisant, a été tourné dans la ville natale du metteur en scène. "Je sais où je vais" lui succède l'année suivante. Powell et Pressburger s'embarquent alors sur une série d'ambitieuses productions en technicolor, à commencer par "Une Question de vie ou de mort" (A Matter of Life and Death,1946) avec David Niven, nouvelle variation sur un thème très en vogue dans les années 40, la venue sur terre de visiteurs de l'au-delà. Ce film peut paraître avant tout une histoire d'amour, mais témoigne cependant des prises de position politiques résolument à contre-courant, du moins pour l'époque. Comme tous les artistes épris d'indépendance. "Une Question de vie ou de mort" a pour héros un pilote de bombardier abattu au cours d'une mission. Prisonnier de son appareil, il confie ses dernières pensées à une jeune WAC américaine. Il est en tout cas devenu amoureux de June. Un messager de l'au-delà l'invite à rejoindre le tribunal céleste où son cas sera plaidé. Dans un autre univers, le pilote subit une opération au cerveau. Le visage du chirurgien, lorsqu'il se démasque, est celui du juge céleste. On a beaucoup remarqué l'emploi fort intelligent du noir et blanc et de la couleur dans ce pur chef-d'œuvre du cinéma fantastique; le monde dit "réel" est caractérisé par des couleurs vives et tranchées, tandis que le "paradis", qui représente l'utopie socialiste, reste dans un noir et blanc très dépouillé   

Admirablement photographié et conçu, "Le Narcisse noir" (Black Narcissus,1947), adapté du roman de Rumer Godden, prouve que Powell maîtrise parfaitement la couleur et l'inattendu. Le monastère himalayen où se déroule l'action a été reconstitué en studio. Le rôle principal revient à Deborah Kerr, et le film obtient deux Oscars, l'un pour la décoration, l'autre pour la photographie. Aux méditations sur la religion se mêlent les sursauts d'une sexualité refoulée mais prête à exploser. C'est là une illustration parfaite des obsessions de Michael Powell et de son goût pour les intempérances baroques. Le désordre des sens qui s'empare de David Farrar (Mr Dean), de Deborah Kerr (Sœur Clodagh), de Kathleen Byron (Sœur Ruth), et de la jeune Jean Simmons (Kanchi) est observé avec une secrète complaisance, voire avec une certaine délectation. 

Le vœu légitime de Powell est d'être considéré comme le grand cinéaste de la couleur des années 40 : ce que ne saurait démentir son triomphal chef-d'œuvre, "Les Chaussons rouges" (The Red Shoes,1948). Pour lui, la couleur y est une "composante essentielle de la conception théâtrale, fantastique et non-naturaliste du film." Cette adaptation cinématographique du conte d'Andersen est fascinante par sa dimension tragique. C'est une force irrésistible qui pousse la ballerine à danser, de même que l'imprésario ne peut s'empêcher de la faire monter sur la scène, au prix de sa vie et de l'amour qu'il éprouve pour elle, mais qu'il ne parvient pas à avouer. Ce personnage à la Diaghilev, remarquablement interprété par Anton Walbrook est l'incarnation même de la figure de l'artiste telle que la conçoit Powell : un prophète maudit qui se dresse pour réveiller un monde endormi et dont la vocation a quelque chose de destructeur; refusant de plier devant les obstacles de la réalité et incapable de partager les sentiments des autres, il n'en est que plus douloureusement vulnérable. Notion éminemment romantique, qui donne toute sa valeur aux "Chaussons rouges"; par-delà la somptuosité plastique, c'est une célébration du douloureux mais magnifique isolement de l'artiste. L'un des plus beaux films sur l'univers de la danse, cet immense succès interprété par Moira Shearer, Leonid Massine, Robert Helpmann, et Anton Walbrook, est sélectionné pour l'Oscar du meilleur film et celui du meilleur scénario. La récompense échoue à Brian Easdale pour la musique, et au décorateur.

Après un dernier drame de guerre, "The Small Back Room" (1949), dont l'atmosphère imprégnée de sexualité rappelle celle du film noir. Le héros, un artificier invalide et alcoolique, affronte ses propres cauchemars dans une impressionnante scène onirique : une gigantesque bouteille de whisky qui le nargue,  tout comme la nouvelle bombe qu'il doit apprendre à désamorcer

Powell et Pressburger signent "La Renarde" (Gone To Earth,1950). C'est le producteur David O. Selznick qui a souhaité confier à Powell et Pressburger la réalisation du film pour mettre en valeur Jennifer Jones, qu'il avait épousée en 1949. La même année, "Le Chevalier de Londres" (The Elusive Pimpernel), auquel David Niven prête ses traits. Pour "Les Contes d'Hoffmann" (The Tales Of Hoffmann,1951), le film a été conçu dans le but d'apporter à l'opéra toutes les ressources de la technique cinématographique moderne : c'est ainsi que les ballets sont interprétés par les meilleurs danseurs et la partition chantée par les meilleures voix grâce à la technique du "play-back". Le film est constitué d'un prologue, de trois contes et d'un épilogue. Chaque conte est traité en une couleur dominante qui symbolise son caractère essentiel, le premier, Olympia par son ton ocre, traduit la fantaisie; le second, Giulietta, traité en pourpre, souligne la sensualité; le troisième, Antonia, de dominante indigo, donne un aspect de douceur et de pureté à la description d'un amour platonique. "Les Contes d'Hoffmann" eut un immense retentissement dans les pays anglo-saxons; et particulièrement dans les milieux du cinéma et de la danse. Ce merveilleux films de Michael Powell et Emeric Pressburger a obtenu le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes et l'Ours d'Argent au Festival de Berlin.

Le film suivant "Oh...Rosalinda !!" (1955) est une version moderne de la célèbre opérette de Johann Strauss fils "La Chauve-Souris". C'est Emeric Pressburger qui avait proposé à Michael Powell l'idée de tourner une version rénovée de l'œuvre de Strauss dans le Vienne d'après-guerre partagée entre quatre zones d'occupation. Cette oeuvre a été tourné en Cinémascope, que Powell detestait... Nostalgique des années 40, Powell termine une longue et fructueuse collaboration sur deux films de guerre, "La Bataille du Rio de la Plata" (The Battle Of the River Plate,1956) et "Intelligence Service" (Ill Met By Moonlight,1957). Le premier est une reconstitution d'un haut fait maritime du début de la Seconde Guerre mondiale, le deuxième marqua la fin de la collaboration exemplaire entre Michael Powell et Emeric Pressburger. Il s'appuyait sur un fait authentique rapporté par un de ceux qui l'avaient vécu.

Le dernier film important du cinéaste fut "Le Voyeur" (Peeping Tom,1960), un film qui a suscité un tel scandale et des réactions si violentes que la carrière de Michael Powell en Angleterre en sera irrémédiablement compromise. Dans "Le Voyeur" cependant, la quête est infiniment plus brutale et violente que dans "Les Chaussons rouges", puisque l'extase débouche ici, au comble du paroxysme, sur le meurtre. Le héros du "Voyeur", qui a été terrorisé et traumatisé par un père abusif, joué par Michael Powell lui-même, se livre à une sorte de voyeurisme obsessionnel et morbide en filmant les derniers instants des jeunes femmes qu'il tue, au moyen d'un dispositif spécial installé sur sa caméra. Le jour, Mark Lewis, interprété par Karl Heinz Boehm (un rôle insolite pour celui qui a été le mari de "Sissi", soit Romy Schneider) travaille dans le cinéma comme assistant opérateur. Mais c'est la nuit qu'il signe ses propres œuvres macabres, rôdant à la recherche de victimes. Poussant la provocation jusqu'au bout, il a même déclaré qu'il se sentait assez proche de son héros, qui incarne selon lui tous les artistes engagés dans un processus de création d'un univers supérieur à la réalité. Testament spirituel de toute une carrière, le film traduit ainsi la conviction profonde de Michael Powell : la vie doit être sacrifiée à l'art. Michael Powell décède le 19 février 1990 à Avening en Angleterre, il avait 84 ans.

*Affiches cine * Cinetom

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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