JEAN DEBUCOURT, LE PÉRIL JAUNE
JEAN DEBUCOURT 1894 - 1958
Comédien Français
Ses camarades du Théâtre-Français l'avaient surnommé "le Péril jaune" à cause de ses cheveux blonds, mais en raison aussi d'un rien de sournoiserie qui, réelle ou affectée, suintait de sa personne. Ses lèvres fines distillaient les répliques. Un imperceptible nasillement teintait ses intonations et l'ironie se faisait jour, adoucie par l'onctuosité du comédien. Il accomplit un beau parcours dans la Maison où s'était illustré son père, Charles Le Bargy. Pour les plus jeunes, vous êtes nombreux à avoir entendu sa voix ! celle de Jésus dans la série des "Don Camillo" avec Fernandel.
Jean Debucourt est né le 19 janvier 1894 à Paris, son véritable nom est Jean Pélisse. Fils du grand comédien Charles Le Bargy, il entre au Conservatoire après ses études secondaires. Dans les années vingt, il joue un nombre considérable de pièces, ne faisant que de brèves apparitions au cinéma. Après un passage à l'Odéon et des succès sur les scènes de boulevard, il entre à la Comédie Française dont il sera Sociétaire en 1936; auparavant le cinéma l'avait repéré pour différents films, notamment "La Chute de la maison Usher" (1927) de Jean Epstein et "Madame Récamier" (1928) de Gaston Ravel. Dans l'un et l'autre cas, racé, élégant, il incarne des personnages romantiques. Le parlant le fait basculer dans la catégorie des traîtres, des mesquins, des lâches, "Le Prince Jean" (1934) de Jean de Marguenat, "Koenigmark" (1935) de Maurice Tourneur avec Pierre Fresnay, "Les Loups entre eux" (1936) de Léon Mathot, "La Pocharde" (1936) de Jean Kemm et Jean-Louis Bouquet, "Un Grand amour de Beethoven" (1936) d'Abel Gance avec Harry Baur. Est-ce en raison du timbre de sa voix, un peu mat, un peu gémissant, ou de son regard volontiers fuyant?. Sa parfaite diction, le timbre de sa voix et son expérience au théâtre l'aident à surmonter sans difficultés les contraintes du parlant si funeste à bon nombres d'acteurs. Durant les années trente, il est très demandé dans le cinéma français mais ne pourra jamais accéder aux rôles de premier plan, mise à part quelques films où Jean Debucourt a le rôle principal comme "La Chute de la maison Usher", "Le Gendre de Monsieur Poirier" (1933) de Marcel Pagnol, "La femme en rouge" (1946) de Louis Cuny ou "Le Crime des Justes" (1950) de Jean Gehret.
Quoi qu'il en soit, ses rôles cinématographiques s'étoffent et s'améliorent à partir de la guerre où l'on s'avise que les personnages sympathiques peuvent aussi lui convenir. Claude Autant-Lara lui fait représenter Napoléon III tel qu'en sa légende dans "Lettres d'amour" (1942) et surtout le vieil aristocrate unijambiste de "Douce" (1943) et le père indulgent de François Jaubert, harassé de travail dans "Le Diable au corps" (1946) avec Gérard Philipe et Micheline Presle : deux portraits d'hommes, doux et velléitaires. Le professeur de piano du "Ciel est à vous" (1943) de Jean Grémillon avec Madeleine Renaud et Charles Vanel et le grand bourgeois, ballotté par les évènements de "Marie-Martine" (1943) d'Albert Valentin, sont composés de la même façon par petites touches précises. "Justice est faite" (1950) d'André Cayatte lui permet de fignoler un juré de cour d'assise, qui s'émerveille et s'effraie à la fois de son amour naissant, et il donne la réplique à Michel Simon, du tac au tac, dans la scène capitale de "La Poison" (1951) de Sacha Guitry.
Extrêmement demandé, on le retrouve dans soixante-dix films entre 1945 et 1957, à quoi s'ajoutent ses interventions comme récitant, comme voix off de multiples métrages longs ou courts. En particulier, dans "Le Petit monde de Don Camillo" (1951) de Julien Duvivier, il nuance savamment le dialogue entre le Très Haut et son représentant sur terre qu'incarne Fernandel. On l'entend encore dans "Caroline chérie" (1950) de Richard Pottier, dans "Fanfan la tulipe" (1951) de Christian-Jaque avec Gérard Philipe. Une telle pléthore de rôles ne lui permet plus de choisir : il apparaît en évêque qui fait baisser le rideau à la fin de la comédie du "Carrosse d'or" (1953) de Jean Renoir avec Anna Magnani, en joaillier instrument de la fatalité dans "Madame de..." (1953) de Max Ophuls, en avocat tenaillé par le démon du meurtre dans "Identité judiciaire" (1950) de Hervé Bromberger, sans compter les inspecteurs, les commissaires ou les directeurs de P.J.A ce régime, l'essoufflement guette et la routine s'installe, ni Cocteau, ni Guitry, ni Autant-Lara n'y peuvent rien. Se voûtant imperceptiblement, l'arc de la bouche de plus en plus amer, la démarche oblique, Debucourt s'enfonce dans la nuit. Il se redresse, comme l'arrogant majordome de "Barbe-bleue" (1951) de Christian-Jaque mais, à la fin, le coeur n'y est plus. Sa mécanique bien réglée lui permet de lancer un dernier sarcasme, puis, semblable à un caméléon, il se fond dans le décor et disparaît. Jean Debucourt décède le 22 mars 1958 à l'âge de 64 ans d'une leucémie à Montgeron (Essonne).
*Extraits de "Noir & Blanc" de Olivier Barrot et Raymond Chirat - Editions Flammarion
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