OTTO PREMINGER, DE LAURA A ROSEBUD
OTTO PREMINGER 1905 - 1986
Cinéaste, Producteur Américain
Otto Preminger appartient à ce petit groupe de réalisateurs juifs-viennois sans lesquels une certaine forme de sensibilité européenne ne serait jamais arrivée jusqu'à Hollywood. La jeunesse du futur réalisateur a quelque chose de spécial, puisque son père était procureur général de l'Empire des Habsbourg. Otto Ludwig Preminger est né le 5 décembre 1905 à Vienne (Autriche)
Le jeune homme fait aussi des études de droit, mais s'intéresse davantage au théâtre et au métier d'acteur, jouant notamment sous la direction de Max Reinhardt. Sa préférence va à la mise en scène. Au début des années 30, Preminger est une figure connue du théâtre autrichien. En 1935, il est engagé pour monter une pièce à New York. De là, il se rend à Hollywood avec sa première épouse, l'actrice Marion Mill, où il signe un contrat avec la 20th Century-Fox pour réaliser deux films de série B, une comédie musicale interprétée par Lawrence Tibett et une comédie tout court avec Ann Sothern et Jack Haley. Une querelle qui l'oppose au patron de la Fox, Darryl Zanuck, a propos de la production de "Kidnapped" (1938), met fin à son contrat.
Ecarté des sunlights de Hollywood, il revient à New York, au théâtre, et monte plusieurs pièces entre 1938 et 1941, dont "Margin For Error" de Clare Booth Luce. L'acteur chargé d'interpréter un agent nazi ayant abandonné le rôle, Otto Preminger se laisse convaincre de l'endosser, et partage ainsi le succès de la pièce. Lorsque la 20th Century-Fox en acquiert les droits d'adaptation cinématographique, Preminger reprend le chemin du studio quitté quatre ans auparavant dans une atmosphère orageuse. Mais il pose ses conditions : il ne jouera dans la version filmée que s'il la réalise lui-même.
Le succès de "Margin For Error" (1942) se traduit pas un nouveau contrat pour Preminger, cette fois comme producteur et réalisateur. On lui confie la production de "Laura" (1944), réalisé par Rouben Mamoulian, qui part à son tour à la suite de problèmes. Pour Preminger c'est l'occasion rêvée de montrer comment il peut transposer à l'écran un scénario en béton, avec une distribution particulièrement éblouissante : Gene Tierney, Dana Andrews et Clifton Webb, ce dernier spécialiement choisi par le réalisateur pour ce film - son premier "parlant". Clifton Webb devait rester une star de la Fox pendant quinze ans. "Laura" présente une relecture originale et inventive d'une situation fréquemment rencontrée dans les "polars" psychologiques - un détective/Andrews tente de démasquer le véritable assassin parmi divers suspects qui ont tous un mobile plausible. Preminger y impose son style -prédilection pour les longs plans et fluidité de la caméra, dont les mouvements se calquent sur ceux des protagonistes et les observent de façon impersonnelle et objective. Un grand succès pour tout le monde : "Laura" sera nominé quatre fois, notamment pour le meilleur second rôle masculin (Clifton Webb) et la réalisation. Joseph LaShelle remporte la statuette pour la photographie. Preminger rejoint ainsi les "nouveaux" grands cinéastes du début des années 40, entre autres Elia Kazan et Joseph L. Mankiewicz, sans lesquels la revaloristation du statut de réalisateur à Hollywood aurait été plus lente à intervenir.
Etant sous contrat, Otto Preminger n'a pas toujours eu la possibilité de montrer qu'il avait du talent. En revanche, il a prouvé qu'il était touche-à-tout. Il remplace Lubitsch, souffrant sur une comédie en costumes gentillette "Scandale à la cour" (Royal Scandal) fin 1944, puis retrouve Dana Andrews sur le thriller "Crime passionnel" (Fallen Angel,1945), également interprétée par Alice Faye dans l'un de ses rares rôles dramatiques. Certaines des meilleures scènes de l'actrice ont atteri sur le sol de la salle de montage, ce qui l'a décidée à se retirer, constatant que le studio privilègiait sa partenaire Linda Darnell. Dès lors, Preminger travaille à contre-coeur avec cette dernière sur deux films en technicolor au succès mitigé "Centennial Summer" (1946) et "Ambre" (Forever Ambre,1947).
Preminger retrouve sa forme, en noir et blanc avec "Femme ou Maîtresse" (Daisy Kenyon,1947), drame triangulaire plein de discernement où il évite l'écueil du "portrait de femme" stéréotypé et traite ses personnages avec lucidité et sensibilité, dispersant quelques notes humoritisques. Joan Crawford y est cette femme tiraillée entre deux hommes - Dana Andrews et Henry Fonda. Après la mort de Lubitsch, le réalisateur termine la comédie musicale "That Lady In Ermine" (1948) qu'il tournait avec Betty Grable et signe un remake de "L'Eventail de Lady Windermere" du même Lubitsch, rebaptisé "The Fan" (1949). Retour très apprécié au film noir de 1949 à 1952. José Ferrer est efficacement maléfique exerçant son emprise hypnotique sur Gene Tierney dans "Le Mystérieux Dr Korvo" (Whirlpool,1949)."Mark Dixon détective" (Where The Sidewalk Ends,1950) réunit l'équipe de "Laura", Gene Tierney et Dana Andrews et le chef-opérateur Joseph LaShelle. Policier sophistiqué écrit par Ben Hecht, vieux maître du genre, ce film possède un naturalisme brut qui reflète chez Preminger un désintérêt naissant pour le tournage en studio de ses débuts. Il en va de même de "Un si doux visage" (Angel Face,1952), presque entièrement tourné en extérieurs, le dernier et le meilleur film noir de l'auteur, "prêté" pour l'occasion à la RKO : il nous y conte la relation destructrice entre le chauffeur Robert Mitchum et la douce Jean Simmons dans un contre-emploi, une femme riche, gâtée et criminelle.
Les années 1952-1953 marquent un tournant pour Preminger. Il arrive en fin de contrat à la Fox et n'attend qu'une chose -pouvoir voler de ses propres ailes en tant que producteur-réalisateur indépendant. Pour son collègue et ami de Billy Wilder, il accepte de tourner une dernière fois un officier nazi dans "Stalag 17" (1953), à la Paramount, juste avant d'entreprendre sa première production indépendante "La Lune était bleue" (The Moon Is Blue,1953) avec William Holden. Au cours des années suivantes, il s'impose comme un "grand" de la réalisation, dans la lignée des monstres sacrés intransigeants que furent Stroheim et DeMille. Cet être despotique a la réputation d'être l'un des réalisateurs les plus emportés de Hollywood - de là à trouver l'origine de ce tempérament dans les rôles de nazis qu'il tient à l'écran, il n'y a qu'un pas. Certains de ses films donneront lieu à des controverses. "La Lune était bleue", par exemple, n'est rien d'autre qu'une pièce filmée tournée à la va-vite et avec peu de moyens en deux langues, anglais et allemand. Comme on y entendait des termes censurés comme "séduire" et "vierge", le film n'a pas reçu de visa d'exploitation. United Artists accepte malgré tout de le sortir en salles. La publicité gratuite faite à ce film contribuera à son succès, de façon fort inatendue.
Preminger recommence à défier les censeurs en s'attaquant au problème de la drogue dans "L'Homme aux bras d'or" (The Man Witch Golden Arm,1955) avec Frank Sinatra, qui marche encore plus fort. En 1954, il était revenu à la Fox et avait commencé à tourner sur écran large, en cinémascope, nouveau format qu'il utilise avec facilité et recherche. "La Rivière sans retour" (River Of No Return) est un souriant western romantique et chanté, avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum, tandis que "Carmen Jones", "musical dont tous les acteurs sont Noirs, permet à Dorothy Dandridge de donner une éblouissante prestation.
Par la suite, les films d'Otto Preminger deviennent démesurés, mais pas meilleurs pour autant. On lui doit une version décevante de Jeanne d'Arc "Sainte-Jeanne" (Saint Joan,1957) d'après Shaw, tourné en Angleterre avec sa découverte du nom de Jean Seberg donnant la réplique à Richard Widmark. Viennent ensuite "Bonjour Tristesse" (1957) et "Exodus" (1960), tous deux adaptés de romans, tout comme l'excellent "Tempête à Washington" (Advise And Consent,1962), qui égratigne la vie parlementaire américaine. En 1963, il y aura "Le Cardinal", grosse production internationale grâce à laquelle le cinéaste décroche une nomination pour la réalisation, la seconde depuis "Laura". En fait, le meilleur film de cette période est une adaptation en noir et blanc du roman de Robert Traver, "Autopsie d'un meurtre" (Anatomy Of A Murder,1959) avec l'admirable James Stewart en avocat chargé de défendre un criminel, Ben Gazzara. Un franc succès qui glane sept nominations, dont celle du Meilleur Film. Le reste de la filmographie d' Otto Preminger est secondaire. Citons peut-être, à la rigueur, en 1971 "Des amis comme les miens" (Such Good Friends). "Preminger est un grand homme de spectacle qui n'a jamais pris la peine d'apprendre quoi que ce soit sur la façon de faire un film...personne ne sait aussi bien que lui donner l'impression d'aborder de grands thèmes controversés avec hardiesse, sans commettre l'erreur tactique de s'y consacrer" Dwight MacDonald dans "The New Yorker", 1964. Après avoir signé deux autres films en 1975 "Rosebud" avec Peter O'Toole et Richard Attenborough et "The Human Factor" en 1979, Otto Preminger s'éteint le 23 avril 1986 à New York, il avait 80 ans.
Crime passionnel - 1945 -
Femme ou Maîtresse - 1947 -
L'Eventail de Lady Windermere - 1949 -
Le Mystérieux Docteur Korvo - 1949 -
Mark Dixon, détective - 1950 -
La Treizième Lettre - 1951 -
La Lune était bleue - 1953 -
L'Homme au bras d'or - 1955-
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