PIERRE BLANCHAR, UN REGARD, UNE VOIX, UNE EXIGENCE IMPÉRIEUSE
PIERRE BLANCHAR 1895 - 1969
Comédien Français
Au palmarès des interprètes de l'avant-guerre, il existe une catégorie particulière, peu fournie mais riche de noms en leur temps glorieux : les démodés. Parmi les comédiens, y figurent avantageusement Pierre Richard-Willm, Victor Francen et Pierre Blanchar, qui ont en commun une prédilection pour les personnages aux sentiments élevés. Coulés une fois pour toutes dans l'habit cintré d'une élégance morale qui n'exclut pas la prestance physique, ces nobles figurines en sortes parfois selon un hasard facétieux ou grâce au discernement malicieux d'un metteur en scène intrigué par une aussi accablante convention.
Et c'est alors, ô surprise, que l'on découvre sous le masque de la gravité pour un temps remisé aux accessoires celui, insoupçonnable, de la plus parfaite fantaisie. Disparu il y a bientôt cinquante ans, Pierre Blanchar ne mérite pas le manteau d'oubli entendu qui pèse sur son souvenir. Qu'on ait du mal à se rappeler telle pièce de Saint-Georges de Bouhélier qu'il créait à l'Odéon vers 1923, rien que de très normal : mais on notera que son jeu enchantait Paul Léautaud, qui n'était pas tendre. Et l'interprète torturé du Raskolnikov le meilleur du cinéma "Crime et Châtiment" (1935) de Pierre Chenal, l'intelligent Mathias Pascal, du même Chenal d'après Pirandello "L'Homme de nulle part" (1937), l'abject médecin avorteur filmé en oblique par Duvivier "Un Carnet de bal" (1937) valent bien que l'on revienne à lui avec un autre regard. La Biennale de Venise l'avait proclamé meilleur acteur en 1935 pour "Crime et Châtiment" et on le désigna meilleur acteur français, en 1946.
Pierre Blanchar est né le 30 juin 1896 à Philippeville en Algérie. Formé au Conservatoire de Paris, où il se lie d'amitié avec Charles Boyer et Philippe Hériat, Pierre Blanchar commence au lendemain de la guerre une carrière de quarante années sur les planches, du théâtre Antoine à la Compagnie Renaud-Barrault, des pièces d'Henri Bernstein, à celles de Montherlant. Tout cela est évidemment un peu oublié, tandis que le cinéma, où il débuta en même temps, réussit mieux encore à Blanchar et le mêne jusqu'à nous. Il était dans les années trente une véritable vedette : ses yeux clairs, sa minceur nerveuse, l'expressivité aisément torturée de son visage aux pommettes saillantes en firent un héros romantique, souvent rapproché de son rival Pierre Fresnay. L'intériorité toute théâtrale de son jeu, dont le cinéma grossit les traits, en fait davantage qu'un seul jeune premier, le portant vers une densité quelque peu insistante.
Le Voici au cinéma dès 1919, dans "Papa bon coeur" de l'acteur Jacques Grétillat, mais un penchant romanesque déjà manifeste lui faisait interpréter le poète Lamartine dans deux films de Léon Poirier, "Jocelyn" (1922) et "Geneviève" (1923), puis Frédéric Chopin dans "La Valse de l'adieu" (1927) d'Henry Roussel, aux côtés de Marie Bell. Tôt versé dans le drame russe, une composante non négligeable de la dramaturgie française de l'avant-guerre, Blanchar avait en 1926 participé au "Joueur d'échecs" de Raymond Bernard avec Charles Dullin et Pierre Batcheff. Dès le muet également, il sautait, galopait et ferraillait avec jubilation, en Sigognac du "Capitaine Fracasse" (1929) de Cavalcanti, un autre de ses emplois types que le parlant, l'Occupation et Jean Delannoy lui offrirent d'illuminer avec "Pontcarral, Colonel d'empire" (1942) et "Le Bossu" (1944).
Au début des années trente, Pierre Blanchar n'avait guère été remarqué dans les petits films d'Harry Lachmann, "La Belle marinière" (1932), "La Couturière de Lunéville" (1933) qu'il interprétait en compagnie de Madeleine Renaud. Du moins, comme tous, avait-il été sollicité de tourner en Allemagne son lot de films à multiples versions dans lesquels il formait avec Kate de Nagy un couple maintes fois réuni : "Au bout du monde" (1933) de Ucicky, "La Princesse Turandot" (1934) de Lamprecht, "Le Diable en bouteille" (1935) de Hilpert. C'est davantage et dès 1931 qu'avec Raymond Bernard il avait bouleversé en donnant de la Grande Guerre une vision effarée : "Les Crois de Bois" (1932) disait aussi bien que le roman de Dorgelès ce qu'avait été l'horreur de quatre années. Le cinéaste fit appel pour l'interprétation à plusieurs anciens combattants dont Charles Vanel (qui avait fait 14-18) et Pierre Blanchar, gravement blessé aux yeux par les gaz en 1918 à Verdun. Plus qu'en héros positif et forcément triomphant, Pierre Blanchar s'exprime au mieux dans les emplois de victime d'un sort contraire qu'un sens de la dignité et de l'affrontement regénère : ainsi encore du "Coupable" (1936) de Raymond Bernard (on notera que les deux interprètes principaux, Pierre Blanchar et Gilbert Gil, se retrouveront dans un cas de figure presque identique -professeur et élève - dans un film de Kurt Bernhardt "Nuit de décembre" (1939)), davantage de l'admirable "Affaire du courrier de Lyon" (1937) de Maurice Lehmann et Claude Autant-Lara, qu'il domine dans un rôle double. "L'Atlantide" (1931) de George W. Pabst; "Mademoiselle Docteur" (1936) de Grémillon, "L'étrange Monsieur Victor" (1937) de Chenal avec Raimu. Chenal, Raymond Bernard, Duvivier : un très appréciable ensemble. L'Occupation donne cependant à Blanchar une nouvelle aura. Le voici d'abord metteur en scène et interprète de deux films estimables, un peu compassés, "Secrets" (1942), d'après "Un mois à la campagne"de Tourgueniev, "Un Seul Amour" (1943) d'après "La Grande Bretèche" de Balzac. Et le voici ensuite résistant, dans une profession qui n'en compte guère. En 1942 on avait voulu voir dans "Pontcarral" des allusions directes à l'occupation allemande : ce demi-solde noble et fier qui résiste aux Bourbons restaurés n'offrait-il par un exemple à actualiser, à suivre peut-être? En tout cas Blanchar avait très fortement marqué le rôle du colonel-baron : "Toutes les lueurs de Wagram et d'Iéna passaient dans son regard qui semblait subjuguer l'appareil même, écrivait Roger Régent dans son "Cinéma de France" (1948).
Devant cette silhouette aucun doute n'était permis : en endossant la tunique du colonel d'Empire Pontcarral, Pierre Blanchar avait cessé de vivre. Le rire-Blanchar, la voix-Blanchar, les habitudes-Blanchar s'étaient évanouis et un tout un ensemble de démarches nouvelles étaient nées en lui. L'identification était ici portée à un tel degré d'intensité que l'on n'osait se demander (...) si l'homme se délivrerait jamais de cette vie qui pendant trois mois, deux heures sur l'écran, avait tué la sienne propre."
Aussi est-ce presque logiquement que l'on devait lire sous sa plume clandestine, au printemps 1944, une dénonciation des ambiguïtés du "Corbeau" de Chavance et Clouzot. Président du comité de libération du cinéma français, narrateur du film collectif sur la libération de Paris, ambassadeur de sa profession auprès d'Hollywood en 1945, Pierre Blanchar représente idéalement en ces années le comédien conscient, responsable, engagé : "Ainsi le connaît-on depuis toujours comme l'un des gentilshommes du monde de l'écran, ainsi l'a-t'on applaudi es-qualités d'ambassadeur de notre cinéma, de réalisateur inspiré et consciencieux, d'écrivain ou d'orateur", lit-on par exemple sous la plume du Minotaure dans "L'Ecran français" en 1946 (No 45).
La fonction créant le rôle, il est capitaine de parachutistes de la France libre dans "Le Bataillon du ciel" (1945) de Alexandre Esway, aristocrate flamand résistant aux Espagnols dans "Patrie" (1945) de Louis Daquin, le noble pasteur Martin de "La Symphonie Pastorale" de Delannoy - un gros succès d'alors mais l'un de ses rôles les plus lourdement vieillis - le généreux et obstiné "Docteur Laennec" (1948) réalisé par Maurice Cloche. Blanchar tourna dans l'avant-dernier film réalisé par Maurice Tourneur "Après l'amour" (1948), à savoir que l'acteur était apparenté à celle de Tourneur dont il avait épousé la belle-soeur, Marthe Vinot, en 1923.
Ensuite, rien ou presque : effet de mode, injustice imprévisible, Blanchar ne travaille plus guère. A peine le remarque-t'on dans le premier de la savoureuse série des "Monocle" de Georges Lautner, en 1961, il portait encore beau, le cheveu argenté et lissé, l'oeil vif. Une simple dalle de granit, au fond du charmant cimetière parisien de Charonne, rappelle son souvenir. Pierre Blanchar est mort le 21 novembre 1963 à Suresnes, il avait 71 ans.
Extraits *Noir et Blanc Olivier Barrot & Raymond Chirat Editions Flammarion
1922 1928
1929 1928
1932
Les Croix de Bois - Bande-annonce officielle HD
Crime Et Chatiment 1935 de Pierre Chenal avec Pierre Blanchar, Harry Baur
L'Etrange Monsieur Victor de Jean Grémillon avec Raimu, Pierre Blanchar
Pierre Blanchar dans "Pontcarral, colonel d'empire" (Delannoy, 1942)
La symphonie pastorale - Bande annonce FR
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