FERNAND LEDOUX, GOUPI MAINS-ROUGES
FERNAND LEDOUX 1897 - 1993
Comédien Français
Fernand Ledoux est né le 24 janvier 1897 à Tirlemont, d'origine Belge, il acquit la nationalité française à l'âge de 23 ans. Il avait été frappé par la grâce théâtrale alors qu'il faisait des études au séminaire de Saint-Tron. Dès lors, il ne vécut plus que pour la scène, hormis l'intermède de la Grande Guerre pour lequel il s'engagea à 17 ans.
Il rêve à l'éblouissement de Paris. La soutane qu'il souhaitait revêtir, il la voue aux orties. Il veut être comédien. Les rencontres sur le Front avec des acteurs de la trempe de Jules Berry et de Françoise Rosay l'ancrent dans sa vocation. La paix retenue, le voici parisien, inscrit au Conservatoire. Il obtient un second prix en 1920. L'année suivante, il n'accepte pas qu'aucune récompense ne soit décernée aux hommes. Il démissionne en bonne compagnie, et il entre à la Comédie-Française, modestement pour jouer les utilités. Commence alors une longue histoire d'amour entre la vénérable institution et l'apprenti comédien.
De 1921 à 1931, date de son accession au sociétariat, lentement, durement, il gravit les échelons d'une scène où règne la hiérarchie : "Nous nous formions à l'exemple des grands auprès de qui nous débutions. Nous imitions, mais nous devions beaucoup apporter de nous-mêmes, car ils ne montraient pas leurs trucs...A la représentation, il nous fallait improviser aux trouvailles de leur jeu...On recherchait alors une personnalité se déplaçant à travers toutes les sortes de personnages - personnellement j'en ai joué peut-être huit cents...cela demandait de l'habileté, du métier et nous devions veiller à préserver la valeur humaine de notre interprétation."
Cette ligne de conduite détermine son attitude par rapport au cinéma. Son compatriote Feyder le réclame pour "La faute d'orthographe" (1918) et pour "L'Atlantide" (1921). L'Herbier l'engage pour un rôle intéressant de "Villa Destin" (1920). Mais ce sont des apparitions intermittentes dévorées par son service au Français. Au parlant, il va faire sienne chaque occasion, estimant ses prestations sur l'importance qu'il est susceptible de leur communiquer. Il se glisse ainsi dans des films aussi disparates que "Tarass Boulba" (1935) de Alexis Granowski où il concurrence Harry Baur dans l'art du maquillage. "Folies Bergères" (1935) de Marcel Achard où valet stylé et respectueusement ironique, il donne la réplique à Maurice Chevalier, "Le Vagabond bien-aimé" (1936) de Kurt Bernhardt ou il caricature le prétendant de Betty Stockfeld. Broutilles alertes, éparpillées comme en s'en moquant. Il en va de même avec le "Mayerling" (1936) d'Anatol Litvak (trente ans plus tard, dans la ressucée due à Terence Young, il retrouvera le même rôle). Dans "Alerte en Méditerranée" (1937) de Léo Joannon, il est antipathique à souhait et bienveillant à merveille dans "Altitude 3200" (1938) de Jean-Benoit Lévy. Il sait maintenant insuffler la chaleur humaine dans toutes ses apparitions.
A la Comédie, il marque de son empreinte aussi bien les rapsodies historiques de Saint-Georges de Bouhélier (Le Sang de Danton) que les évocations historiques de Jules Supervielle (Bolivar). Il est Turelure dans "L'Orage" et Georges Dandin. Il arpente la galerie des miroirs de Pirandello (Chacun sa vérité), glousse et cligne de l'oeil dans le "Légataire universel". Il distille enfin les couplets de Giraudoux dans "Le Cantique des cantiques".
Pesant d'apparence, l'oeil acéré, l'allure compassée trahie par des gestes furtifs, la face glabre aux lèvres vérrouillées qui s'incurvent en un arc amer, c'est Tartuffe - C'est Blaise Couture d'Asmodée, créature de Mauriac, prêt à accaparer les âmes - sinon les corps - des tendres dames qui soupirent devant cet étrange précepteur. En trois coups de crayon, il avait même campé à l'écran, en 1934, sous la direction pauvre de Wulschleger l'adjudant Flick du "Train de 8h47". "Flick est une façon de Tartuffe de l'armée, explique-t'il, c'est dans cet esprit que j'ai joué le personnage."
Ledoux connaît la valeur des silences épais, d'un regard qui chavire, des mots rares brûlants de haine. Il en gorge son interprétation de Roubaud, le chef de gare assassin de "La Bête humaine" (1938) de Jean Renoir. A le voir s'éloigner le long du quai, la lanterne au bout des doigts, on croit distinguer des gouttes de sang qui perlent de ses mains. Le malaise qu'il dégage tourne à la répulsion au point que dans les rôles anodins tel que le maire de "L'Assassinat du père-Noël" (1941) de Christian-Jaque avec Harry Baur, par exemple ou le bosco de "Remorques" (1940) de Jean Grémillon, on respire encore les relents de la vareuse de Roubaud et qu'on prête à ces personnages on ne sait quel passé louche. Une pirouette, et le voici Vénitien, balourd et rusé, dans "Volpone" (1940) de Maurice Tourneur. Il l'interprète sur un tempo gaillard, ne craignant ni l'exagération des mimiques, ni le trait un peu gras.
Il accède aux premiers rôles. Maître de la sobriété intense (le geôlier jaloux de son prisonnier et le dépouillant de son oeuvre : "Le Lit à colonnes" (1942) de Roland Tual ou l'aiguilleur qui s'approprie le butin d'un crime et vit désormais dans le remords dans "L'homme de Londres" (1943) de Henri Decoin ou le seigneur enfoui dans une poignante tristesse mais qui finit par vendre son âme au diable dans "Les Visiteurs du soir" (1942) de Marcel Carné. Champion des tours de passe-passe : dans "Premier rendez-vous" (1941) de Decoin, on le prend d'abord pour un être inquiétant, c'est un brave professeur, chahuté par sa classe, qui s'incline devant les amoureux et, la larme à l'oeil, favorise leur bonheur. Il se lance parfois avec hardiesse dans le grand opéra. L'Auvergnat halluciné de "Sortilèges" (1944) de Christian-Jaque hurle des interprétations à la façon des basses du répertoire et s'intégre corps et âme dans le style flamboyant du récit.
L'acteur abandonne de cocasse façon le Théâtre-Français qui lui refuse quelques congés. Ce faisant, il fourre, comme l'avait constaté De Max, "de la gavrocherie napolitaine dans la truculence flamande". C'était en 1943, Ledoux venait de s'identifier à ce Goupi à double face, frotté d'humour, ami taciturne de ceux qui souffrent, libre homme des bois : la vérité même captée à chaque instant, recomposée sur le vif et aboutissant à faire d'un personnage, un type.
Le cinéma l'accapare alors. Mais il ne trouve que rarement des metteurs en scène à sa taille. L'imprudent pharmacien de "Danger de mort" (1947) de Gilles Grangier, l'assassin gluant de "L'Ombre" (1948) de André Berthomieu, le faux descendant de Louis XVI "Monseigneur" (1949) de Roger Richebé auraient mérité des directions plus attentives que celles de Grangier, Berthomieu et Richebé. Et le sketch des "Histoires extraordinaires" (1949) de Jean Faurez, doit surtout à Jules Berry et à Ledoux. "Pattes blanches" (1948) de Jean Grémillon le voue aux sensuelles amours et aux embruns, au malheur et au meurtre - mais "Les Hommes en blanc" (1955) de Ralph Habib, le transforme en médecin de campagne, usé par le dévouement et qui meurt à la tâche.
Pour quatre ans il retrouve sa chère Comédie-Française et Molière, et Pirandello. Il continue de beaucoup tourner et même de prêter sa voix au roi de "La Bergère et le ramoneur" (1953) de Paul Grimault. Il apparaît dans des réalisations de Richard Fleischer, de Zanuck, de Welles, de Huston et de Parrish. Sur scène, il joue du Sartre, du Claudel, du Roussin. En 1957, Jean-Paul le Chanois lui demande de tenir dans "Les Misérables" le rôle de Gillenormand; en 1981, Robert Hossein lui offre dans sa version celui de Monseigneur Myriel.
Acteur éclectique, il est le père bon enfant des "Papa, Maman, la bonne et moi" (1954) et "Papa, Maman, ma femme et moi" (1955), le père humble et désolé de "Christine" (1958) de Pierre Gaspard-Huit, le monarque sorti des albums de Gustave Doré "Peau d'Ane" (1970) de Jacques Demy. Il participe à des films qui promettaient plus qu'ils n'ont tenu comme "Till l'espiègle" (1956) de et avec Gérard Philipe, "Celui qui doit mourir" (1956) de Jules Dassin et gratifie des silhouettes sans relief de sa palpable présence dans "La Vérité" (1960) de Clouzot, "Le Glaive et la Balance" (1962) de André Cayatte, "Les Chinois à Paris" (1973) de Jean Yanne, "A chacun son enfer" (1976) de Cayatte (avec Annie Girardot, incarnant une mère dont on kidnappe sa fille...
Carrière prestigieuse - prodigieuse même. A la manière du travail de prestidigitation qui donne des ailes aux chapeaux et transforme les foulards en drapeaux. Don qui devient talent, talent qui touche au grand art, celui-ci discerné dès 1935 par Colette lorsqu'elle s'exclamait, enchantée : "J'aime ce Ledoux qui, de peu, sait faire beaucoup". Il surgit au détour d'un sentier sous un ciel de pluie. Tout ensemble lourd et leste. Il arrive du fond de l'horizon et du fond des âges, casquette enfoncée, oreille au guet, le chien contre les jambes. Ses vêtements sentent la feuille sèche et l'herbe foulée, les fumées d'automne et les champignons. C'est un Goupi, celui du clan qu'on redoute le plus qu'on a surnommé "Mains rouges", qui chemine l'oeil mi-clos à la tombée de la nuit. D'autres ombres le suivent : un vieux médecin dans sa carriole, un employé des chemins de fer au ciré luisant de crachin, un paysan d'Auvergne englué dans les maléfices, le maire d'un village calfeutré sous la neige, un breton sculpté dans le granit. Hommes du brouillard, ils se confondent et s'éloignent au pas de "Goupi Mains rouges".
Generique Cinema - Volpone 1941 Maurice Tourneur
*Affiches Cinema français - Cinetom
D'après les excentriques du cinéma français - Olivier Barrot & Raymond Chirat Editions Flammarion
________________________Ginette Leclerc