JANE MARKEN, COMÉDIENNE AU CŒUR VIF ET LE VERBE HAUT....
JANE MARKEN 1895 - 1976
Comédienne Française
Avant tout c'est un rire : frais, perlé, cascadeur, un rire où passe le roucoulement de la tourterelle et qui invite à la gaiété. En a-t'elle vraiment gaspillé les éclats en compagnie de Jules Berry, pour lui laisser, en le quittant ce billet laconique où perce cependant la mélancolie "J'ai assez ri ?" Au temps de l'Odéon, elle a du le faire monter en fusée en jouant les servantes futées et irrésistibles du répertoire.
Jane Marken est née le 13 janvier 1895 à Paris. Après le Conservatoire, elle parcourt l'Odéon et sur les Boulevards une carrière heureuse et abondante. Dès 1917, elle voit le cinéma s'intéresser à elle grâce à Germaine Dulac et Abel Gance. Ce dernier ne l'oublie pas et fait appel à son talent à plusieurs reprises dont son premier film "Fioritures" (1917), l'appréciait, ne l'oubliait plus, utilisait à nouveau sa blondeur, sa fraîcheur, la nacre de sa peau dans la version sonore de "Napoléon Bonaporte" (1935), dans "La Dame aux Camélias" (1934) où elle joue Prudence aux côtés d'Yvonne de Printemps, dans "Un grand amour de Beethoven" (1936) où elle s'afflige de la surdité d'Harry Baur, dans "Paradis Perdu" (1939) où elle compatit pleinenement aux malheurs des uns et des autres.
A cette belle créature, appétissante, joliment dodue, point effarouchée, peuvent s'appliquer des comparaisons florales : rose arrivée par le matin ou culinaires : crème dont l'onctuosité baigne la langue et parfume le gosier. Marken, dont la carrière cinématographique commence vraiment à s'épanouir vers 1936, n'en est plus alors à son aurore et d'elle pourtant émane une sensualité singulière, la rose de septembre. L'ingénue émancipée qui animait en 1919 les films de Monca est oubliée, comme sont oubliées "Chouquette et son as" et "Madame et son filleul". Une petite bourgeoise avenante au corsage rebondi, heureuse de vivre et de bien manger, la remplace. Honnête à coup sûr, mais ne refusant pas la gabatelle pour peu que l'occasion s'en présente : l'herbe tendre et les souffles de l'orage dans "Partie de campagne" (1936) de Jean Renoir, l'obscurité complice et les propos galants dans "Les Enfants du paradis" (1943-1945). Madame Dufour et madame Hermine sont parentes; leurs rires énervés et consentants, leurs soupirs enamourés célèbrent le plaisir de l'instant. Les années vont passer qui abîment et qui détruisent, les partenaires oublieront vite. Elles protégeront le souvenir et garderont au creux de l'oreille l'écho de leur émoi.
La patronne de "L'Hôtel du Nord" (1938) de Marcel Carné ne s'abandonne pas si facilement. Derrière son comptoir, ou au hasard des chambres, elle a vu beaucoup de choses, s'est détournée discrète, mais a su consoler l'infortune et apaiser les chagrins. Elle est bonne et efficace, tandis que la mère Duponchet est vénale. Pour pousser sa fille Louisette dans les bras du Bien-Aimé dans "Remontons les Champs-Elysées" (1938) de Sacha Guitry, elle multiplie les courbettes, mime l'extase et souffle la chandelle, ivre de complicité. Le jeu robuste et coloré de Jane Marken rend sympathique cette joyeuse maquerelle comme est sympathique aussi la camériste d'Yvonne Printemps dans "Trois Valses" (1939) de Ludvig Berger, qui aime tant les défilés militaires.
Aux détours d'une carrière bien employée, elle va retrouver de temps en temps ces braves femmes au coeur vif et au verbe haut. En particulier dans "Copie conforme" (1946) de Jean Dréville lorsque, concierge accorte, elle se laisse lutiner par Jouvet; dans "Clochemerle" (1947) de Pierre Chenal où elle devient la belliqueuse baronne de Courtebiche qui manie le face-à-main et profère des invectives; dans "Lady Paname" (1949) de Henri Jeanson où elle mène bon train son excellente ménagère qui ne s'en laisse jamais conter.
Cependant, on s'est aperçu assez vite que la rose à des épines et que, si l'on y dépose quelques gouttes de citrons, la crème risque de tourner. Déjà la veule pensionnaire de "Lumière d'été" (1942) de Jean Grémillon, que le bal masqué restitue au petit matin, hagarde et fatiguée, sentait venir le vent. Anne, dans "L'Eternel Retour" (1943) de Jean Dealnnoy, s'oriente de nouveau vers le dévouement et les soins attentits, mais insensiblement Marken va devenir redoutable. Sèche tenancière d'un restaurant de marché noir dans "Les Portes de la nuit" (1946) de Marcel Carné ou bourgeoise du XVIè indifférente au malheur qui passe dans "Falbalas" (1944) de Jacques Becker. C'est encore moindre mal. Sa rencontre avec le cinéaste Yves Allégret la précipite dans les enfers. Elle se prostitue en compagnie de "Dédée d'Anvers" (1947), fait peser un hôtel battu par la pluie, sa présence sournoise, malveillante et cruelle à coup sûr dans "Une si jolie petite plage" (1948). Dans "Manèges" (1949) enfin, vieille cantin, elle s'acharne avec sa fille (Simone Signoret) à ridiculiser, blesser, dépouiller celui qui les nourrit et les abrite (Bernard Blier). Le visage bouffi de Marken pendant la confession finale, lorsque les larmes délayent le rimmel en rigoles noirâtres est de ceux que l'on oublie pas, comme on n'oublie pas non plus dans "Maxime" (1958) de Henri Verneuil la demi-mondaine plus que mûre, qui hoquette en buvant son champagne assaisonné de venin.
La mère de "Chéri" (1950) de Pierre Billon, bornée, avare et méchante est du même acabit : le personnage de "Deux sous de violettes" (1951) de Jean Anouilh du même style et que dire de la nourrice de "Caroline chérie" (1950) de Richard Pottier trop heureuse de se venger des avanies du temps-passé. Devant de semblables mégères, la mère Josserand de "Pot-Bouille" (1957) de Duvivier qui, pour caser ses filles tuerait presque son mari, semble déborder de tendresse. Tout en restant fidèle à son image de marque dans des films tels que "Ces dames aux chapeaux verts" (1948) de Fernand Rivers, " Chiens perdus sans collier" (1955) de Jean Delannoy avec Gabin ou "Les Trois font la paire" (1957) de Clément Duhour et Sacha Guitry, Jane Marken démontre avec sa virtuosité coutumière qu'un sourire bonasse et une voix mielleuse constituent les auxiliaires de la fourberie et de la scélératesse. Ses rôles dans "Retour à la vie" (1948), film à sketches, "Le Miroir à deux faces" (1958) de Cayatte ne le cèdent en rien sous le rapport de la tartufferie et de la méchanceté. On se souviendra également de son rôle au côté de Brigitte Bardot dans "Et Dieu créa la femme" (1956) de Roger Vadim.
La disparition de Jane Marken qui tint une belle place dans le cinéma d'une époque est passée inaperçue. Depuis quelque temps l'actrice avait fermé à clé le placard aux monstres : elle préférait évidemment se souvenir des Bords de la Marne par un beau jour d'été ou de la chambre de Mimi Pinson accrochée au flanc de la Butte. Jane Marken décède d'une crise cardiaque, le 1er décembre 1976 à Paris. Cette actrice qui était une artiste populaire de surcroît, disparut sans bruit avec la plus grande discrétion pendant le début des fêtes de Noël. Sa dépouille a été selon ses voeux, incinérée au Cimetière du Père-Lachaine, faute d'avoir renouveller la concession son urne a été relevé....
Olivier Barrot - Raymond Chirat - Noir&Blanc - Editions Flammarion
1932 - 1934
1935 - 1936
1936 - 1939
1940 -1944
1945 - 1946
1947
1948
Une si jolie petite plage - 1949 - Bande-annonce HD
1949
"Manèges" - Blier/Signoret
1951
Affichescine -Cinéma français - Cinetom
_________________________George Cukor