DÉCÈS DE MANOEL DE OLIVEIRA, DOYEN DES CINÉASTES
DÉCÈS DU CINÉASTE PORTUGAIS
MANOEL DE OLIVEIRA 1910 - 2015
Le réalisateur portugais Manoel de Oliveira, doyen mondial des cinéastes, est mort jeudi 2 avril 2015 à l'âge de 106 ans, laissant une oeuvre inégalée qui s'étend sur plus de 80 ans de l'histoire du septième art. Le grand maître du cinéma portugais, qui a réalisé près d'une cinquantaine de films et documentaires, s'est éteint dans sa maison de Porto, sa ville natale dans le nord du Portugal, où il sera inhumé vendredi.
La mort du cinéaste prolifique a suscité une vive émotion dans les milieux culturels et politiques, au Portugal et ailleurs. Le gouvernement portugais a aussitôt décrété deux jours de deuil national. Les hommages se sont multipliés. Il était "un témoin incomparable de la culture portugaise", a déclaré, ému, le président Anibal Cavaco Silva. "Son cinéma le rend éternel", a estimé Margarida Gil, présidente de l'association portugaise de réalisateurs.
"Je suis orphelin, comme tout le cinéma mondial. C'était un seigneur", a réagi le réalisateur français Gilles Jacob, ancien président du festival de Cannes. Témoignant d'une inépuisable "faim de vivre et de tourner", le réalisateur avait tenu à fêter fin 2014 son 106e anniversaire auprès de son public, à l'occasion de la sortie de son dernier film, "Le Vieux du Restelo", tourné quelques mois auparavant malgré sa santé fragile.
Manoel de Oliveira avait promené jusqu'au bout l'acuité de son regard sur la condition humaine, dans une perpétuelle interrogation sur le sens de la vie.
- Clin d'oeil posthume -
"Tous mes films montrent en fait que les hommes entrent en agonie au moment où ils arrivent au monde. Je suis un grand lutteur contre la mort (...). Mais la mort arrive quand même", déclarait-il. Dernier clin d'oeil, le réalisateur avait programmé la diffusion posthume d'un long-métrage autobiographique, "La Visite ou Mémoires et confessions", qui sera projeté prochainement.
Né le 11 décembre 1908 à Porto, Oliveira était le dernier témoin du "beau vieux temps du cinéma muet" qu'il continuait d'évoquer avec nostalgie. Il avait réalisé l'essentiel de son oeuvre la soixantaine passée, et s'était fait connaître du grand public après ses 80 ans.
Fils d'un industriel qui l'emmène voir les films de Charlie Chaplin et Max Linder et lui offre sa première caméra, Manoel de Oliveira, un athlète accompli, champion de saut à la perche et de course automobile, débute au cinéma à 20 ans comme figurant dans un film muet, "Fatima miraculeuse".
En 1931, il tourne un premier documentaire - toujours muet - "Douro, travail fluvial", sur la vie des travailleurs du fleuve qui baigne sa ville natale.
Acteur dans le premier film parlant portugais, "La chanson de Lisbonne", en 1933, c'est surtout la réalisation qui l'intéresse et après plusieurs documentaires il se lance dans la fiction en 1942, avec "Aniki-Bobo", sur la vie des enfants d'un quartier populaire de Porto.
Mais le contexte politique dans le Portugal du dictateur Salazar l'éloigne des caméras. Il gère l'usine de textiles héritée de son père et entretient les vignobles familiaux. Ce n'est qu'en 1963 que sort son deuxième long métrage, "Le Mystère du printemps", évocation de la passion du Christ.
A partir de 1971, Oliveira se lance dans une tétralogie dite des "Amours frustrées", gagnant l'image d'un "cinéaste exigeant" qu'il impose en 1985 avec la sortie du monumental "Soulier de Satin", fresque de près de sept heures tirée de la pièce de Paul Claudel, Lion d'Or spécial à la Mostra de Venise.
- Un film par an -
Créateur acharné, il réalise à partir de 1985 pratiquement un film par an et travaille avec les plus grands acteurs comme les Français Catherine Deneuve et Michel Piccoli, l'Italien Marcello Mastroianni et l'Américain John Malkovich.
Ses films, où dialogues et musique prennent une place essentielle, ont la lenteur du Douro de son Porto natal, avec de longs plans fixes, semblables à des tableaux, et de lents mouvements de caméra.
Plusieurs fois primé à Cannes ou à Venise, ce "cinéaste des cinéphiles", marié et père de quatre enfants, aura attendu d'être octogénaire pour atteindre le grand public avec notamment "Je rentre à la maison" (2001), où Piccoli incarne un vieux comédien qui s'interroge sur la solitude, la mort et la vieillesse après avoir perdu sa famille.
En 2008, le cinéaste au sempiternel chapeau de feutre avait reçu sa première Palme d'Or à Cannes pour l'ensemble de son oeuvre. Le Festival de Cannes lui a rendu hommage, saluant "un cinéaste exceptionnel", "phare de la culture européenne et mondiale"."Recevoir des prix, c'est sympathique", déclarait avec malice le vieil homme. Mais, ajoutait-il aussitôt, "le plus beau cadeau qu'on puisse me faire, c'est me laisser continuer à faire le reste de mes films".
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Le cinéma de Manoel de Oliveira - Archive INA
Manoel Candido Pinto de Oliveira, le plus âgé des cinéastes en exercice au débuut du troisième millénaire, était né le 12 décembre 1910 à Porto (Portugal) dans une famille bourgeoise. Après ses études, Manoel mène une vie de dandy, fréquentant théâtres, cirques et autres lieux de spectacle et de plaisir. Brillant sportif, pratiquant la gymnastique et l'athlétisme, grand amateur de voitures et de vitesse, Oliveira participa à de nombreuses courses automobiles jusqu'à son mariage en 1940.
Passionné de cinéma, Oliveira songe d'abord à devenir comédien : en 1928, il interprète un petit rôle dans "Fatima Miraculeuse" de Rino Lupo. L'année suivante, il commence le tournage d'un documentaire "Douro, travail fluvial" (Douro, Faina fluvial,1931) qui sera présenté en 1931 au congrès international de la Critique et sera exploité commercialement en 1934 après avoir été sonorisé. Dans les années 30, le cinéaste réalise quelques courts métrages, joue dans "La chanson de Lisbonne" (Cottinello Telmo, 1933) avant de signer en 1942, un premier long métrage, "Aniki-Bobo", aujourd'hui salué comme un précurseur du néo-réalisme italien. Les enfants d'Aniki-Bobo sont Portugais. Ils vivent à Porto, dans l'Antique cité bourgeoise, dévote et besogneuse, au bord du Douro, le fleuve de la richesse et du labeur, qui charrie des paillettes d'or, les bateaux chargés à ras de vin de Porto, et les innombrables cargos et péniches du trafic fluvial. Sur ses rives escarpées se pressent des quartiers populaires, bruyants, pittoresques, où s'affairent mille petites métiers, où les enfants sont pauvres, libres et aventureux." Ce texte du plus célèbre des cinéastes portugais, définit parfaitement le style réaliste d'un film considéré par les historiens du cinéma comme le précurseur du mouvement néo-réaliste italien.
Avant cette oeuvre de fiction, tournée en extérieurs avec une inteprétation en majorité non professionnelle. A nouveau réduit au silence, De Oliveira, jusqu'en 1956, s'occupe de l'usien de passementerie héritée de son père et d'un vignoble appartenant à sa femme. Une nouvelle série de courts métrages précède "Le mystère du printemps" (Acto da Primavera,1963) qui met en scène, dans un village, une représentation du mystère de la Passion par la population locale. Présenté dans de nombreux festivals, ce film marque le début de la reconnaissance, dans son pays comme à l'étranger, de Manoel de Oliveira.
Celui-ci devra encore attendre quelques années avant de trouver les moyens de ses ambitions artistiques et de signer sa "tétralogie des amours frustrées" avec "Le passé et le présent" (O' Passado c o presente,1972) "Benilde ou la Vierge Mère" (Benilde ou a Virgem-Mae,1975), "Amour de perdition" (Amor de perdiçào,1978) et "Francisca" (1981); ces quatre films sur la passion amoureuse déclencheront un peu partout, à Madrid, à Paris, à Londres, rétrospectives et hommages à propos d'une oeuvre qui, alors, ne faisait pourtant que commencer.
En effet, depuis le début des années 80, Manoel de Oliveira n'arrête pas de tourner. Nombre de ses films ont participé au Festival de Cannes : notamment "Non ou la vaine gloire de commander" (Non o va gloria de mandar,1990), cette réflexion sur l'histoire du Portugal se termine le 25 avril 1974, jour de la Révolution des Oeillets qui marqua la fin du Salazarisme et de l'expansion coloniale, enlisée alors dans trois conflits en Angola, en Guinée Bissau et en Mozambique, dont les séquences contemporaines donnaient une synthèse. (Hommage spéciale du Jury).
C'est au cours du montage des "Cannibales" (Os Canibais,1988) et de "Non ou la vaine gloire de commander" que Manoel de Oliveira songea à adapter "Madame Bovary". Sa monteuse lui parla de Flaubert, qu'elle était en train de lire. De Oliveira se plongea de nouveau dans "Madame Bovary" et lorsque le producteur Paulo Branco lui demanda un sujet de film, il lui suggéra une adaptation de l'oeuvre de Flaubert. "Val Abraham" (Vale Abraao,1993) fut présenté en Première Mondiale, à l'occasion de la 25 ème Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 1993 et fut récompensé du Prix des Cinémas d'Art et d'Essai. En 1997, "Voyage au début du monde" (Viagem ao principio do mundo) obtint le Prix de la Presse internationale.
Avec "Le jour du désespoir" (O dia do desespero,1992), le choix du cinéaste oscille sur le choix d'une construction entre le documentaire et la fiction, Manoel de Oliveira précisa : "J'ai choisi de me centrer sur sa mort. Non pas de faire une film de sa vie, ce qui aurait entraîné tout les clichés et toutes les images convenues de l'"artiste romantique", mais faire une sorte de "rapport" sur sa mort, ce qui est une façon de traiter de manière surprenante, disons antiromanesque, un épisode mythique de la vie d'un grand écrivain, ses derniers instants, son agonie. (...) Je respecte absolument tous les documents de l'époque. Tout ce qui est dit à ce moment, tout ce qui est dit dans le film, a été écrit à l'époque, dans la presse, dans les procès verbaux de la mort de Camilo Castelo Blanco, dans sa correspondance, et tout est scrupuleusement respecté et rendu de façon "objective". Si l'on fait un film avec de l'Histoire, avec des textes ou des documents historiques, il faut les respecter, c'est-à-dire les aimer, leur être fidèle, donc les dire entièrement, sans fausse reconstitution - Cahiers du Cinéma no466- avril 1993) (ce qui n'est pas le cas pour de nombreux films tels que "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb....
"Inquiétude" (1998) fut présenté hors compétition, dans la sélection officielle du 51e Festival de Cannes. Manoel de Oliveira expliqua ainsi le titre du film : "(...) il m'a semblé que dans chaque histoire, il y avait plus ou moins quelque chose d'inquiétant. En effet, ce film peut être une façon tripartite de montrer le désir latent chez les mortels d'atteindre l'immortalité." A quatre-vingt treize ans, De Oliveira revenait sur les lieux de son enfance et de sa jeunesse. Pour cette occasion, il n'hésita pas à se mettre lui-même en scène, l'une des premières fois de sa carrière, sous les traits d'un acteur interprétant le rôle d'un voleur dans la pièce de "Miss Diabo" avec le film "Porto de mon enfance" (O Porto da minha infancia,2001). Il est intéressant de noter que le premier plan du film, un phare au bord de la côté Atlantique, constitue en couleurs le premier plan du premier film du cinéaste, "Douro Faina fluvial" (1931), comme si De Oliveira tenait à boucler une boucle cinématographique. En tournant "Le principe de l'incertitude" (O principio da incerteza,2002), De Oliveira tint à réunir deux acteurs particuliers : son petit-fils Ricardo Trepa, et la petite-fille de sa meilleure amie, Agustina Bessa Luis. Le doyen des cinéastes du monde entier est mort ce jeudi 2 avril 2015 à l'âge de 106 ans, laissant une oeuvre inégalée qui s'étend sur plus de 80 ans de l'histoire du septième art
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