MAX LINDER, LA SCIENCE DU BURLESQUE FRANCAIS
MAX LINDER 1883 - 1925
Comédien Français
Max Linder de son véritable nom Gabriel-Maximilien Leuvielle naquit le 16 décembre 1883 à Saint-Loubès en Gironde. Fils de viticulteurs, dès l'âge de dix-neuf ans il jouait de petits rôles du répertoire classique tout en suivant les cours du conservatoire de Bordeaux. Monté à Paris en 1904, il échoua à trois reprises au coucours d'entrée du Conservatoire, et pour vivre devint acteur au théâtre de l'Ambigu. Cela le mena aux studios Pathé à Vincennes, car il y avait entre les deux établissements des liens solides.
Leuvielle avait déjà adopté le pseudonyme de Max Linder. En 1905, il commença par jouer pour Pathé de nombreux petits rôles, avant d'obtenir la vedette dans "La Première sortie d'un collégien". Le travail ne lui manquait pas : Zecca le payait 20 francs par joue, 15 francs de plus s'il devait tomber à l'eau et davantage si ses vêtements étaient endommagés; en contrepartie Linder devait accepter ce qu'on lui présentait : un jour premier rôle dans un court métrage de six à dix minutes (mis en boîte après une seule répétition, et en une seule prise et pour ainsi dire sans mise en scène), le lendemain simple figurant.
Ce n'est qu'en 1910 qu'il créa le personnage de Max, qui devait lui valoir une renommée mondiale. Pathé avait déjà ses comiques attitrés, notamment le clown du cirque André Deed; ce n'est qu'après le départ de ces comédiens pour d'autres compagnies que Max Linder put se révéler pleinement.
On a souvent dit que le plus célèbre de ses premiers films, "Les débuts d'un patineur" (1906), avait inspiré "Charlot Patine" (The Ring,1916) de Chaplin, mais c'est assez peu probable. Linder fonde tous ses effets comiques sur la maladresse, Chaplin joue davantage sur la débrouillardise associée à la grâce du geste. Pathé jugea d'ailleurs "Les débuts d'un patineur" si médiocre qu'il en retarda la sortie pendant plusieurs mois. Fin 1908, la carrière de Linder était au plus bas, à tel point qu'il en fut réduit à faire de la simple figuration. L'année suivante, il revint pourtant au premier plan : pour la première fois il était la vedette de sa propre série composée d'une bonne vingtaine de bandes. Il incarnait aussi bien de joyeux drilles que des apaches parisiens. Il fut même demoiselle énamourée dans "Une jeune fille romanesque" (1909). Dès 1910, le nom de Max figurait dans les titres de presque tous les films dont il fut vedette.
C'est un peu par hasard que Max Linder devint le célèbre dandy que nous connaissons. Les premiers acteurs comiques du cinéma français se définissaient par leur style de jeu, mais plus encore par leur costume. Il y avait déjà chez Pathé un élégant, "Gontran", incarné par l'acteur Gréhan. En passant chez Eclair à cette époque, Gréhan laissait un vide à combler. Habillé avec chic, Gontran n'était guère qu'un personnage burlesque dans la tradition du music-hall. Linder lui fit subir une profonde modification : jeune petit-bourgeois oisif, bon vivant et "grand amateur de femmes", Max se trouva mêlé à d'incroyables aventures, généralement dans l'espoir d'obtenir les faveurs d'une créature sans coeur, mais sans jamais se départir de son impeccable élégance. Huit-reflets habit, pantalon rayé, guêtres, gants beurre-frais et canne à pommeau, c'est grâce à ces armes de gandin que Max fronte les pires situations et en vient à bout.
La série dura jusqu'à la déclaration de guerre. Au début, la réalisation de ces films était attribuée à un certain nombre de metteurs en scène, mais Linder, qui mettait au point ses propres scénarios et se dirigeait lui-même sur le plateau, devint dès 1911 son propre réalisateur et il le resta jusqu'en 1919. Très vite sa popularité fut énorme. En 1911 il demanda et obtint de Pathé la somme de 150 000 francs par an. Bientôt ce cachet était porté à 340 000 frances, pouvant atteindre 1 million en 1912.
Malgré son élégance, le personnage de Max demeurait, d'une certaine façon; étranger au monde dans lequel il évoluait. Il en arborait par la tenue les signes extérieurs, mais il restait fondamentalement marginal. Son public populaire se rendait compte qu'il était un des siens; et Linder s'est efforcé de le leur faire clairement comprendre, d'où ces infernales plaisanteries sur les puces, les odeurs de pied, le mal de mer ou la diarhée qui abondent dans ses films.
Mobilisé lors de la déclaration de la guerre, Max Linder, en raison de son état de santé (il avait eu un péritonite en 1911), servit comme chauffeur. Il participa à la bataille de la Marne, au cours de laquelle il dut passer une nuit entière dans l'eau glacée : atteint d'une pneumonie, il fut réformé. Sa carrière militaire semble s'être arrêtée là : tout ce qu'on a pu raconter plus tard (blessures à la poitrine, intoxication par les gaz, bref passage dans l'aviation) tient d'une légende montée et véhiculée par les publicitaires du studio. Linder réalisa quelques films en Suisse, mais son état de santé empirant, en 1916 il dut entrer dans un hôpital militaire. C'est là qu'il reçut une visite qui allait compter.
George K. Spoor, de la compagnie Essanay, était venu en Europe afin de trouver un successeur à Chaplin, qui venait de le quitter pour passer à la firme Mutual. Les films de Linder étaient bien connus en Amérique; où ils avaient remporté un grand succès. Spoor offrait un contrat d'un an, à 5 000 dollars la semaine, contre la réalisation de douze films comiques. Linder accepta, et octobre se sentit assez vaillant pour faire le voyage. Essanay l'accueillit à grand renfort de publicité, n'hésitant pas à proclamer qu'il était bien meilleur que Chaplin; accablé de ces lourds lauriers, l'acteur se retrouva à Chicago, en plein hiver, filmant "Max en Amérique" (Max Comes Across,1917) par des températures inférieures à zéro et contraint de travailler en recourant à des interprètes. La tâche était trop rude pour lui. Il tourna encore un film à Chicago, "Max veut divorcer" (Max Wants a Divorce,1917), fut envoyé par Spoor à Culver City, au climat plus agréable pour "Max et son taxi" (Max in a Taxi,1917), et ce fut tout. Les neuf autres films ne furent jamais réalisés, et les deux parties furent d'accord pour annuler le contrat. Linder revint en Europe pour entrer dans un sanatorium suisse. Il ne devait se remettre au travail qu'en 1919. Mitry explique l'échec américain de Max Linder par son incapacité à se plier aux méthodes de productions américaines et à leur planning minutieux. C'est peut-être vrai, bien que le cinéma burlesque américain fit encore à cette époque largement place à l'improvisation. La maladie, les problèmes de langue, mais aussi le déclin d'Essanay ont, sans doute, joué un rôle beaucoup plus déterminant.
Max fit son grand retour en 1919 avec "Le Petit Café", tiré d'une célèbre comédie de Tristan Bernard, dont le fils, Raymond Bernard, assura d'ailleurs la mise en scène. Ce n'était pas seulement le premier long métrage de Linder, mais aussi la vraie comédie française; ce fut un grand succès qui marqua pour Raymond Bernard le début d'une carrière très honorable et fit renaître chez Max le désir de réussir en Amérique. Il y retourna donc mais cette fois en tant que propre producteur. Malgré quelques difficultés pour trouver l'argent nécessaire à ses projets, il parvint à mener à bien trois longs métrages : "Soyez ma femme" (Be My Wife!) et "Sept ans de malheur" (Seven Year's Bad Luck), tous deux de 1921, puis "L'étroit mousquetaire" (The Three Must-Get-Theres,1922), ces deux derniers films constituant le sommet de son art. "Sept ans de malheur" comportela célèbre scène du miroir et du sosie; les domestiques de Max ayant brisé une grande glace, pour dissimuler la bévue, le cuisinier revêt les vêtements de nuit de Max et, placé derrière le cadre du miroir, imite jusqu'aux moindres mouvements de son maître. Cette séquence d'une merveilleuse drôlerie inspirera les Marx Brothers dans "Soupe au Canard".
Dans "L'Etroit mousquetaire", amusante parodie du célèbre film de Douglas Fairbanks, "Les trois mousquetaires" (1921) dont il réutilise d'ailleurs une partie des décors, on voit apparaître à l'époque de Richelieu les objets les plus anachroniques : des téléphones, des motocyclettes, des dactylos, un buste de Napoléon...jamais Linder n'aura été plus inventif, comme on peut en juger dans les extraits inclus dans "En compagnie de Max Linder" (1963).
Mais pour Max Linder commençait le déclin. Il revint en France et, après bien des difficultés, tourna "Au secours" (1923), une histoire burlesque de maison hantée (que le grand Abel Gance accepta de diriger par amitié pour lui) avant de mettre en scène son ultime film "Le Roi du cirque" (Der Zirkuskönig,1924), tourné à Vienne. En août 1923, il avait épousé Hélène Peters, la fille d'un restaurateur parisien de vingt ans sa cadette. Le 30 octobre 1925, le couple après un voyage en Suisse, regagnait son appartement parisien. Le lendemain, on découvrit leurs corps. Des rumeurs coururent selon lesquelles tous deux avaient conclu le pacte de mourir ensemble. Nul doute que la mauvaise santé de Max aggravée par un état dépressif et sa carrière sur le déclin aient hâté cette échéance.
L'apport de Max Linder au cinéma comique naissant est immense : il enrichit des scénarios vulgaires d'une grande finesse d'observation, d'une mesure presque réaliste : il réconcilia le cirque et le vaudeville, la grosse farce et la comédie légère; enfin, il imposa un type profondément original, caractéristique de son époque. C'est "le comique de Molière adapté au cinématographe" (Marcel Achard). De Chaplin à Pierre Etaix, tous les grands comiques de l'écran lui doivent quelque chose...
1909
1914
Soyez ma femme (You come with Me,1921)
Sept ans de malheur (Seven Years Bad Luck,1922)
L'Etroit Mousquetaire (The Three Must-Get-Theres,1922)
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