MARCEL L'HERBIER, LA PASSION DU CINEMA
Cinéaste Français, Fondateur de l'I.D.H.E.C.
Avec Abel Gance, une autre figure saillante du début de la prébut de la Première Guerre mondiale : Marcel L'Herbier fut vraiment un homme d'avant-garde. Figure de proue du courant avant-gardiste français des années 20, Marcel L'Herbier a exploré avec autant d'audace que de passion toutes les possibilités esthétiques et techniques du cinématographe.
Marcel L'Herbier est né à Paris le 23 avril 1890, dans une famille d'architectes. Après avoir connu des études brillantes, (licence en droit et en lettres), il débute en publiant des articles et des poèmes, c'est ainsi que le jeune poète parisien, féri de Maurice Barrès, de Debussy et de poésie symbolistte, qui venait de publier en 1914 "Au jardin des jeux secrets", recueil dédié "in memoriam Oscar Wilde, créancier de nos paroxysmes", et dont la pièce "l'enfantement du mort" sera crée en 1919 par Me Lara (mère du cinéaste Claude Autant-Lara), Eve Francis et Jean Hervé, le jeune intellectuel fou de littérature et un peu décadent viendra au cinéma totalement par harsard. Pour cela, il y faudra la guerre, une affectation en 1915 au service du cinéma des armées, les premières rencontres qu'il y fera, jusqu'à celle, capitale, de Louis Delluc, connu par l'intérmédiaire d'Eve Francis ou de Musidora.
Sous son influence, Marcel L'Herbier commence à écrire sur le cinéma des textes étranges et profonds où passe un écho de Bergson, et qui, vers 1918, auront un profond retentissement, en dépit de leur style compliqué, donc ce symboliste impénitent ne se débarrassera jamais (La France et l'art muet, "Hermès et et le silence" et d'autres dont certains sont repris dans son autobiographie). Entre-temps, après avoir vu deux de ses scénarios réalisés par Hervil et Mercanton et après un premier essai inabouti (Phantasmes), L'Herbier débute dans la mise en scène avec "Rose-France" (1918), "cantilène composée et visualisée par Marcel L'Herbier", (la simplicité n'est pas son fort), avec Jaque Catelain qui sera bien souvent son fidèle interprète. Selon Fescourt, il s'agissait de l'amour d'un homme pour son pays meurtri par la guerre...
Évidemment, on était assez loin de "Judex" (1916) et de Louis Feuillade dont le cinéma faisait alors si fort enrager Louis Delluc. Celui-ci et d'autres, comme le poète Laurent Tailhade et l'écrivain René Bizet, firent fête à Rose-France, mais le public, non. Pour se racheter, L'Herbier tourna pour Gaumont une pièce de Bernstein, "Le Bercail" (1919), mais mort de honte, il refusa de signer le film. Peu importait à Gaumont qui, jusqu'en 1922, produisit tous les films de L'Herbier, dans sa série de prestige "Pax", que dirigeait Léon Poirier. Ces films, qui en leur temps furent autant d'évènements cinématographiques, sont les suivants : "Le Carnaval des vérités", "L'homme du large" (1920), parodie d'Oscar Wilde, "El Dorado" (1921), avec une musique originale de Marius-François Gaillard, "Prométhée banquier" (1921), "Don Juan et Faust" (1922) d'après Grabbe et Lenau.
Toutes ses oeuvres, aux origines souvent littéraire et aux ambitions aussi vastes que confuses, devaient illustrer les idées de l'auteur sur le bon usage de "la machine à imprimer la vie", comme il disait, ou encore, "la cinégraphie". A l'art, divinité supérieure et pure errance inaccessible, il opposait le cinéma présent dans le but est de transcrire fidèlement, "et par les moyens d'exactitude qui lui sont spécialement propres, toute la vérité phénoménale". C'est la thèse de sa fameuse conférence "Le Cinématographe contre l'art", donnée au collège de France en 1922, à l'instigation de Robert Aron : "Quant à l'Art lui-même, voilant comme un ange en exil ses beaux yeux de lumière, sans doute s'enfoncera t'il de plus en plus aux ciels abstraits de la quintessence où seuls les Initiés de la troisième épreuve auront le droit de proroger sa flamme...Ainsi dans l'épanouissement de l'Art du photographe, l'Art du peintre s'est réfugié dans des expressions subjectives ou dans l'abstraction. "(On notera que cette dernière idée fut reprise textuellement par André Bazin).
Pour donner corps à ces nobles ambitions, L'Herbier s'entoura de tout ce que Paris comptait de jeunes esthètes, peintres, décorateurs, comédiens...gravitant autour du cinéma et dans les milieux d'avant-garde de 1920. Les décors du "Carnaval des vérités" sont dus à Michel Dufet et Claude Autant-Lara; ce dernier se retrouve acteur dans "L'Homme du large", aux côtés de Philippe Hériat et de Charles Boyer, avant de créer les costumes de "Don Juan et Faust" et de collaborer aux décors de "L'Inhumaine. Pour les décors de "Villa Destin", il fait appel au peintre, alors très en vogue, Georges Lepape, qui avait déjà collaboré avec Donatien à ceux de "Rose-France" et qu'on retrouvera sur "Promethée". "L'Inhumaine" qui regroupe Mallet-Stevens, Fernand Léger, Autant-Lara, Cavalcanti, Pierre Chareau, Paul Poiret, Jean Borlin...prend valeur d'un vrai manifeste du style "arts déco", sans parler de Mac Orlan pour le scénario et de Milhaud pour la musique. Même un film commercial comme "Le Vertige" (1926) regroupe les noms de Mallet-Stevens, Chareau, Lurçat et Robert Delaunay, et c'est Jacques Manuel qui dessine les robes. Et n'oublions pas que Lazare Meerson débute dans "Feu Mathias Pascal" (1925) en collaborant avec Calvacanti, avant de construire les immenses décors de "L'Argent" (1928). Avec "Villa Destin" (1920) L'Herbier sous-titra son films "humoresque", comme les précèdents avaient été baptisés "Cantilène" ou "Marine". Comme à son ordinaire, L'Herbier accorda une importance particulière au décor : chacune des demeures du film ( la "Villa Destin", le manoir de l'ingénieur et celui de Rosy, "Solitude House") fut aménagée et meublée dans le style "Arts déco" qui faisait fureur à l'époque, trois décorateurs, dont le jeune Claude Autant-Lara, ami du réalisateur furent à contribution.
"L'Homme du large" fut tourné en juin et juillet 1920 en Bretagne (Cote Sauvage de Quiberon, Penmarch, Sainte-Anne d'Auray, Quinipily, Saint-Guénolé, Carnac) et aux Studios de la Villette, à Paris. L'Herbier déclara: "J'ai voulu prendre un élément naturel comme protagoniste, et cet élément c'est la mer, la mer bretonne avec ses tempêtes, ses étendues d'immensité, dira le cinéaste. Je pense que le cinéma était capable beaucoup mieux que n'importe quel autre art de montrer cette tragédie de l'attente qu'il y a dans les eaux toujours mobiles, toujours remuées, toujours recommencées, selon l'expression consacrée." (in "Cahiers du Cinéma", no202, juin-juillet 1968).
Les extérieurs d'"El Dorado" furent entièrement tournés en Andalousie au printemps 1921. Marcel L'Herbier reçut l'autorisation exceptionnelle de tourner en trois semaines à l'Alhambra de Grenade et en profita pour installer aussi ses caméras à Séville (procession de la Semaine Sainte) et dans la Sierra Nevada (maison d'Hedwick). Le choix de l'Espagne n'était pas un hasard. "El Dorado" était bien un hommage indirect mais indiscutable que mon admiration d'adolescent et d'adulte devait rendre aux mérites exemplaires du magistral Barrès", écrira Marcel L'Herbier (in "La Tête qui tourne". Ed. Belfond,1979). Le film a été restauré en 1995 par le CNC.
"L'Inhumaine" (1924), histoire féérique, imaginée par Marcel L'Herbier, et dont Pierre Mac Orlan écrivit une adaptation littéraire dont la publication concorda avec la sortie du film, était surtout un prétexte à la réunion de talents artistiques représentatifs de l'époque (comme indiqué au paragraphe ci-dessus), le peintre Fernand Léger, l'architecte Mallet-Stevens, le couturier Paul Poiret, le compositeur Darius Milhaud, les ballets suédois de Rolf de Maré, etc. Malgré la conjonction de tous ces talents, le film fut un échec commercial et critique.
C'est Marcel L'Herbier qui produisit lui-même le film "Feu Mathias Pascal" (1925), en collaboration avec la société Albatros qui apportait l'acteur Ivan Mosjoukine. La réunion de tous ces talents assure aux films muets de L'Herbier une splendide plastique exceptionnelle qui masque d'ailleurs parfois, l'absence de style cinématographique véritable, ou du moins certaines de ses faiblesses. Les acteurs sont également toujours bien choisis, et se retrouvent fréquemment d'un film à l'autre : Jaque Catelain, PHilippe Hériat, Marcelle Pradot, Eve Francis, Roger Karl, la ravissante Lily Samuel (mère de l'écrivain Maurice Druon)...
En 1922, L'Herbier avait rompu avec la Gaumont et fonda sa société Cinégraphie, pour laquelle il veut tourner "Un jardin sur l'Oronte" de Barrès, avant de renoncer. C'est pour son propre compte qu'il tournera donc "L'Inhumaine" qui est un peu l'apothéose du style L'Herbier première manière, et le point d'aboutissement de toutes ses recherches, voire de tout un courant de l'époque.
Le film, que Fescourt compare à "Métropolis" (1927) de Fritz Lang, a aujourd'hui beaucoup vieilli, comme tous les précèdents (une redécouverte récente d' "El Dorado", avec la musique originale, fut assez éprouvante). C'est le sort des oeuvres qui ont frayé la voie et se sont voulues à l'avant de se retrouver un jour loin derrière et plus caduques que d'autres qui ne nourissaient pas autant d'ambitions. On comprend pourquoi, Jean Mitry fut plus intéressé par certains films de Pouctal ou Le Somptier, passés inaperçus à l'époque que par ceux de Delluc ou L'Herbier. N'empêche qu'en 1920 l'audace et l'invention étaient de leur côté, et que certaines erreurs ou certaine tâtonnement dans leur démarche ne doivent pas nous dissimuler de réels mérites qu'il faut peut-être chercher ailleurs. Ansi pour Le cinéaste, par exemple, si "L' Inhumaine" fait parfois sourire, par contre "Feu Mathias Pascal", qui transpose avec brio l'histoire célèbre de Pirandello, est une sorte de chef-d'oeuvre classique, parfaitement abouti et équilibré. La maîtresse technique y est souveraine et, délivré de certaines coquetteries, l'art du cinéaste s'y montre sous son meilleur jour, naturel et plein d'aisance.
Quant à "L'Argent", c'est à bon droit que Fescourt peut dire qu'il fut un des chants du cygne du muet et s'émerveiller de ces "jongleries du panoramique, du travelling en va et vient constant, de la caméra portative atteignant la limite", et qui ébahirent les techniciens de 1928. On se rend mieux compte encore du tour de force technique que fut ce film en voyant le documentaire de Jean Dréville sur son tournage, "Autour de l'Argent", qu'à la vision du film lui-même. Ayant atteint un pareil niveau, L'Herbier n'avait plus de leçon à recevoir de personne.
Comme pour ses amis Abel Gance et Jean Epstein, le parlant marqua pour lui une régression, et il dut faire trop de concessions aux commerçants. Le temps des audaces était passé, et pour tourner un sujet auquel il tenait, comme "La Comédie du bonheur" (1940), il dut attendre dix ans et finalement le réaliser à Rome pour les italiens. Du moins en fit-il sans doute son chef-d'oeuvre parlant.
1920
1921
Extrait du film : "El Dorado" de Marcel L’Herbier.
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1925
1928
Mais avant de réaliser "La comédie du bonheur", Marcel L'Herbier avait filmé des mélos maritimes et patriotiques avec Victor Francen ou Gaby Morlay. Quelques exceptions avec "Le mystère de la chambre jaune" (1930). L'herbier accepta sous certaines conditions, pouvoir tourner des adaptations de Colette", d'Oscar Wilde. Il lui faudra se contenter de tourner la suite du roman de Gaston leroux, "Le Parfum de la dame en noir" (1931), où il retrouvera Roland Toutain.
Après avoir connu un grand succès au théâtre du Gymnase avec la pièce d'Henry Bernstein "Le Bonheur" avec Charles Boyer et Yvonne Printemps. L'auteur, après avoir vu l'adaptation filmée ("Le Bonheur,1935), téléphona à L'Herbier et lui déclara : "Je me demande si, dans un sens, je ne préfère pas votre film à ma pièce!" Il y eut la Mention d'Honneur au premier festival cinématographique de Moscou pour sa haute valeur artistique et plébiscité par le public. Le 21 octobre 1934, alors qu'il préparait un travelling sur le grand plateau des studios de Joinville le Pont, le cinéaste fut blessé à l'oeil par la chute de la caméra et conserva un handicap visuel qui, à la fin de sa vie, se traduisit par une totale cécité. C'est Jean Dréville qui dirigea quelques scènes entre Gaby Morlay et Charles Boyer.
"La Porte du Large" (1936) s'inscrit dans un cycle exaltant l'armée française, de terre et de mer. Dans son autobiographie "La tête qui tourne" (Editions Belfond,1979), Marcel L'Herbier évoqua "l'humour endiablé" du trio inventif, formé par Jean-Pierre Aumont, Maurice Baquet et Roland Toutain. Il relata un différend qui opposa Charles Spaak et Victor Francen, ce dernier menaça de se "mettre en grève" (sic) sous prétexte que le scénario avantageait l'équipe de jeunes comédiens à son détriment. "Il me fallut, écrit L'Herbier, bien de la diplomatie et de l'amitié pour faire repartir le tournage, au prix de quelques ajustements de détail.
1937, on peut voir sur les écrans de cinéma "Les Hommes Nouveaux" réalisé par L'Herbier, bien mis en scène et réalisé au Maroc avec d'importants moyens, avec Harry Baur et Gabriel Signoret incarnant avec une étonnante ressemblance le Maréchal Lyautey. D'abords sous-titré "Raspoutine" et "La fin des Romanoff", "La Tragédie impériale" (1937) fait partie des "films russes" d'Harry Baur. "Entente Cordiale" (1939) est dédié aux "ouvriers de la paix" et fut présenté en grand gala à Paris, le 21 avril 1939. Ce fut Gaby Morlay qui incarna la reine Victoria, Victor Francen, celui d'Edouard VII et Pierre-Richard Willm avec Charles Roussel.
"Adrienne Lecouvreur" (1938) luxueux, bien joué, bien photographié tout comme "La Vie de bohème" (1943) à qui peuvent s'appliquer les mêmes remarques. L'Occupation fut une période plus favorable avec deux comédies assez enlevées, "Histoire de rire" (1941) et "L'Honorable Catherine" (1942), et surtout avec "La Nuit Fantastique" (1942), au scénario ingénieux et prometteur. C'est Henri Jeanson qui, clandestinement écrivit les dialiogues. Fernand Gravey, Micheline Presle, Saturnin Fabre et Bernard Blier sont les principaux interprètes de ce film qui remporta le Grand Prix de la Critique Cinématographique. Cette oeuvre qui, malgré tout, renouait avec les ambitions d' "El Dorado" mérite considération et constitue la dernière réussite de l'Herbier qui, pendant une dizaine d'année, ne fera plus que se survivre, tout en s'intéressant à l'avénement de la télévision. Par ailleurs, en 1943, il avait fondé l'I.D.H.E.C., et il ne cessa jamais d'écrire sur le cinéma, publiant en 1947 une anthologie classique, "Intelligence du Cinématographe".
Avant d'être un film "La Comédie du bonheur" (1942) a d'abord été une comédie en trois actes de Nicolas Evreinoff, crée par Charles Dullin en novembre 1926. En janvier 1940, le producteur André Paulvé proposa à son tour à Marcel L'Herbier de racheter les droits de la pièce afin d'entreprendre la réalisation. En mars 1942, comédiens et techniciens français se rendent dans les studios romains où le tournage se déroule d'abord sans heurts jusqu'à son interruption par les autorités. Début mai, réalisateur et comédiens reviennent en France, tandis que le négatif du film presque achevé reste bloqué en Italie. Ce n'est que début 1943 que les bobines franchissent secrètement les Alpes en direction de Paris, où le film est enfin achevé avec les rares acteurs disponibles, des doublures remplaçant les absents, dispersés ou décédés... A noter la présence de Michel Simon, Marcel Vallée, Micheline Presle, Louis Jourdan, Jacqueline Delubac et Ramon Novarro.
C'est encore Jean Dréville qui tourna et monta quelques séquences du film "L'Affaire du collier de la reine" (1946). "L'Herbier était très sollicité et signait trois films quand il avait le temps matériel d'en tourner deux! Dans ces cas-là, il pensait à moi..."(Jean Dréville, Edition Dujarric,1987). Ce fut Viviane Romance qui incarna Jeanne de la Motte.
Afin d'amortir le côut des décors construits pour "Fabiola" d'Alessandro Blasetti que les producteurs se décidèrent de tourner un autre péplum avec "Les Derniers jours de Pompeï " (1950) avec Micheline Presle, Georges Marchal et Marcel Herrand. Telle fut la carrière, somme toute d'une belle plénitude, de celui dont Fescourt écrit que, trop souvent, il dut accepter "des travaix dont aucun ne fut déshonorant, mais qui correspondaient peu à son idéal hautain de cinégraphiste.
1930
1935
1937
1940
1942