JULIEN DUVIVIER ou l'artisan exemplaire
JULIEN DUVIVIER 1896 - 1967
Cinéaste, Scénariste français
La véritable carrière de Julien Duvivier débute en 1930, et pourtant il réalisa plus de dix sept films entre 1919 et 1929 !. Il fut un artisan consciencieux, développant de nombreux thèmes.
____________________________________
Julien Duvivier naît à Lille le 8 octobre 1896. L'amitié et l'exemple de Pierre Bertin le décident à tenter une carrière d'acteur. Il entre à l'Odéon en 1916. Il tient quelques petits rôles, mais s'oriente vite vers le cinéma, d'abord comme acteur, puis comme assistant (entre autres, de Louis Feuillade, André Antoine, Marcel L'Herbier, etc.). Dans la production muette de cet ancien acteur, passé du théâtre à la réalisation de films sur le conseil du grand Antoine.
Duvivier réalise en 1919 le premier de ses soixante-sept films : "Haceldama ou le prix du sang", avec Séverin-Mars. Le négatif du second, "La Réincarnation de Serge Renaudier" (1920), fut détruit par un incendie avant son exploitation.
Il redevient assistant et scénariste avant de réaliser, en 1922, "Les Roquevillard", d'après Henry Bordeaux, qui inaugure sa série d'adaptations d'œuvres littéraires. Pour la compagnie Le Film d'Art, il adapte des romans de Ludovic Halévy "L'Abbé Constantin" (1925), Jules Renard "Poil de Carotte" (1925) et Pierre Frondaie. On lui doit également une série de films religieux : "Crédo ou la Tragédie de Lourdes" (1923), "L'Agonie de Jérusalem",(1927)" La Vie miraculseuse de Thérèse Martin" (1929), un genre où il s'illustrera plus tard avec "Golgotha" en 1935 et les "Don Camillo" (1951 et 1953...).
Autre oeuvre littéraire, "Au Bonheur des dames" (1930), d'après Émile Zola, avec Dita Parlo et Andrée Brabant. fut le dernier film muet de Julien Duvivier - quelques scènes furent cependant sonorisées lors de l'exploitation en salles en 1930 - "Au bonheur des dames" fut redécouvert et restauré par les Archives du Film du CNC en 1988. Il fut tourné dans un Paris contemporain, en studio, dans le grand magasin des Galeries Lafayette, en extérieurs Gare Saint-Lazare et à L'Isle-Adam.
Rien de tout cela ne sort de l'anonymat et ne suffit à imposer le metteur en scène. Seule peut être une première adaptation de "Poil de carotte" autorise quelques espoirs, assez vagues; encore pouvait-on être tenté, à l'époque, d'en attribuer les mérites à la forte personnalité du co-adaptateur, alors en pleine gloire : Jacques Feyder. Il faut se rendre à l'évidence : sans son oeuvre parlante;Julien Duvivier n'aurait laissé aucun nom dans l'histoire du cinéma.
Dès son premier film parlant, tout change. "David Golder" (1930), pour une bonne part grâce à l'interprétation d'Harry Baur, nouveau venu qui s'impose d'emblée, est tout de suite reconnu comme un film important. Tiré d'un roman à succès d'Irène Nemirowsky, le film comporte quelques scènes curieuses, la mort de Golder sur le bateau, au milieud'émigrants juifs qui lui rappellent ce que lui même fut jadis, reste émouvante et forte. Incontestablement, elle révélait un tempérament de vrai cinéaste.
Dans l'œuvre de Julien Duvivier, "David Golder" est un film charnière. Il révéla la puissance de jeu d'Harry Baur et démontra surtout que le talent de Duvivier, porté volontiers vers les scènes paroxystiques, pouvait pleinement s'épanouir avec l'avènement du parlant.
Harry Baur, très connu au théâtre, ne s'était encore jamais imposé à l'écran : ses apparitions dans quelques films d'Art d'avant 1914 étaient passées inaperçues. Sa création de " David Golder " le classa d'un seul coup parmi les grandes vedettes françaises.
"Les Cinq Gentlemen maudits" (1931) fut le deuxième film parlant de Julien Duvivier, il tourna conjointement une version allemande et une version française ( Die Fünf verflüchten Gentlemen) avec Adof Wohlbruck, Camilla Horn et Jack Trevor), seuls Marc Dantzer et Georges Péclet jouaient le même rôle dans les deux versions. Le film est tiré du roman d'André Reuze. Les extérieurs du film furent tournés à Fez, à Marrakech et à Moulay-Idriss. La critique salua à sa sortie l'aptitude du cinéaste pour la création d'atmosphère, son goût du pittoresque et son sens de l'exotisme. . Ce deuxième long métrage n'eut pas le même intérêt que le précèdent, malgrè la présence d'Harry Baur, René Lefevre et Robert Le Vigan.
Par contre, "Allo Berlin ? Ici Paris !" (1932), qui suivit, est un film aujourd'hui assez oublié, qui mériterait d'être redécouvert. Dans son ouvrage sur Duvivier (Collection "Premier Plan"), Raymond Chirat le compare aux meilleures comédies de René Clair et le qualifie de "chef d'oeuvre méconnu". Le scénario, assez original, reposait sur le principe de héros s'exprimant, les uns et les autres, dans leur langue natale, ce qui, à l'époque, était une nouveauté. Il s'agissait de téléphonistes, allemands d'un côté, français de l'autre, qui malgré la barrière des langues, finissaient par très bien se comprendre. Traité en comédie bien enleveé, ou une musique allègre jouait son rôle, le film reste une des bonnes réussites de Duvivier, en dépit d'une interprétation privée de noms connus, exception faite pour Josette Day, alors débutante prometteuse.
"Allo Berlin? Ici Paris !" prônait sur le mode léger de la comédie sentimentale le rapprochement des deux pays et s’inscrivait dans une veine résolument pacifiste et européenne avant la lettre. Ainsi était-il question, à la fin, dans la scène de la réception officielle à Berlin, d’une Fédération des Amitiés Universelles
Le réalisateur cita son nom à deux reprises dans le cours du film : d’abord, on voit en gros plan une enveloppe adressée rue… Duvivier, à Paris; puis, dans la scène se déroulant au “Lapin Agile”, le présentateur annonce qu’un chanteur va interpréter «Chanson lasse», «musique de Karol Rathaus et paroles de Julien Duvivier»."La Tête d'un homme" (1933) fut le troisième film porté à l'écran sur le fameux Commissaire Maigret d'après l'oeuvre de Georges Simenon, cette version permettait à Harry Baur d'interpréter le rôle de Jules Maigret.Simenon avait même envisagé de réaliser lui-même ce nouveau film. Ce fut enfin de compte Julien Duvivier qui put modifier certains aspects du livre avec l'accord de l'écrivain. Ce film connaît une nouvelle réussite, dans un genre bien différent.
En 1932, Duvivier connaît son premier vrai grand succès, avec la version parlante de "Poil de Carotte". Le chef d'oeuvre de Jules Renard, qu'il avait déjà tourné en 1926, lui inspire un film qui déjoue assez bien les pièges mélodramatiques auxquels l'exposait le sujet. Tout le monde admira l'interprétation d'Harry Baur en monsieur Lepic, et celle du jeune Robert Lynen en "Poil de carotte". M Bardèche et R. Brasillach qui, dans leur "Histoire du cinéma", émettent sur le film un jugement nuancé, signalent toutefois une scène admirable : "Le mariage de Poil de carotte et de sa petite amie de cinq ans...Duvivier avait transformé la scène douteuse en poésie bucolique, avec les deux enfants couronnés de fleurs qui s'avancent dans un paysage miraculeux, et les animaux qui les suivent comme un cortège." Eux aussi font la comparaison avec René Clair.
Après ces deux grans films, Duvivier va pendant deux ans, accumuler plusieurs échecs, tout en déployant toujours le même savoir-faire. Il n'y a rien à dire du "PETIT ROI" (1933), enfantine fadaise.André Lichtenberger est un auteur de récits pour enfants dont le plus célèbre est “Mon petit Trott”. Son roman “Le Petit roi” fut porté à l’écran par Julien Duvivier pour prolonger le succès que venait de remporter son jeune interprète Robert Lynen dans la version parlante de POIL DE CAROTTE (1932). Mais comme le notait un critique du temps (cité par Raymond Chirat dans son étude sur Duvivier, in “Premier Plan” n° 50), « il est plus difficile de nous apitoyer sur le sort d’un petit roi, fût-il malheureux, que sur celui d’un pauvre gosse de la campagne maltraité par ses parents ». Aussi bien le film ne rencontra-t-il qu’un accueil mitigé. Duvivier déclarait à l’époque que cette histoire, imaginaire, du “Petit roi” annonçait de façon frappante le destin, postérieur, du prince Michel Ier de Roumanie. Il tourna les extérieurs dans la région de Cracovie et (pour la seconde partie) sur la Côte d’Azur. A noter la disparition tragique du jeune acteur Robert Lynen "Poil de Carotte", il fut membre d'un réseau de Résistance, dans la région de Cassis, il fut emprisonné en 1943 et fusillé par les Allemands, à l'âge de vingt-trois ans, à la forteresse de Karlsruhe, le 1er avril 1944.
De même, "LE PAQUEBOT "TENACITY" (1934) avec Albert Préjean, Marie Glory, Hubert Prélier ne suscita pas l'intérêt du public, il s'agissait d'une pièce filmée sans grande invention, mise à part que ce film faisait partie des quelques oeuvres qui annonçaient le courant qu'on a appelé le Réalisme Poétique. Le film est tiré de la pièce de Charles Vildrac (1882-1971), première de son auteur.
En 1934, "MARIA-CHAPDELAINE", adaptée du beau roman de Louis Hémon, valait un peu mieux. Au moins, avait-il le mérite d'avoir été filmé sur place, et de montrer les admirables paysages québecois du lac Saint-Jean et de la rivière Péribonka. Malheureusement Jean Gabin incarnant François Paradis avec l'accent parigot, enlevait toute crédibilité au film, et plus encore, Madeleine Renaud, en robuste paysanne québecoise, avec son impossible diction très "comédie française".Duvivier et son équipe tournèrent sur place le extérieurs du film qui reçut le Grand Prix du cinéma,français en 1935, Le cinéaste était logé chez un épicier qui jugeait inutile de chauffer sa maison puisque, selon lui, la vie ne devait être que souffrance,... A cette époque, la caméra était actionnée par une manivelle dont il est arrivé plus d'une fois que le mécanisme gèle,...
Duvivier et son équipe tournèrent sur place le extérieurs du film qui reçut le Grand Prix du cinéma,français en 1935, Le cinéaste était logé chez un épicier qui jugeait inutile de chauffer sa maison puisque, selon lui, la vie ne devait être que souffrance,... A cette époque, la caméra était actionnée par une manivelle dont il est arrivé plus d'une fois que le mécanisme gèle,...
Ce fut pire avec "GOLGOTHA" (1935) : le couple Jean Gabin (Ponce Pilate), Edwige Feuillère (sa femme), très boulevardier, empêchait tout à fait de croire, à cette évocation de la vie du Christ, pétrifiée de respect et d'académisme. Le Vigan, lui même si souvent génial, n'arrivait pas à animer le personnage de Jésus qui, aux dires de son amie Céline, devait tant le marquer. Seul Harry Baur, toujours excellent chez Duvivier, parvenait, dans le rôle d'Hérode, à tirer son épingle du jeu, au sein de cette très lourde machinerie.
Le film fut l'objet des soins les plus méticuleux de la part du chanoine Raymond qui veilla à l'authenticité des phrases prononcées. Au départ Jésus devait être joué par un anonyme, il fallut y renoncer et choisir Robert Le Vigan qui composa son rôle avec un soin extrême, se faisant arracher les dents pour avoir un visage émacié. Alger, et plus exactement Fort de l'Eau, fut choisi pour le tournage des extérieurs et la distribution primitive qui annonçait Constant Rémy en Pierre, Alcover en Hérode, Charles Vanel en Judas fut profondément remaniée.
La production fut en partie commanditée par des quêtes faites dans les paroisses, en France.
Le succès devait revenir en 1935, avec "LA BANDERA" qui, aujourd'hui encore reste un des meilleurs films de Duvivier. C'est un véritable classique de la légion étrangère. Bien adapté par lui-même et Charles Spaak. Le célèbre roman de Mac Orlan sur la légion étrangère espagnole fournissait au cinéaste une matière cinématographique de premier ordre. Compromis heureux entre le romanesque et le documentaire, "La Bandera" (qui est dédié au colonel Franco, dont les troupes figurent dans le film) est de plus excellemment joué par Jean Gabin, cette fois tout à fait dans son personnage, le Vigan, Aimos, Gaston Modot, sans oublier Annabella, dans une étonnante composition de jeune Berbère amoureuse. Les extérieurs du film furent tournés au Maroc espagnol, avec le concours d'authentiques légionnaires.
Après ce film, et jusqu'à son départ pour Hollywood, en 1940. Duvivier va tourner neuf films en cinq ans, alternant le meilleur avec le moins bon. Cette courte période d'un lustre, constitue en effet l'apogée de la carrière du cinéaste, qui, plus jamais ensuite, ne retrouvera pareil statut au sein du cinéma français. Pendant ces quelques années, il est devenu, en quelque sorte, le quatrième "grand" (avec Renoir, Clair et Feyder), en attendant que le jeune Carné vienne se joindre au peloton.
"LE GOLEM" (1935) fut tourné dans les studios de Prague dans le courant de l’année 1935, Harry Baur accepta d'incarner l'Empereur Rodolphe II. Considéré comme un médiocre remake d'un classique de l'expressionnisme allemand, également "L'Homme du jour" (1936) scénario pretexte pour Maurice Chevalier, tristement dépourvu de verve.
En revanche, "LA BELLE EQUIPE" (1936), film social qui préfigure assez bien l'atmosphère d'un "Front populaire" alors imminent, est considéré, à juste titre, comme un classique de ce réalisme poétique, si caractéristique d'une certaine tendance du cinéma français de ces années. Gabin chante dans le film une célèbre valse musette: " Quand on s'promène au bord de l'eau ", particulièrement adaptée au sujet. Le cas est assez rare dans l'histoire du cinéma de deux fins différentes tournées pour le même film, l'une tragique, l'autre optimiste. Aux côtés de Jean Gabin, Charles Vanel, Raymond Aimos, Charpin, Viviane Romance, Charles Granval et Raymond Cordy.
LE GOLEM (1936) de Julien Duvivier
Autre film symbole, autre grand succès, en 1936 également, le fameux "PEPE LE MOKO", qui contribua beaucoup à imposer le "mythe Gabin". Jamais les qualités de cinéaste de Duvivier ne furen plus grandes, et pourtant elles ont fort à faire contre un scénario artificiel et complaisant, dont les dialogues à effet, d'Henri Jeanson, soulignent les facilités. Restent un certain romantisme, encore efficace, l'atmosphère de la Casbah d'Alger, deux ou trois scènes assez fortes....et Gabin.
Henri Jeanson a raconté comment Julien Duvivier accepta ce scénario que Jean Renoir avait refusé. Le film fut un des plus grands succès du cinéma français d'avant-guerre et contribua, avant "LE QUAI DES BRUMES", à créer le mythe de Jean Gabin être en marge condamné à la fatalité. La distribution est exceptionnellement brillante même pour l'époque. Chaque petit rôle est tenu par un grand acteur : Mireille Balin, Line Noro, Lucas Gridoux, Gabriel Gabrio, Fernand Charpin, Saturnin Fabre, Gilbert Gil, Gaston Modot et Marcel Dalio. La grande chanteuse Fréhel fait une de ses rares apparitions à l'écran.
"UN CARNET DE BAL" (1937) est un film très amer, triste, désabusé. Il caractérise en fait parfaitement le ton et le style des films de Julien Duvivier de cette époque. Il s'agit en outre du premier et plus célèbre film à sketches ftançais et qui a remporté en 1937, à la Biennale de Venise, la Coupe Mussolini du meilleur film étranger, en compétition avec LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir et LES PERLES DE LA COURONNE de Sacha Guitry. Cette oeuvre rencontra un succès non négligeable. On retrouve dans le générique, les plus grands noms du cinéma français : Marie Bell, Françoise Rosay, Louis Jouvet, Fernandel, Harry Baur, Raimu et Robert Lynen, sans compter une demi douzaine de scénaristes dont Henri Jeanson.
Il contribua également à ouvrir à son auteur les portes d'Hollywood où Duvivier tourna en octobre 1937, "TOUTE LA VILLE DANSE" (1938), évocation brillante et fantaisiste de la vie de Johann Strauss interprété par Fernand Gravey, pour la Metro-Goldwyn-Mayer. Soutenue par la musique célèbre, le luxe des grandes productions américaines et, en prime, une collaboration épisodique du grand von Sternberg lui-même. Après quoi, Julien Duvivier revint en France réaliser un projet qui lui tenait à coeur : "LA FIN DU JOUR" (1938). Ce film sur la vieillesse des comédiens retirés dans une maison de repos est réalisé avec brio et comporte d'étonnants numéros d'acteurs de Michel Simon, Louis Jouvet et Victor Francen.
D'après Julien Duvivier, lui-même, "LA FIN DU JOUR" était resté pour lui son film préféré, et la biennale de Venise lui décerna en 1939 la coupe de la VIP Mostra, récompensant le meilleur film à scenario. A la sortie du film, les vieux comédiens de Pont-aux-Dames participèrent à un grand banquet offert au réalisateur qui avait utilisé pour les nombreuses silhouettes un certain nombre de pensionnaires aux noms jadis applaudis : Arquillière, Claude Bénédict, Emilie Lindey, Émilie Prévost, Raphaël Cailloux, Fernand Liesse, Henriette Moret, Louise Marquet et Georges Denola, autrefois metteur en scène dont Duvivier avait été l'assistant au temps héroïque du muet.
Film de prestige de l'année 1939, "LA CHARRETTE FANTOME" avait été choisi pour représenter la France au premier Festival de Cannes qui n'eut jamais lieu. Le film parut sur les écrans parisiens en mars 1940 alors que Duvivier tournait un grand film de propagande "UNTEL PÈRE ET FILS". Celui-ci reconnaissait n'avoir jamais vu le grand classique muet que le roman de Selma Lagerlöf avait inspiré en Suède, en 1920, à Victor Sjöström. Le succès fui d'estime pour Duvivier. Ce film insolite au milieu de sa production d'alors. Il en fit un très bel album d'images, froides et très soignées, sans recréer vraiment le climat de légende qu'exigeait la belle histoire. Le réalisme lui convenait mieux, tout comme ses interprètes, Pierre Fresnay et Louis Jouvet.
Pendant la drôle de guerre, survenue juste après ce film, Duvivier fut convié officiellement, peut être par Jean Giraudoux, à exalter les vertus nationales. Il en résulta une oeuvre de circonstance, presque patriotique et empesée, "UNTEL PERE ET FILS" achevée à la veille de la défaite et qui ne put sortir en France qu'en 1945, après avoir servi à notre propagande aux Etats-Unis, tout au long de la guerre. Malgrè Jouvet, Raimu, Michèle Morgan, Suzy Prim, Louis Jourdan, c'est une oeuvre médiocre et qui tombe à plat. Sur cet échec, s'achevait une période de dix ans ou Duvivier avait accumulé les succès et qui méritait une meilleure conclusion.
Le tournage s'achève peu avant la débâcle. Duvivier arrive à sauver les bobines et les expédie aux USA. Le film y fait une carrière honorable, augmenté de scènes essayant de décrire l'occupation allemande. Ainsi Michèle Morgan, émigrée comme Duvivier, tourne des raccords la montrant en train d'attendre une distribution de pain. Des inserts font allusion à de Gaulle. Le récit change de titre et devient pour les Américains: "HEART OF A NATION". En France, le film ne sortira qu'en 1945.
Agé alors de quarante quatre ans, le cinéaste de "Pépé le Moko" ne se doutait pas qu'il avait réalisé le meilleur de son oeuvre, et qu'il n'y ajouterait plus rien d'important sur le plan cinématographique. Pendant l'été 1940, il regagna Hollywood ou il passa toutes les années de guerre. Il y réalisa quatre films qui n'ajoutèrent pas à sa gloire. Trois furent des films à sketches qui s'efforçaient d'exploiter la veine d'"Un carnet de bal", avec de moins en moins de bonheur : "LYDIA" (1941) avec Merle Oberon, "SIX DESTINS" (1942) avec Rita Hayworth et Charles Boyer, "OBSESSIONS" (1943) avec Barbara Stanwyck et Charles Boyer. Le quatrième était un film "patriotique" sur un sujet assez ridicule, pour lequel il retrouvait Jean Gabin, lui aussi exilé à Hollywood : "L'IMPOSTEUR" (1943).
Ce fut donc le dernier film de la période américaine de Julien Duvivier commencée en 1938 , le film est aussi le second film tourné par Jean Gabin aux États-Unis. Avant-guerre, l'acteur avait refusé toutes les propositions venues de ce pays. Seul Darryl Zanuck parvint à le convaincre. Tourné à la gloire du général de Gaulle, le film fut boudé par les publics américain et français. Il n'a sans doute été distribué en version originale qu'à Paris, la version doublée étant présentée aux spectateurs de province, tout surpris d'entendre la voix de Robert Dalban à la place de celle de Jean Gabin qui, au moment de la post-synchronisation, combattait dans les Vosges. Pour Duvivier comme pour Gabin, ce film est l'un des plus mauvais de leur carrière.
En 1945, le cinéaste rentre en France, ou il trouva un cinéma français qui avait beaucoup changé, avec l'apparition en 1941-1943 d'une nouvelle génération pleine de talent (Clouzot, Becker, Bresson, Autant-Lara). Duvivier adapte un roman de Georges Simenon et se remit au travail en tournant : "PANIQUE" (1946), dans la manière de l'avant-guerre. Le film parut démodé et ne fut pas pour son auteur la rentrée éclatante qu'il espérait. sa reprise d'activité se heurta à des jalousies, à des calomnies, que le climat de l'année 1945 envenimait. D'où sans doute, le pessimisme violent qui baigne le film.
Curieusement, l'intrigue qui est censée se dérouler dans la banlieue parisienne, fut tournée dans les studios de Nice et – comme pour certains films de Carné – le décorateur dut édifier autour d'une place, tout un quartier égayé par une fête populaire. La mode était alors à ces sortes de reconstitutions en studio.
Les difficultés furent nombreuses : une partie du décor fut emportée par des pluies torrentielles, un incendie ravagea l'outillage sonore, enfin un certain nombre de prises de vues dut être recommencé, la pellicule étant de mauvaise qualité. On y trouve au générique Michel Simon, Viviane Romance et Paul Bernard.
Après deux ans d'inaction, celui-ci partit tourner en Angleterre une nouvelle adaptation (due à Jean Anouilh) d'"ANNA KARENINE" (1948), avec Vivien Leigh. Ni l'un, ni l'autre ne firent oublier la fameuse version réalisée par Clarence Brown pour Greta Garbo.
En 1949, Duvivier a réalisé "AU ROYAUME DES CIEUX" avec Serge Reggiani, Suzanne Cloutier et Suzy Prim.Le film, «dédié à l’enfance malheureuse», comme il est dit au générique, était proche dans son sujet (les maisons de redressement) de "La fleur de l'âge", écrit par Jacques Prévert, mis en scène par Marcel Carné et resté inachevé en 1947. Chez Carné, on trouvait déjà Serge Reggiani ainsi que Pierre O’Connell et Arys Nissotti, associés d’une production qui fut alors défaillante. La dénonciation des bagnes d’enfants et d’adolescents était un sujet d’actualité.
Dans "Au royaume des cieux", la musique est remplacée par des effets sonores très travaillés : bruits de cloche, d’eau — inondation, pluie — aboiements, cris d’oiseau ou chants dans le lointain. La fin du film reste assez ouverte : Pierre sort Maria de l’eau; est-elle vivante et choquée ? Morte ? On ne sait pas.
Julien Duvivier, qui avait tourné plusieurs films aux États-Unis – ainsi qu’en Angleterre, termina avec "BLACK JACK" (1950),cette coproduction anglo-américaine (qui comprenait des acteurs anglais, français, américains et espagnols) sa carrière internationale et rentra en France où il allait encore tourner seize films jusqu’en 1967 – mis à part un film en Allemagne, "LA GRANDE VIE" (1960). C’était la seconde fois qu’il travaillait avec George Sanders, qui avait déjà fait une apparition dans "Six destins". Le cinéaste, qui garda un très mauvais souvenir du film, avait été contraint de le tourner pour des raisons d’argent. Le film fut réalisé en extérieurs aux îles Baléares et en Méditerranée et dans les grottes de Palma de Majorque. A noter la présence d'Agnès Moorehead (Endora dans "Ma sorcière bien-aimée),dans le rôle principal aux côtés de George Sanders.
Avec "SOUS LE CIEL DE PARIS" (1950) Duvivier renoue avec le style qu'il l'a rendu célèbre, qui peut être considéré comme un lointain descendant de "La belle équipe". En 1951, Duvivier renoue enfin avec le grand succès, en tournant "LE PETIT MONDE DE DON-CAMILLO" d'après le livre savoureux de Giovanni Guareschi. C'est ainsi que Fernandel s'accapara de la soutane du curé Don Camillo Gino Cervi celui du maire communiste Peppone. Le film obtint, en 1952, le prix de l'Écran d'Argent décerné en Italie et en France les "Victoires" du meilleur film et du meilleur acteur : Fernandel.
Il y eut, bien sûr, une suite ou le public retrouva avec le même plaisir Don Camillo et son adversaire Peppone, toujours sous les traits de Fernandel et Gino Cervi : "LE RETOUR DE DON CAMILLO" (1953) Il s’agit du deuxième et dernier volet pour son réalisateur Julien Duvivier des affrontements entre Don Camillo et Peppone, dont le succès fut comparable au "PETIT MONDE DE DON CAMILLO""quelques mois plus tôt. Dans un entretien accordé au journaliste Michel Aubriant, le cinéaste déclara : « il faut tuer Don Camillo pour lui éviter le ridicule des suites sans fin. Le film se termine sur une mise à mort et Don Camillo monte au ciel… Par une délicate attention des auteurs, le ciel, voyez-vous, c’est son village… Peppone est là, près de Saint-Pierre, qui l’accueille… Don Camillo meurt noyé en voulant sauver ses ouailles d’une crue » (in “Cinémonde”, n° 956, 28 novembre 1952).
Les producteurs menaçant d’annuler son contrat et celui du scénariste René Barjavel, et malgré le soutien de Fernandel qui ne voulait pas d’autre réalisateur, Julien Duvivier dut renoncer à son projet, laissant à Carmine Gallone et Luigi Comencini le soin de poursuivre la série. Les scènes de l’inondation furent tournées au cours d’une véritable crue du Pô.
Fernandel et Julien Duvivier
Avec "L’AFFAIRE MAURIZIUS" (1953), dont les extérieurs furent tournés à Berne et à Zurich Julien Duvivier traite d'un sujet ambitieux qui, sous les dehors d'un film criminel ou policier débouche sur l'étude de mœurs, abordant tout à la fois les implications morales d'une erreur judiciaire, les problèmes de l'éducation et le conflit des générations. Pour rendre plausibles ces multiples facettes le cinéaste a choisi des images claires-obscures et des décors très stylisés, notamment pour les scènes de reconstitution du procès. De ce fait, ce long métrage est l'un des derniers films expressionnistes de l'histoire du cinéma. Aux côtés de Daniel Gélin, Madeleine Robinson, Charles Vanel, Anton Walbrook et Eleonora Rossi-Drago.
En 1952, c'est la sortie du nouveau film de Duvivier, "LA FETE A HENRIETTE", film plus ambitieux, avait été beaucoup moins bien reçu. Le succès fut moyen comme celui en France de "LA FÊTE A HENRIETTE". Julien Duvivier constatant à la fois ce relatif échec et le bon accueil réservé à son film par les Anglais se consolait en répétant que les Français n'ont en aucune façon le sens de l'humour et sont facilement déconcertés. Au générique, de nombreux acteurs ont été sollicité : Dany Robin, Michel Auclair, Michel Roux, Julien Carette, Saturnin Fabre, Henri Crémieux, Louis Seigner, Daniel Ivernel, Micheline Francey, Alexandre Rignault, Paulette Dubost et Odette Laure.
Duvivier chercha, tout au long de sa carrière, à traduire sur l'écran une grande œuvre romantique. La dernière grande tentative "ambitieuse" de Duvivier se situe en 1954 et se nomme "MARIANNE DE MA JEUNESSE" . C'est une sorte de féerie poétique, qui dans une atmosphère vaguement inspirée du "Grand Meaulnes" prodigue enchantements et sortilèges. Duvivier garda toujours un faible pour cette oeuvre. MARIANNE DE MA JEUNESSE fut tourné en double version, française et allemande. Dans celle-ci Horst Buchholz fit une création remarquable, mais la production souffrit des complications engendrées par la direction de deux troupes différentes, ainsi que du mauvais temps.
Duvivier revint à son savoir-faire passe-partout; il reprit plusieurs films policiers : "VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS" (1956) avec Jean Gabin, Gérard Blain et Daniele Delorme. Ce film qui exploite jusqu'à la frénésie l'ambiguïté, banale au cinéma, de la garce au visage d'ange, se présente aussi comme un catalogue des procédés efficaces du réalisateur. On y retrouve le goût pour des lieux bien définis et des décors pittoresques, J'atmosphère épaisse, la multiplication des rôles secondaires et leur utilisation piquante, le pessimisme sublimé qui vire à l'exaspération. A le revoir, alors que les Halles de Paris ont disparu, il prend une coloration nostalgique.
Entre temps, Duvivier adapte Zola "POT-BOUILLE" (1957) qui raconte les débuts d'Octave Mouret. Le cinéaste et Henri Jeanson avaient imaginé et tourné une fin différente (qui fut finalement coupée par les producteurs), dans laquelle Maître Duveyrier prononçait une plaidoirie et en exaltant les vertus bourgeoises remettait en scène toute l'histoire. Ce fut Gérard Philipe qui interpréta Octave Mouret, à ses côtés, Danielle Darrieux, Danny Carrel, Anouk Aimée et Jane Marken.
"L'HOMME A L'IMPERMEABLE" (1957) avec Fernandel et Bernard Blier fut réalisé par Julien Duvivier entre "VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS" et "POT-BOUILLE", trahissait quelque peu le roman de James Hadley Chase en l’adaptant au ton de la comédie noire et à Fernandel, alors au plus haut de sa popularité. Il s’agissait de l’avant-dernière collaboration du comédien et du réalisateur.Les nombreuses scènes de théâtre qui émaillent le film furent tournées au Châtelet, Fernandel occupant durant la journée la loge de celui qui était alors le maître des lieux, Tino Rossi, et la lui rendant le soir pour l’opérette «Méditerranée», qui triomphait alors.
Julien Duvivier reviendra à James Hadley Chase en adaptant «Tirez la chevillette» dans "CHAIR DE POULE" (1963) avec Robert Hossein, Jean Sorel, Georges Wilson et Catherine Rouvel. "Chair de poule" est l’avant-dernier film de Julien Duvivier.
Fernandel et Julien Duvivier
Tourné en vingt-trois jours "MARIE-OCTOBRE" (1959) demeure l'un des plus grands succès de l'après-guerre du tandem Duvivier-Jeanson. Adapté très librement d'un roman de Jacques Robert, ce film permet à chacun de ses interprètes un grand numéro d'acteur (Danielle Darrieux, Lino Ventura, Bernard Blier, Serge Reggiani, Paul Meurisse, Paul Frankeur, Daniel Ivernel, Paul Guers, Jeanne Fusier-Gir, Noel Roquevert et Robert Dalban.
On peut noter que, lors de l'exclusivité du film, l'entrée des salles était rigoureusement fermée durant les vingt dernières minutes, ceci afin de ne pas déflorer le coup de théâtre final. Par la suite MARIE-OCTOBRE fut joué, également, au théâtre.
Julien Duvivier et Jean-Pierre Léaud
Duvivier réalise une nouvelle version cinématographique du célèbre roman de Pierre Louÿs (publié en 1898). "LA FEMME ET LE PANTIN" (1959)La version de Julien Duvivier modernise l’intrigue (l’un des personnages est un ancien collaborateur), la change (fin heureuse de circonstance) et les patronymes sont modifiés. Des extérieurs réels furent tournés à Séville. La “danse du châle” de Brigitte Bardot fit, en son temps, sensation.
Le réalisateur ne s’estima guère satisfait du résultat. Au critique Michel Aubriant qui lui avait consacré un article aimable, il répondit : «Je vous remercie, mais mon film est totalement idiot, totalement manqué».
Le titre du film "LA CHAMBRE ARDENTE" (1962), fait allusion au nom du tribunal spécial qui jugea et condamna au XVIIe siècle la marquise de Brinvilliers, en prélude à la célèbre affaire des Poisons dans laquelle fut impliquée, par la suite, la marquise de Montespan, la favorite du roi Louis XIV. Tiré du roman de John Dikson Carr, au générique : Jean-Claude Brialy, Claude Rich et Nadja Tiller.
Avec "LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS" (1962) La séquence de prologue sert de prétexte pour montrer le Diable – sous la forme d’un serpent – se jouant de la faiblesse des humains. Les Dix Commandements sont donc transgressés au cours des cinq sketches suivants, chacun d’eux traitant parfois de deux ou trois commandements (le prologue concerne les jurons). C’était la troisième et dernière incursion de Julien Duvivier dans le genre du film à sketches. De nombreux comédiens participèrent au tournage : Michel Simon, Fernandel, Alain Delon, Louis de Funès, Jean-Claude Brialy, Danielle Darrieux, Charles Aznavour, Lino Ventura, Micheline Presle, Françoise Arnoul, Mel Ferrer, Georges Wilson, Maurice Biraud, Claude Dauphin....
La jeune critique, François Truffaut en tête, l'avait relégué au rang des vieilles lunes, en compagnie de Delannoy, Decoin, et d'autres, ce qui était injuste, mais que ses derniers films semblaient hélas, confirmer. Ses ultimes oeuvres, réalisées en pleine vogue de la "nouvelle vague" passèrent totalement inaperçues.
Julien Duvivier n'avait pas tourné depuis quatre ans . Lorsque, le 21 août 1967, il donne le premier tour de manivelle de son dernier film : "DIABOLIQUEMENT VOTRE", En dépit de sa fatigue — il a 71 ans — le cinéaste termine le film à la date prévue, le 27 septembre 1967, sortit à l'orée de cette année 1968 qui annonçait de nouveaux âges, dont il était dorénavant trop éloigné. Quand elle fut présentée, son auteur était déjà mort : le 29 octobre 1967, Duvivier rentre en voiture, chez lui, à Rueil-Malmaison; en plein Paris (métro Ranelagh), sa voiture à la dérive avait percuté, celui du ministre Maurice Schumann qui arrivait en sens inverse et percute un arbre. Julien Duvivier était mort avant le choc. Le ministre était sauf, tandis que le cinéaste avait succombé à une crise cardiaque, son film est sorti le 22 décembre 1967.
Ainsi disparut, comme dans un scénario un peu trop apprêté de Charles Spaak ou d'Henri Jeanson, ce "consciencieux artisan...virtuose à la manière de Hollywood, (a qui) il ne faut pas demander plus qu'un métier assurément remarquable". Cet éloge mesuré nous semble aujourd'hui un des plus beaux qui puisse être adressé, en fin de compte, à un cinéaste. Il est probable que Julien Duvivier, homme modeste, s'en serait déclaré satisfait.
______________Julien Duvivier__________________
Orson Welles - Henri Alekan -Julien Duvivier
Filmographie
<><></>