ROBERT WISE, UNE EFFICACITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE
ROBERT WISE 1914 - 2005
Cinéaste, Producteur Américain
Artisan sérieux qui a abordé tous les genres cinématographiques et tourné pour tous les plus grands studios au cours de quarante années de carrière. Robert Wise figure rarement sur la liste des metteurs en scène dont l'œuvre a marqué le cinéma américain de l'après-guerre, et c'est sans doute une injustice. Car, si ses films n'ont certes pas l'originalité de ceux d'un Samuel Fuller, d'un Delmer Daves ou d'une Ida Lupino, ils n'en sont pas moins caractérisés, très souvent, par une intelligence dramatique et visuelle qui leur confère une réelle personnalité. Sans être à proprement parler un auteur, Robert Wise est assurément, à l'instar d'un Richard Fleischer ou d'un Don Siegel, l'un des cinéastes qui ont tiré le meilleur parti des genres hollywoodiens traditionnels, du policier à la science-fiction, du fantastique au western, du film de guerre au mélodrame social, de la comédie musicale au péplum.
Robert Wise est né le 10 septembre 1914 à Winchester dans l'Indiana. Le futur cinéaste a débuté très tôt dans la carrière cinématographique. Fils d'un boucher dont le commerce se trouvait sérieusement affecté par la crise économique, il dut en effet interrompre ses études pour chercher à gagner sa vie par ses propres moyens. C'est ainsi qu'en 1933 il partit en Californie où son frère, comptable à la RKO, lui obtint un petit emploi de coursier au département de montage. Dans le remarquable entretien que lui a consacré Rui Nogueira dans la revue "Ecran 72", Robert Wise raconte :
"Peu de temps après, T.K. Wood, chef du département de montage son, m'a demandé d'aller travailler avec lui et, pendant deux ans, j'ai été attaché à son service. Un jour, je suis tombé par hasard sur des milliers de mètres de pellicule impressionnée qui auraient dû constituer un film sur les mers du Sud, mais dont le studio ne savait pas, en réalité, comment se débarrasser. T.K. Wood et moi, poussés par la curiosité, en travaillant comme des fous pendant nos moments de loisirs, nous en avons tiré un court métrage de dix minutes. Très bien accueilli par le studio, il nous a valu une prime assez importante. Ayant pris goût au montage, je suis devenu monteur à la RKO."
Devenu chef-monteur en 1939, Robert Wise devait participer à la réalisation de quelques œuvres remarquables. Mais avant de passer lui-même à la réalisation, il eut la chance d'être choisi par Orson Welles pour diriger le montage de "Citizen Kane" (1940), puis "La Splendeur des Amberson" (The Magnificent Ambersons,1942). Avec ce dernier film, les responsabilités de Robert Wise furent écrasantes : accaparé par la réalisation de programmes radiophoniques et par le tournage, en parallèle de "Voyage au pays de la peur" (Journey Into Fear,1942), Welles dut lui laisser la bride sur le cou et même lui demander de réaliser quelques plans de raccord pour la séquence finale. En dépit de ces conditions de travail particulièrement acrobatiques, d'autant qu'Orson Welles partit en Amérique du Sud avant la fin du montage, leur entente fut parfaite, mais allait malheureusement se détériorer très rapidement.
En effet, pendant l'absence d'Orson Welles, les dirigeants de la RKO décidèrent d'apporter d'importants remaniements au film, qu'ils jugeaient inadapté à la psychologie du public américain. Non seulement Robert Wise fut chargé de reprendre le montage, mais également de tourner quelques séquences de raccord, ce qu'il fit en essayant de respecter l'esprit de l'œuvre. Ces interventions lui furent par la suite amèrement reprochées, encore qu'il convienne de préciser que la nouvelle séquence finale ne fut pas réalisée par lui, mais par le directeur de production, un nommé Freddie Fleck.
C'est Val Lewton, certainement le producteur le plus intelligent de la RKO, qui a fait de Robert Wise un réalisateur en le faisant remplacer avantageusement Günther von Fritsch sur le plateau de "La Malédiction des hommes-chats" (The Curse of the Cat People,1944). Toujours pour Val Lewton, Wise tournera successivement "Mademoiselle Fifi" (1944), une bonne adaptation de Maupassant où Simone Simon était particulièrement délicieuse, cette histoire tournée avec peu de moyens se passe pendant la guerre franco-prussienne et développe le thème de la collaboration avec l'ennemi : brûlante question d'actualité en cette année 1944; puis un petit chef-d'œuvre du film d'horreur, "Le Récupérateur de cadavres" (The Body Snatchers,1945), d'après un récit de Robert Louis Stevenson. Il est servi par une distribution de premier ordre, Boris Karloff et Henry Daniell et une superbe reconstitution en studio du Edimbourg des années 1830.
A la RKO, Robert Wise signera encore quelques films à petit budget avant d'avoir la possibilité de réaliser deux œuvres plus ambitieuses, grâce à la confiance que lui accordait Dore Schary, producteur avisé qui démissionnera peu après en raison de la tyrannie parfois "ubuesque" que Howard Hughes faisait régner sur la compagnie depuis 1948. Le premier de ces ceux films, "Ciel rouge" (Blood on the Moon,1948), est un remarquable western interprété par Robert Mitchum et réputé pour l'extrême brutalité de sa séquence finale. Le second, "Nous avons gagné ce soir" (The Set-up,1949), demeure l'une des plus impressionnantes évocations du monde de la boxe que l'on a pu voir à l'écran. Interprété par Robert Ryan et Audrey Totter, ce film sobre et réaliste renouvelait complètement le genre et offrait l'une des histoires d'amour les plus délicates et les plus émouvantes de l'époque. C'était l'un des plus beaux films noirs de la fin des années 40. On notera deux autres films intéressants "Né pour tuer" (Born to Kill,1947), "Secrets de femmes" (Three Secrets,1950) et "La Maison sur la colline" (House on Telegraph Hill,1951).
C'est donc sur deux réussites que Robert Wise quitta la RKO pour entrer sous contrat à la 20th Century-Fox où il réalisera des films d'intérêt divers, mais toujours très soignés. Ses meilleurs films dont certains sont d'incontestables chefs-d'œuvre, dénotent une volonté de visibilité cinématographique et de concision formelle alliée à un respect scrupuleux du sujet traité. Pour Robert Wise, chaque film nouveau pose un problème nouveau, auquel il convient de trouver la solution la plus appropriée, la plus juste. Démarche absolument exemplaire dans le cas de "Nous avons gagné ce soir", du "Coup de l'escalier" (Odds Against Tomorrow,1959) ou du "Mystère Andromède" (The Andromeda Strain,1970).
C'est donc à la 20th Century-Fox que Robert Wise réalise son plus célèbre, et le plus original, reste sans conteste "Le Jour où la terre s'arrêta" (The Day the Earth Stood Still,1951), une œuvre de science-fiction qui tourne courageusement le dos au spectaculaire et à la fantaisie pour délivrer un message humaniste d'une très grande dignité. La mise en scène, simple, élégante et efficace, se trouve rigoureusement subordonnée au drame qu'elle représente, et dont les deux principaux protagonistes sont incarnés à la perfection par Patricia Neal et Michael Rennie. Ces qualités cinématographiques sont également présentes dans un film comme "Les Rats du désert" (The Desert Rats,1953), au sujet duquel Robert Wise avait précisé : "Dès le moment où j'ai décidé de faire le film, ma préoccupation première a été d'être le plus réaliste possible et d'accentuer l'aspect physique et visuel de la guerre dans le désert. Je voulais être honnête avec les évènements réels." (Ecran 72). A noter, Wise mêle habilement la technique du film noir et le leimotiv des années 50, démasquer les activités du crime organisé comme dans "The Captive City" (1952)
L'honnêteté pourrait bien être la vertu majeure des films de Robert Wise qui, jouissant désormais d'une certaine indépendance et travaillant sans complexe à toutes sortes de "grands sujets", sans cesser pour autant de faire montre de lucidité et de retenue : par exemple dans "Mon Grand" (So Big,1953), vaste fresque romanesque d'après un roman d'Edna Ferber, dans "La Tour des ambitieux" (Executive Suite,1954), "où son style de caméra très souple, sa science de la construction, du montage et des transitions rendaient visuellement passionnante une intrigue qui eût pu facilement paraître statique et trop bavarde" (Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier), "La Tour des ambitieux" comporte une pléiade de comédiens : Fredric March, William Holden, Barbara Stanwyck, Shelley Winters et June Allyson. Dans "La Loi de la prairie" (Tribute to a Bad Man,1955), ou surtout dans "Je veux vivre !" (I Want to Live !,1958) avec Susan Hayward qui réussit une très grande performance. Puissant plaidoyer contre la peine de mort inspiré d'une affaire réelle, dont le réalisme laissait la gorge sèche, le cinéaste avait assisté à une exécution capitale pour se documenter et évitait adroitement les écueils du film à thèse. Le film devait suffisamment impressionner pour que le texte de la version française soit confié à Albert Camus. Susan Hayward remporta l'Oscar de la meilleure actrice.
Depuis "Je veux vivre !" Robert Wise a été le producteur de presque tous ses films importants. Totalement maître de ses choix et de ses moyens, il a entamé cette nouvelle phase de sa carrière avec l'un des sommets du film policier, "Le Coup de l'escalier". Laconique et admirablement photographié, modèle de découpage dramatique et de précision, très sobrement interprété par Robert Ryan et Harry Belafonte, ce thriller entièrement tourné en extérieurs à New York mêlait subtilement le thème du racisme à un suspense dont le classicisme distant se trouvait merveilleusement équilibré par un très beau contrepoint musical de John Lewis et du Modern Jazz Quartet. Wise reste quelques années encore à la MGM, où il dirige le jeune Paul Newman dans le rôle qui l'a fait connaître, celui de "Marqué par la haine" (Somebody Up There Likes Me,1956) sur la jeunesse du boxeur Rocky Graziano. Arrivé chez United Artists à la fin de 1957, Robert Wise guide Clark Gable et Burt Lancaster dans "L'Odyssée du sous-marin Nerka" (Run Silent, Run Deep,1958).
La réputation de Robert Wise, justifiée par une efficacité cinématographique quasi infaillible, a été considérablement renforcée, depuis, par l'énorme succès international de "West Side Story" (1961) et de "La Mélodie du bonheur" (The Sound of Music,1965). Le premier de ces deux films musicaux, plus "intellectuel" et sans doute plus "moderne", ne serait-ce qu'en raison de l'enthousiasmante chorégraphie de Jerome Robbins, n'est peut-être pas cependant aussi réussi que le second d'un point de vue strictement cinématographique. En effet, "La Mélodie du bonheur", malgré un scénario larmoyant et une musique sirupeuse, a permis à Robert Wise de se livrer à un exercice de style éblouissant. Rarement l'écran large avait été utilisé avec autant d'intelligence et de bonheur d'expression.
Si Robert Wise a donc abordé avec un égal bonheur - à peu près tous les genres hollywoodiens, il en est toutefois certains pour lesquels il semble avoir toujours gardé une prédilection : le fantastique et la science-fiction. Au cours de cette dernière période, son style réaliste et retenu s'est pleinement accompli dans trois films exemplaires : "La Maison du diable" (The Haunting,1963), "Le Mystère Andromède" (The Andromeda Strain,1971) et "Audrey Rose" (1977).
Avec "La Maison du diable", le cinéaste renouait un peu avec ses premiers films de la RKO et retrouvait l'esthétique raffinée des productions de Val Lewton : "A aucun moment, déclarait-il, je ne montre un fantôme ou un esprit. Rien n'est matérialisé. Tout est dans l'imagination des personnages et dans la bande son. J'ai toujours considéré le son comme un élément dramatique de première importance, mais je n'avais jamais eu la possibilité de l'utiliser à fond comme je l'ai fait dans ce cas précis." (Ecran 72)
Adapté d'un solide roman de Michael Crichton, "Le Mystère Andromède" s'écarte résolument des extravagances décoratives du "space opéra" pour décrire, de la manière la plus objective et la plus serrée possible, toutes les conséquences d'une hypothèse scientifique, sans jamais franchir les bornes de la plus stricte vraisemblance. Ce souci de vérité dramatique, appuyé sur une clarté formelle qui est la marque de l'œuvre entière de Robert Wise, est tout aussi manifeste dans "Audrey Rose", un avatar de "L'Exorciste" (The Exorcist,1973) de William Friedkin, mais qui lui est très supérieur à tous points de vue. En marge de ces trois films, il serait injuste, enfin, de ne pas citer "Brève rencontre à Paris" (Two People,1972), délicat poème d'amour interprété par Peter Fonda et Lindsay Wagner, dont la morale mélancolique témoigne, une fois de plus, du bel éclectisme d'un cinéaste qui, en toutes circonstances, s'est toujours défié des solutions toutes faites et des vues stéréotypées. Robert Wise tourne son avant-dernier film "Star Trek" en 1979 ainsi qu'un ultime film, dix ans après "East Side Story". Robert Wise décède le 14 septembre 2005 à Los Angeles d'une crise cardiaque, il avait 91 ans.
La Malédiction des hommes-chats -1944 -
Le Récupérateur de cadavres - 1945 -
Né pour tuer - 1947 -
Ciel rouge - 1948 -
Secrets de femmes - 1950 -
Les Rats du désert -1953 -
Hélène de Troie - 1955 -
Le Coup de l'escalier - 1959 -
L'Odyssée du Hindenbourg - 1975 -
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