LOUIS SALOU, COMÉDIEN RARE ET SECRET
LOUIS SALOU 1902 - 1948
Comédien Français
Artiste de haut race, comédien rare et secret, dont les erreurs ne pouvaient laisser indifférent, le Breton Louis Goulven, dit Louis Salou, s'est imposé en huit années grâce à un don de composition dont on trouve peu d'exemples maintenant. Fonctionnaire des PTT, il vit déjà en marge dans le sillage de Max Jacob. Amoureux de la poésie, il publie une revue d'avant-garde "Raison d'être". Il finit par entrer sur les conseils du du poète dans la compagnie des Pitoeff et participe aux aventures de Pirandello, de Shaw ou d'Ibsen. N'avait-il pas déclaré à Georges Pitoeff : "Je meurs d'envie de faire du théâtre. Prenez-moi, je ne peux pas d'argent."
Louis Goulven plus connu sous le nom de Louis Salou est né le 23 avril 1902 à Quimper (Finistère). Venu à Paris, il gagne d'abord sa vie comme employé des PTT mais, passionné de littérature, écrit des vers, édite une revue dans laquelle il publie des poèmes (comme indiqué ci-dessus), fréquente les milieux surréalistes et devient l'ami de Max Jacob, Chagall et Picasso. Il est remarqué pour la qualité de sa diction lorsqu'il déclame lui-même ses oeuvres; Max Jacob lui conseille de s'orienter vers le théâtre et le présente à Ludmilla et Georges Pitoëff qui l'engagent dans leur troupe. Sa première rencontre avec le cinéma ne l'enchante pas et il décide d'y renoncer : la technique de tournage, le morcellement des scènes ne conviennent pas à son tempérament. Il y reviendra pourtant au début de la guerre pour des raisons "alimentaires" : l'époque est difficile pour le métier de comédien. Il ne cessera plus de tourner jusqu'à sa mort. Louis Salou demeure l'un des plus grands acteurs français de composition, sachant endosser avec une facilité déconcertante les personnalités les plus diverses; élégant, subtil, le maintien aristocratique, avec dans l'oeil une perpétuelle lueur sarcastique, il sait s'attirer la sympathie ou la haine, selon l'exigence de ses personnages.
Le cinéma fait alors semblant d'ignorer son physique glacé et sa voix gutturale. Il apparaît pourtant dès 1932 et aux côtés de Georges Pitoeff dans un court-métrage de Emil-Edwin Reinert : "La Machine à sous". Cinq ans plus tard, il traverse une scène des "Nuits blanches de Saint-Pétersbourg" de Jean Dréville, en appuyant sur les effets, puis retourne au théâtre. Après 1940, le cinéma le découvre, et il s'y accroche avec une telle ténacité qu'en huit ans il apparaît dans une quarantaine de rôles, beaucoup de premier ordre, certains de premier plan.
La diversité et l'originalité de son jeu étonnent et déroutent : le directeur de l'Opéra agacé par la musique de Berlioz dans "La Symphonie fantastique" (1941) de Christian-Jaque, l'extravagant médecin de "Boléro" (1941) de Jean Boyer, le chroniqueur mondain du "Journal tombe à 5 heures" (1942) de Georges Lacombe, le stupide Loysel, souffre-douleur de Gabriello dans "Défense d'aimer" (1942) de Richard Pottier, c'est chaque fois Louis Salou, acteur caméléon. Tandis que ses rôles s'étoffent, il passe avec une sereine désinvolture des salons de "Lettres d'amour" (1942) de Claude Autant-Lara où, en tant que diplomate vieille France, il donne dans les belles manières, à l'officine louche que gère l'usurier de "Monsieur des Lourdines" (1942) de Pierre de Hérain. Inspecteur de police d'une implacable politesse, il essuie ses lorgnons et siffle des demis de bière dans "Voyage sans espoir" (1943) de Christian-Jaque.
Le personnage de Colline dans "La Vie de bohème" lui permet d'abattre la carte de la convention et son humour s'en félicite. La tentation d'en faire toujours un peu trop le guette, lui tend des pièges dont il ne sort pas toujours indemne. L'homme de loi, myope et fuyant comme un crabe, dans "Le Voyageur sans bagage" (1943) de Jean Anouilh pèche par un pointillisme insitant. Un peu plus tard, il fignole à ne plus finir le Prussien de "Boule de Suif" (1945) de Christian-Jaque pour en faire un odieux mannequin, ciré et calamistré. Il amuse alors plutôt qu'il n'inquiète et on a peine à se souvenir, en voyant celui que ses camarades surnomment "Fifi", du protecteur de Garance dans "Les Enfants du paradis" (1943-1945). Impassible en apparence, effectivement distant, intelligent et silencieux, le comte de Montray ne peut douter que la mort le cherche aussi bien dans la foule du boulevard du crime que parmi les invités d'une fête princière. Elle va le trouver à travers les vapeurs du hammam où, dédaigneux, il attend, au bord de la piscine, drapé dans un peignoir, son assassin. Monsieur de Montray a dû être pour Salou le mystérieux lieu de convergence entre ce que ressentait l'artiste et le personnage rêvé par Prévert, fixé par Carné.
Marginal rivalisant avec la police "Contre-enquête" (1946) de Jean Faurez, commissaire retors dans "Roger la Honte" (1945) et "La Revanche de Roger la Honte" (1946) tous deux réalisés par André Cayatte, souverain d'opérette dans "La Chartreuse de Parme" (1947) de Christian-Jaquee avec Gérard Philipe, autant de démontrations de virtuosité qui n'effacent pas le souvenir de l'envoûtant dandy. De même pour le haut dignitaire fasciste des "Amants de Vérone" (1948) d'André Cayatte. Sa composition simple et fraîche du pion naïvement amoureux dans "La Vie en rose" (1947) de Jean Faurez, avec ses ruptures de ton d'une scène à l'autre, lui apporte ainsi qu'aux spectateurs, de plus délectables satisfactions. En dépit de la sollicitude de Marianne Oswald, il n'arrive plus à supporter l'ironie et l'angoisse de son existence. Homme très secret, il cache jalousement sa vie privée, mais on le devine dépressif et désabusé. Il s'en évade soudain, en s'empoisonnant le 21 octobre 1948, alors que son image se multiplie sur les écrans et peu de temps après la fin du tournage des "Amants de Vérone", il avait 46 ans.
*Extraits de "Noir & Blanc" Olivier Barrot-Raymond Chirat -Editions Flammarion
*Affiches : Cinemafrançais * Cinetom
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