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CINETOM
31 mars 2018

CARL THEODOR DREYER, UN GÉNIE CINÉMATOGRAPHIQUE DANOIS

      CARL THEODOR DREYER             1899 - 1962

       Réalisateur, Producteur Danois

 

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Photo : Past daily

 

Le plus grand réalisateur danois, Carl Theodor Dreyer, réalisa neuf films durant les dix premières années du cinéma muet. Il avait encore devant lui quarante années à consacrer au septième art, mais les exigences de la production ne lui permirent de tourner que cinq autres films et quelques courts métrages. Dreyer est un cas exemplaire de gaspillage d'un extraordinaire talent.

Carl Theodor Dreyer naquit à Copenhague le 3 février 1889 et fut élevé par des parents adoptifs qui lui donnèrent une éducation d'une rigueur toute luthérienne. Dreyer travailla quelques années comme journaliste avant d'entrer à la Nordisk en 1912. Engagé comme auteur de sous-titres, il s'exerça également au montage, puis se mit à écrire des scénarios. Après cet apprentissage, Dreyer écrivit et réalisa en 1919 son premier film, "Le Président" (Praesidenten). En dépit de sa longueur excessive et d'un certain sentimentalisme, ce film a déjà plusieurs qualités à son actif : maîtrise précoce sur le plan technique, montage très fluide, gros plans de visages toujours choisis de façon très heureuse. Qualités plus évidentes encore dans les films appartenant à la dernière période de Dreyer.

Son deuxième film, "Pages arrachées au livre de Satan" (Blade af Satans Bog,1920), s'inspire d'un livre de la romancière victorienne Marie Corelli, et l'on y décèle l'influence du film de D.W. Griffith, "Intolérance" (1916). La deuxième oeuvre de Dreyer décrit le désarroi semé chez les hommes par Satan à quatre époques différentes de l'histoire.

Jean Mitry nous apprend que ce film étrange était une combinaison financière danoise et finlandaise à but de propagande antibolchévique. Voici comment il le résume : "Dans la première partie, Satan trahit Jésus par l'intermédiaire de Judas. Dans la seconde, sous les apparences d'un cardinal de l'Inquisition, il viole une jeune fille noble, fait arrêter son père et conduit ses victimes au bûcher au nom du Christ-Roi. Dans la troisième, prenant la forme d'un révolutionnaire de 1789, il dénonce le comte de Chambord et sa famille au Comité de salut public. La fille du comte se refusant à lui, il fait guillotiner par vengeance Marie-Antoinette détenue à la Conciergerie et tous les nobles qui lui tombent sous la main. Dans la quatrième partie enfin, pendant la guerre civile de 1918, ayant pris l'apparence d'un Raspoutine finlandais, il inspire la vengeance à l'amoureux éconduit d'une femme mariée et fait fusiller les civils récalcitrants. Sous sa conduite, les bolchéviques pillent la région. Il viole la jeune femme qui se suicide, mais les blancs arrivent, sauvent le mari et massacrent les rouges. Satan vaincu s'enfuit..."Ce n'était pas "Intolérance", même si on ne pouvait s'empêcher d'y penser; néanmoins Mitry souligne "Une forme parfois éblouissante, les images de l'Inquisition notamment, laissant deviner le futur auteur de "La Passion de Jeanne d'Arc". Mais avant même que ce film ne fût distribué en 1921, le cinéaste avait déjà réalisé et présenté son troisième film...et son premier chef-d'oeuvre.

"La Quatrième alliance de Dame Marguerite" (Prästänkän,1920), une production suédoise, fut tourné à Lillehammer, village norvégien médiéval très bien conservé. Serein, et parfois même joyeux, le film a pour cadre une paroisse de campagne où un jeune pasteur luthérien vient d'être nommé. Il est venu avec sa fiancée, mais une tradition locale veut que le nouveau pasteur épouse la veuve de son prédécesseur. La femme en question, cependant est âgée; et si le pasteur l'épouse, ce sera son quatrième mari. Le religieux, néanmoins, s'incline devant la coutume, se marie avec la vieille femme et garde sa fiancée comme domestique.

Une situation de ce type aurait pu donner lieu à un bon gros comique paysan. Mais Dreyer, par un déluge d'images radieuses, transforme l'histoire en une célébration tranquille de la vieillesse et de la mort. La vieille dame est parfaitement consciente de ce qui l'attend, l'accepte comme une chose naturelle et finalement s'éteint doucement. Ce rôle fut tenu par une actrice très âgée, Hildur Carlberg, elle-même persuadée qu'il ne lui resterait guère de temps à vivre une fois le film terminé. Dans la carrière de Dreyer, ce fut la première fois que le réalisateur témoignait si nettement de ses capacités de grand directeur d'actrices.

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En 1922 il tourna à Lankwitz, près de Berlin, un film racontant l'histoire d'un village russe à l'époque de la révolution de 1905, "Aimez-vous les uns les autres" (Die Gezeichneten). Cette oeuvre peu connue, qu'on a cru longtemps perdue, mais qui a été retrouvée plus tard, est un des films les plus fascinants du cinéaste danois. C'est le compte rendu d'un pogrom où, pour la première fois à l'écran, la foule se révèle plus importante que les individus. Ce film, qui contient des séquences frénétiques montrant avec beaucoup de réalisme des excès de toute sorte, fut interprété par des émigrés russes, dont certains étaient passés par le Théâtre d'art de Moscou, les autres venant de Pologne, d'Allemagne et de Scandinavie. L'un des personnages principaux, une véritable fripouille, est incarné par Richard Boleslavsky, officier de cavalerie polonais qui avait fait ses débuts d'acteur en Russie et qui devait ensuite devenir réalisateur à Hollywood.

Après "Il était une fois" (Der var engang,1922), film perdu que l'on dit médiocre, Dreyer revint en Allemagne pour y tourner "Michaël" (1924). Ce film tiré d'un roman de Herman Bang décrit le drame d'un vieux peintre, trahi et exploité par un modèle dont il a fait son fils adoptif. Le producteur Erich Pommer se montra en la circonstance très généreux pour Dreyer, puisqu'il mit à sa disposition deux opérateurs exceptionnels Karl Freund et Rudolph Maté, ainsi qu'une distribution remarquable. Le rôle du peintre fut confié par le cinéaste au comédien danois Benjamin Christensen (qu'on retrouva plus tard à Hollywood), le rôle de Michäel étant tenu par Walter Slezak, qui allait faire une carrière d'acteur de genre. La princesse qui s'interpose entre les deux hommes était incarnée par l'actrice autrichienne Nora Gregor, qui tint plus tard le premier rôle dans le classique de Jean Renoir "La Règle du jeu" (1939).

On peut dire de "Michaël" qu'il exprime la quintessence de la vision du monde propre à Dreyer : C'est une contemplation détachée de la crise qui sépare deux êtres humains, et dont la solution n'est autre que la mort. De retour au Danemark, Dreyer réalisa "Le Maître du logis" (Du skal aere din hustru,1925), histoire ironique et savoureuse d'un mari exigeant constamment remis à sa place par la vieille bonne d'enfants. Le film connut néanmoins un succès public, tant au Danemark qu'en France. Après avoir tourné "Les Fiancés de Glomsdal" (Glomsdalsbruden,1926), film moyen réalisé en Norvège, il s'installa en France pour le tournage d'une oeuvre destinée à devenir l'une des plus célèbres de l'histoire du cinéma, "La Passion de Jeanne d'Arc" (1928).

 

Concentrant le procès de Jeanne d'Arc sur un seul jour, essentiellement consacré aux interrogatoires, ce film sorti à la fin du muet semble appeler de ses voeux le parlant, mais parvient miraculeusement à transcender le handicap du silence. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus dans cette oeuvre : le montage proprement génial, la photographie de Rudolph Maté, l'interprétation de la grande comédienne française Renée Falconetti (ce fut le seul film de cette actrice de théâtre), les visages merveilleusement expressifs des juges, ou la fin sublime et terrible. Dreyer réunit tous ces éléments pour une étude sur la vie intérieure d'un être humain dont l'intensité n'a jamais été égalée. "La Passion de Jeanne d'Arc" est en effet un film où la lumière projetée sur un visage en dit plus qu'un long dialogue. 

Malheureusement, cette oeuvre creusa un fossé entre Dreyer et les producteurs. Ce fut un échec commercial, qu'aggravèrent encore certaines extravagances du cinéaste. On peut signaler par exemple que Dreyer n'hésita pas à faire construire à Clamart une espèce de château, qu'on ne voit pratiquement jamais dans le film. Malgré l'enthousiasme de la critique, Dreyer dut attendre 1931 pour pouvoir tourner de nouveau. Il réalisa cette année-là "Vampyr" notamment grâce au financement du baron Nicolas de Gunzburg, qui tenait le rôle principal.

Avec "Vampyr", Dreyer et Maté créèrent un univers onirique gris et blanc, un monde de brumes et de fantasmes où rien n'est sûr, ou chaque événement n'est peut-être qu'imaginé, où un homme peut se retrouver étendu dans un cercueil et continuer pourtant à voir. Quelques rares paroles, souvent incompréhensibles (les rôles avaient été confiés à des acteurs non professionnels parlant trois langues différentes), sont prononcées dans le film. Mais la sensation de se trouver dans un univers clos, dont les lois relèvent exclusivement du songe, n'en est que plus forte. "Vampyr" fut pourtant un nouvel échec commercial, et les éloges de la critique arrivèrent bien trop tard : Dreyer fut obligé de renoncer au cinéma pendant onze ans, reprenant même son métier de journaliste en 1935.

Pourtant les projets ne lui manquaient pas. La Cinémathèque française a publié en 1983, un volume d'oeuvre cinématographiques" (1926-1934) de Dreyer qui, outre les scénarios de ses deux films français, contient trois autres projets du cinéaste : "Nocturne", "M. Lambertier ou Satan" et "L'Homme-ensablé".

Ce dernier, le plus intéressant des trois, connut un début de réalisation et son histoire est typique du mauvais sort qui poursuivit Dreyer. Il s'agissait au départ du scénario d'un journaliste italien, "Somalia". Dreyer le récrivit en français et lui donna son nouveau titre. Il trouva même un producteur, s'embarqua pour l'Afrique et commença le tournage en Somalie italienne. Bientôt le cinéaste interrompait les prises de vues et rentrait à Paris, abandonnant le film. Selon les éditeurs de l'ouvrage, les raisons n'en sont pas très claires. D'après le scénario italien, Dreyer était malade et supportait mal le climat africain. D'autre part, la production aurait voulu lui imposer une actrice qui ne convenait pas au personnage (une certaine Ija Abdy qui faisait du théâtre avec Antonin Artaud).

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L'évènement se situe au cours de l'été de 1934. Finalement le film se fera en coproduction franco-italienne, réalisé par le cinéaste français Jean-Paul Paulin sous le titre "L'Esclave blanc" (1936). Le nom de Dreyer a disparu du génériqu, et il il ne reste guère de traces de son travail dans le film réalisé. Pourtant Charles Tesson a cru pouvoir reconnaître sa marque dans quelques plans, ce qui n'empêche pas l'oeuvre d'être manquée, à cause des acteurs essentiellement...il n'est pas interdit de rêver à ce qu'aurait pu être la rencontre de Dreyer avec la lumière africaine. Peut-être aurait-elle révélé un aspect de sa personnalité qui nous fait défaut. Mais Dreyer devait rester un cinéaste nordique.

En 1943, il put réaliser "Jour de colère/Dies Irae" (Vreden Dag), qui lui valut enfin la consécration internationale. Ayant pour cadre le Danemark au début du XVIIe siècle, le film raconte, sans reculer devant des détails d'une cruauté sauvage, le procès d'une femme accusée de sorcellerie, qui finira sur le bûcher, et les répercussions de ce drame sur la vie de sa famille. Une fois de plus, Dreyer nous montre des paysages d'une intense beauté lyrique et concentre toute son attention sur les tourments spirituels de l'âme humaine, dont le plus beau miroir est sans nul doute le visage aigu de son actrice Lisbeth Movin. Mais dans "Jour de colère" il n'y a pas de dénouement rassurant : l'horreur triomphe.

Durant les années suivantes, le cinéaste emploiera son talent dans un film mineur, "Deux êtres" (Tva människar,1945) et quelques documentaires. Puis en 1955 sortira l'adaptation du drame de Kay Munk "Ordet/La Parole" (Ordet,1955) alors méconnue malgré les éloges de François Tuffaut et Eric Rohmer. Mais dans "Ordet", le réalisateur danois innovait dans la mesure où il avait conçu sa mise en scène en fonction des possibilités de l'écran large. La perfection formelle et la hardiesse mystique de la dernière séquence (lorsque Johannes ressuscite Inger) firent sensation à la Biennale de Venise 1955, où Dreyer obtint le Lion d'or de Saint Marc.

Une décennie va encore s'écouler. Devenu directeur d'une salle de cinéma, Dreyer semblait avoir mis un terme à sa carrière de réalisateur. Il préparait en fait son dernier film, un chef-d'oeuvre lui aussi : "Gertrude" (Gertrud,1964) résume tout son art. Fidèle à lui-même, Dreyer, qui avait toujours méprisé la ferveur populaire, ne fait là aucune concession. Lors de sa sortie en 1964, le film fut sévèrement critiqué par les "spécialistes" et fut boudé par le public. Seuls quelques "irréductibles", parmi lesquels Henri Langlois, prirent sa défense, apportant ainsi leur soutien au réalisateur à une époque où les grands auteurs pouvaient encore choquer, et où on parlait surtout de la Nouvelle Vague.  

Son personnage féminin, incarné par Nina Pens Rode, vit pour un amour idéal et, plutôt que d'y renoncer pour une passion moins haute, choisit la solitude. Elle exprime la foi même qui animait Dreyer. Celui-ci mourrut le 20 mars 1968 à l'âge de 79 ans à Copenhague.

 

 

                                                     1925

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                                                        1927

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La Passion de Jeanne d'Arc (extract)

                                                                      1932

   

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                                                                      1943

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____________Décès du Cinéaste  Lewis Gilbert (L'espion qui m'aimait, on ne vit que deux fois, Moonraker, Friends/Deux enfants qui s'aiment (Anicée Alvina), Coulez le Bismark, La Septième Aube, Vainqueur du ciel...), Dècès de l'actrice américaine Dorothy Malone, Décès de l'acteur Américain John Gavin (Psychose, Le temps d'aimer le temps de mourir, Mirage de la vie, Spartacus...) 

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