SUZY PRIM, L’ÉCLAIR DU REGARD
SUZY PRIM 1895 - 1992
Comédienne Française
Cette Suzy qui, depuis 1912 se dépense dans le monde du spectacle avec acharnement rappelle étrangement Mistinguett. On retrouve la Miss, meneuse de revues, tout en strass et paillettes, dans l'amour d'une incessante discipline, dans l'avidité à goûter à tous les gâteaux, à pincer toutes les lyres. On s'imagine bien la Prim, aux Folies ou au Casino -n'y a t'elle d'ailleurs pas paru? - enrubannée, empanachée, ondulant comme un boa, au faîtes d'un escalier phosphorescent.
Ses grandes prunelles d'appellent mirettes chez Mistinguett et, l'une et l'autre, montrent de belles quenottes, longues et nettes, prêtes à tout dévorer. Telles des louves. Mais Suzy sait cacher son museau sous le chaperon rouge et dissimuler ses griffes. Elle peut tout jouer, rien ne lui fait peur. C'est elle qui terrorise : elle est torrentueuse, elle est volcanique - elle est épuisante.
A la façon de Mistinguett, elle multiplie les artifices vestimentaires. Déluge de noeuds, de choux, de voilettes, ondulations, frisettes, chichis et accroche-coeur, toute en bibis surprenants, en écharpes à paillettes. Ce remous de voiles, de volants, de sautoirs et de breloques, lui confère une démarche tintinnabulante et majestueusement démodée. Enfant de la balle, ses parents et grands-parents étaient comédiens, Suzanne Arduini plus connue sous le nom de Suzy Prim est née le 11 octobre 1895 à Paris, se produit déjà sur scène à dix-huit mois dans le rôle d'un bébé ! A croire que lorsqu'elle n'était encore que la petite Suzanne Arduini, empressée autour du Bébé Abélard, cher à Feuillade (1912) ses tabliers et ses robes d'enfant sage devaient dater déjà et que le noeud dans ses cheveux remontait aux Petites Filles Modèles.
Elle s'est beaucoup prodiguée et elle a procuré de saines distractions. Ses échanges -tac,tac, tac - dans la comédie avec l'étincellant Jules Berry lui ont vite fait franchir la cote d'amour. Elle oublie alors ces films italianismes qu'elle tournait en 1920 sous la direction de Georges Lacroix. Le théâtre lui convenait mieux qu'-Appasionatamente ou que "L'Aiglonne" (1922) de René Navarre. Vaporeuse ou ténébreuse, elle se liquéfiait devant la boîte du souffleur. Pour peu qu'un auteur sache ciseler le dialogue, elle enthousiasmait avec son Jules un public épanoui : "Par la finesse de leur jeu, par l'exacte accommodation de leurs moyens, ils ont l'un et l'autre ravi un public qui prend toujours le même plaisir à revoir leur couple moderne et fantaisiste."
Jules Berry en frac et la soyeuse Suzy se faufilent dans "Mon coeur et ses millions" (1931). Le film étant signé André Berthomieu, son succès est incertain. Le couple va le trouver grâce au badinage macabre de "Un petit trou pas cher" (1935), écrit par Yves Mirande. Grâce aussi à l'inventif "Arsène Lupin détective" (1937) d'Henri Diamant-Berger : le brillant monte en l'air est ému par la sémillante Olga Vauban - qui en dépit de son nom, finit par se rendre corps et biens. Là-dessus, les deux acteurs reprennent leurs billes et Suzy adopte, une fois pour toutes, un jeu très en dehors à grand renfort de frous-frous et d'éventail, et mène toute une stratégie d'ombrelles, de bonbonnières et de lorgnettes.
Elle croque ainsi en trois coups de crayon la préfète au bord du péché dans "Le Bébé de l'escadron", qui s'appelle plus joliment "Quand la vie était belle" (1935) de René Sti. Elle n'arrête pas de pétiller dans le "Mayerling" (1936), pourtant trempé de larmes, d'Anatol Litvak. La comtesse Larisch, par qui le malheur arrive, exécute sa besogne d'entremetteuse une flûte mousseuse au bout du gant. Du coup elle s'aventure sur la pointe des escarpins dans les méandres d'un vaudeville à la Tristan Bernard "Les Jumeaux de Brighton" (1936) de Claude Heymann. A l'occasion, elle pastiche sa propre vie - celle d'une grande vedette "Moutonnet" (1936) de René Sti; "Alexis gentleman chauffeur" (1937) de Max de Vaucorbeil; "Après l'orage" (1940) de Pierre-Jean Ducis et s'adonne aux fofolleries présumées hilarantes de "L'étrange Suzy" (1941) de Ducis. Elle avait déjà donné des signes sérieux d'aliénation mentale avec son personnage névrosé des "Pirates du rail" (1937) de Christian-Jaque.
L'eau glauque de ses yeux, le soupir de sa voix, la palpitation des narines, l'éclair du regard voilé par les faux cils lui concèdent une solide réputation dans l'emploi des mauvaises femmes, venues on ne sait d'où, promises à l'opprobre et à la honte. Elle emballe ces créatures dans des corsages à soutaches, sous des capelines ou des cabriolets avec des collets de renard et déploie pour ses machinations le même panache qui lui sert pour ceindre le diadème de la Grande Catherine "Tarakanova" (1938) de Fédor Ozep. Et ces filles sont parfois de bonnes filles : la Maryse de "Un de la légion" (1936) de Christian-Jaque pèse sur la décision de Fernandel d'appartenir à ce corps d'élite, et la Camélia de "L'Homme de Londres" (1943) de Henri Decoin ressasse une complainte et pourrait vendre du cafard au kilo.
Mademoiselle Chamblas dirige, elle, une maison de correction "Au royaume des cieux" (1949) de Julien Duvivier. Au gré de ses humeurs, elle soumet ses pensionnaires au baiser saphique ou à la poire d'angoisse. La justice étant parfois de ce monde, des molosses bien intentionnés la piétinent, la mordent partout où ça fait mal et la laissent plus morte que vive; mieux vaut qu'elle distille le venin de la grande dame, vexée d'être surplantée par une humble ouvrière "Au bonheur des dames" (1943) d'André Cayatte. Suzy arbore pour la circonstance des crinolines bien gonflées, des gerbes de plumes. Elle tape de l'éventail et ruisselle comme uen châsse.
Il y a tout de même dans sa filmographie, "Les Bas-fonds" (1936) de Renoir. En Vassiliva, plus capiteuse qu'un flacon de vodka, elle déborde de véhémence. ce n'est pas la générosité qui lui fait défaut - générosité de nature s'entend - ni l'abondance, ni l'exubérance. Elle en remet plutôt, aussi bien dans "Le Chemin de Rio" (1936) de Robert Siodmak que dans "La Rabouilleuse" (1943) de Fernand Rivers. Tant d'excès est un défaut bien sûr. Il arrive qu'on s'égare en la voyant tout à coup angélique et sucrée. L'excellente madame Berger qui s'attendrit à tort devant un redoutable gangster dissimule peut-être de sombres desseins..."Le Bienfaiteur" (1942) de Henri Decoin. Et la bougonnante Estelle, championne du dévouement intégral "Untel père et fils" (1940) de Duvivier ne refoule-t'elle pas de sordides penchants comme l'ignoble Benazer, tortionnaire des "Deux gamines" (1950) de Maurice de Canonge. De prime abord, on peut suspecter ces dames, et Suzy Prim, la première, s'y laisse prendre, happée par toutes ces terribles qui se fatiguent à épier, comploter, papoter, rouspéter et à verser des larmes de crocodile en préparant des bols de vitriol. Toutes ces horreurs, toutes ces gentillesses sont mises en oeuvre avec une conscience méthodique. L'émotion parvient à percer dans "Carrefour" (1938) de Curtis Bernhardt et si l'on n'avait pas tant répété qu'elle est irrésistible dans la coquetterie, elle rendrait presque intéressante l'amoureuse éperdue du "Patriote" (1938) de Maurice Tourneur. La distance de la scène au public favorisait son jeu extérieur - que l'écran grossissait - André-Paul Antoine écrivait après l'avoir admirée dans "Back Street" : "Les jeunes femmes (...) verront avec profit comment une véritable actrice au lieu de "faire semblant" peut s'identifier totalement à son personnage pleurer de vraies larmes, rire de vraies rires, bouleversée, bouleversante, s'égalant aux plus grandes..." Ayant lu cela, Suzy entrevoyait les fantômes de Sarah Bernhardt et de Réjane dans les coulisses célestes. Elle repartait de plus belle, fonçait, se défonçait, crachait du feu comme une locomotive, pulvérisait ses propres records.
Elle a surtout manque de jugeote et la boulimie l'a perdue. Que pouvait-elle espérer de directeurs tels que Walter Kapps, Fernand Rivers, Michel Bernheim ou Max Glass? Après avoir tourné coup sur coup deux des plus mauvais films du cinéma français "Le Cabaret du Grand Large" (1946) de René Jayet; "Triple enquête" (1946) de Claude Orval, elle parcourt tout un chemin de croix, se traînant de Teboul en Gourguet et chutant de Blistène en Foucaud. Palme du martyr au poing, l'auréole irradiant ses ondulations, les ailes en plumetis, Suzy Prim a gagné le paradis des productrices -paradis ou purgatoire? - qu'importe. La même énergie qu'autrefois, le même enthousiaste, la même fringale...Et le même combat. On retrouvera sans doute des Suzy, mais la race des Prim est en voie de disparition...Faut-il déplorer ou s'en féliciter? Avant sa mort, à Boulogne-sur-Seine le 8 juillet 1992, elle avait encore produit quelques films et écrit le scénario du "La Fayette" (1962) de Jean Dréville.
Extraits de "Noir & Blanc - Olivier Barrot - Raymond Chirat Editions Flammarion
Carrefour - 1938 - Kurt Bernhardt
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