Les médecins ont décelé chez le comédien un cancer de l'intestin en juillet dernier. Bruno Ganz aurait dû assurer le rôle de l'orateur dans l'opéra de Mozart "La Flûte enchantée" au Festival de Salzbourg. Mais cela n'a pas été possible: Klaus Maria Brandauer a dû le remplacer. Avant de percer dans le cinéma, Bruno Ganz, un autodidacte qui a quitté l'école à l'adolescence, a travaillé comme comédien pour des théâtres allemands prestigieux. 

C'est à Zurich, le 22 mars 1941 qu'es né l'acteur Bruno Ganz. Il était le fils d'un mécanicien suisse et d'une mère originaire d'Italie; il effectue son service militaire, à son retour, après des débuts au théâtre en 1961. Travaillant d'abord comme libraire puis comme ambulancier, il rejoint l'Allemagne dans les années 1960 pour réaliser son rêve, quitte la Suisse pour Berlin pour suivre des études théâtrales, mais aussi pour acquérir une véritable culture : depuis sa naissance, il est en effet confronté à plusieurs langues, le dialecte zurichois,et, de par les origines de sa mère, l'italien.

Après ses études, il joue successivement à Zurich, Brême, Munich, et interprète Shakespeare, Brecht, Goethe, Ibsen. En 1970, il participe à la création de la Compagnie Peter Stein où il co-fondera la troupe de la "Berliner Schaubühne", aujourd'hui considérée comme l'une des plus importantes troupes européennes. Pendant près de six ans, il incarne les principaux rôles du théâtre classique, mais aussi ceux des jeunes auteurs d'outre-Rhin, tel Peter Hanke.

En 1975, Bruno Ganz effectue ses débuts au cinéma, sous la direction de Peter Stein qui adapte l'oeuvre de Gorki, "Les Estivants". En fait, il s'agit plus d'un enregistrement sur pellicule d'une production théâtrale que d'un film. Ce n'est qu'avec Eric Rohmer qu'il effectue ses véritables débuts d'acteur cinématographique, dans "La Marquise d'O". De cette époque, ses engagements ne lui permettent guère de retourner au théâtre. Cette même année, après "Lumière", la première réalisation de Jeanne Moreau, il tourne avec Jean Seberg "Die Wildente" de Hans Geissendörfer. Pour les besoins de "L'Ami Américain" (Die Amerikanishe Freund,1977), mis en scène par Wim Wenders, Ganz apprend l'anglais. Quelques semaines après le tournage, il retrouve l'un de ses amis du théâtre, Peter Handke, qui lui propose un rôle dans son premier long-métrage : "La Femme gauchère". On peut citer également "L'Echiquier de la passion" (Schwarz und Weiss Wie tage und Nächte,1978) du cinéaste Wolfgang Petersen, lequel n'avait tourné que "La Conséquence". 

Après "Le Couteau dans la tête" (1978), de Reinhard Hauff, qui obtiendra deux récompenses au Festival de Paris 1978, dont le Prix de l'Antenne d'Or, Ganz renonce à une proposition de Rainer Werner Fassbinder, pour tourner, sous la direction de Werner Herzog, en compagnie de Klaus Kinski et d'Isabelle Adjani, une reprise du chef-d'oeuvre de F.W. Murnau, "Nosferatu, Fantôme de la nuit". Sa réputation, aucunement liée au renon d'un seul réalisateur, commence à franchir les frontières. Il tourne en France avec Jean-François Adam, "Retour à la bien-aimée" (1978), puis, avec Jean Pourtalé, "5% de risque" (1979). Le cinéaste Franklin J. Schaffner s'intéresse à lui pour "The Boys from Brazil" qui permet à Bruno Ganz de jouer aux côtés de Sir Laurence Olivier. Après "Une Femme Italienne" de Giuseppe Bertolucci, de 1979, il interprète, avec Nathalie Baye et Angela Winkler, qui avait déjà tourné avec lui "Le Couteau dans la tête", "La Provinciale" (1980) de Claude Goretta. Cette année-là, il fut également dans la distribution internationale de la nouvelle version de l'oeuvre d'Alexandre Dumas Fils, adaptée par Mauro Bolognini, "La Dame aux Camélias". En 1981, Volker Schloendorff réalise "Le Faussaire" (Die Falschung) avec Bruno Ganz, Hanna Schygulla et Jean Carmet.     

Il est considéré comme l'un des les plus importants acteurs germanophones de l'après-guerre, sur les planches comme au cinéma. Parmi ses rôles les plus marquants, celui de l'ange Damiel dans "Les Ailes du désir", tourné par Wim Wenders en 1987 et dans lequel son personnage épie et scrute le Berlin d'avant la réunification. Le film avait obtenu le Prix de la mise en scène à Cannes. Quant au cinéaste Suisse, Alain Tanner, qui s'offrit des paysages portugais avec "Dans la ville blanche" afin de mettre le talent du comédien Bruno Ganz au service de son film. Le rôle de l'écrivain de "L'Eternité et un jour" (Mia Eoniotita ke mia Mera,1998) était destiné à Marcello Mastroianni, que Theo Angelopoulos avait déjà dirigé auparavant. Le film remporta la Palme d'or du 51e Festival de Cannes 1998. Son rôle explosif et sombre en tant qu'Adolf Hitler dans "La Chute" l'a consacré définitivement en 2004. Il s'agissait d'un des premiers films allemands consacré au personnage du "Führer", dans un pays toujours traumatisé par le souvenir de la barbarie nazie. Dans ce film nominé aux Oscars racontant les derniers jours du tyran nazi à la fin de Seconde guerre mondiale, son interprétation reste inégalée pour de nombreux critiques et lui a valu une nomination au Prix du cinéma européen. - 'Un rideau de fer' - 

"Cela m'a aidé de ne pas être allemand, parce que je pouvais mettre mon passeport entre Hitler et moi", avait déclaré Ganz au site The Art Desk en 2005. Il racontait qu'il avait dû "construire un mur ou un rideau de fer" dans son esprit pour se distancer du dictateur, avec lequel il ne voulait "pas passer ses soirées à l'hôtel". En 1996, il avait reçu l'anneau d'Iffland, propriété de l'Etat autrichien, une distinction accordée par le plus grand acteur de théâtre de langue allemande à celui digne d'être son successeur.

 A l'annonce de son décès, les hommages ont afflué.  

La secrétaire d'Etat allemande à la Culture, Monika Grütters a qualifié Bruno Ganz d'"icône du théâtre germanophone" et de "maître exceptionnel de l'art dramatique international". 

"Personne ne pouvait échapper au pouvoir fascinant de sa conception des rôles (...) Il est vénéré dans le monde entier", a-t-elle dit dans un communiqué. Evoquant "La Chute", la ministre a estimé qu'il s'agissait d'un "défi d'acteur et un des nombreux chefs d'oeuvre qui ont fait de lui l'un des plus grands interprètes germanophones sur les planches dans le monde". 

Le directeur du festival du film de Berlin, l'un des plus importants en Europe avec Cannes et Venise, Dieter Kosslick, a également rendu hommage à l'acteur suisse en rappelant son rôle dans "Les Ailes du désir", dont le titre original en allemand signifie "Le ciel au-dessus de Berlin".  

Pour le Conseiller fédéral suisse Alain Berset, qui était président de la Fédération suisse jusqu'à la fin 2018, Bruno Ganz "ne jouait pas un rôle, il le vivait".  

"Même dans les rôles des méchants, l'humanité de Bruno Ganz transparaissait. C'est ce qui rend son action et son oeuvre aussi significatifs, parce qu'ils ont un effet différent et dérangeant", a-t-il dit à l'agence de presse ATS. 

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