CONRAD VEIDT, GRAND ACTEUR DU CINÉMA EXPRESSIONNISTE ALLEMAND
CONRAD VEIDT 1893 - 1943
Acteur Allemand
Conrad Veidt est né le 22 janvier 1893 dans la banlieue de Berlin (Potsdam), Issu d'une famille bourgeoise sans aucun lien avec le monde du spectacle. De médiocres aptitudes aux études l'amenèrent à renoncer à devenir médecin. Un beau jour de 1912, revêtu d'une cape, d'un feutre et d'une extravagance cravate, il se présenta au prestigieux Deutsches Theater de Max Reinhardt, à Berlin, passa une audition et fut engagé pour un salaire dérisoire.
Deux ans après la guerre éclatait, le jeune acteur est mobilisé. Envoyé au front en avril 1915, Veidt servit d'abord sur le front russe, mais réformé au bout d'un an du fait d'une blessure, il est rapatrié. C'est ainsi qu'il rejoignit la compagnie théâtrale dirigée par Lucie Mannheim, qui jouait pour les soldats du front. L'expérience fut extrêmement profitable; lorsque, après la guerre, Veidt revint auprès de Reinhardt, c'était désormais un acteur aguerri. Mais la perspective d'un salaire supérieur ne tarda guère à l'entraîner vers le cinéma.
Dans l'un de ses premiers films, "Das Tagebuch einer Verlorenen" (1918), il incarne un médecin responsable de la déchéance d'une prostituée de haut vol. Dans "Opium" (1919), un des mélodrames moralisants de cette époque, il était un époux adultère mené à sa perte par ses excès. Veidt se créa vite une image personnelle, celle du héros en proie à une certaine démesure. Mais c'est "Le Cabinet du Docteur Caligari" (Das Kabinett des Dr. Caligari,1919) de Robert Wiene, qui lui valut la célébrité universelle.
Le diabolique docteur Caligari incarné par Werner Krauss, manipulant par l'hypnotisme son esclave, le somnambule Césare (Veidt), et lui fait commettre plusieurs crimes atroces, apparemment sans motif. Dans les décors inquiétants de ruelles lugubres, où ombre et lumière créent un climat maléfique, le grand corps maigre de Veidt, encore allongé par ses bras étendus et ses doigts minces et crochus, semble sourdre des murs qu'il longe sur le chemin de ses sinistres missions. Sifflé lors de ses premières présentations en Allemagne, "Caligari" connut par la suite un triomphe mondial. Il fit la gloire de ses interprètes, notamment Conrad Veidt. En un seul film, la silhouette décharnée, le visage émacié, le regard halluciné du comédien sont connus du monde entier...
Veidt et Wiene firent ensemble un autre film d'épouvante, "Les Mains d'Orlac" (Orlacs Hände,1925), histoire d'un pianiste de concert, victime d'un accident, persuadé qu'on lui a greffé les mains d'un criminel. Conrad Veidt avait été invité à participer à la première qui eut lieu à Vienne; au cours de la projection, plusieurs femmes s'évanouirent et un certain nombre de personnes protestèrent de la morbidité du sujet. L'acteur fut alors invité par le producteur à prendre la parole pour calmer les esprits. Il fut si persuasif que les détracteurs lui firent une ovation et la projection put reprendre. Bien qu'il soit implicitement contenu dans le roman d'origine, le happy end du film est pour le moins contestable sur le plan moral : Orlac se réjouit d'être délivré de son obsession lorsqu'il apprend que la police a fait guillotiner un innocent !
L'année précèdente, Veidt avait été la vedette d'un autre film, marquant de l'expressionnisme allemand, "Le Cabinet des figures de cire" (Das Wachsfigurenkabinett,1924), composé en triptyque. Trois figures de cire, représentant des tyrans ou des criminels célèbres - Haroun al-Rachid (Emil Jannings), Ivan le Terrible (Veidt) et Jack l'Eventreur (Werner Krauss) -, sont ramenées à la vie par un pauvre poète, à la demande du propriétaire du cabinet où elles sont exposées. Ivan le Terrible est dépeint comme l'incarnation même de la dépravation et du plaisir sensuel, et, comme Caligari devient fou.
Dans un registre moins morbide, Veidt fit à la même époque deux films intéressants avec Elisabeth Bergner, sous la direction du mari de celle-ci, Paul Czinner : "A qui la faute ?" (Nju,1924) et "Le Violoniste de Florence" (Der Geiger von Florenz,1926). Son rôle le plus important reste cependant "L'Etudiant de Prague" (Der Student von Prag,1926). En échange de la richesse et du brillant mariage que lui accorde Satan, un pauvre étudiant renonce à son reflet dans le miroir. Mais ce reflet manifeste bientôt son existence propre, se révélant le double obscur et démoniaque dissimulé au plus profond de l'âme du jeune homme. Ces étonnants personnages avaient bien entendu attiré l'attention de Hollywood sur Conrad Veidt. "L'étudiant de Prague" est le film qui, chronologiquement, commence et termine le courant artistique de l'Expressionnisme Allemand. Cette version de 1926 marque l'un des sommets d'interprétation du comédien allemand Conrad Veidt, qui se réfugia en Grande Bretagne après l'avènement d'Hitler au pouvoir et devint également un acteur populaire Outre-Manche. 1933, l'arrivée de Hitler au pouvoir, bouleverse considérablement l'industrie cinématographique allemande. Sa femme étant demi-juive, Veidt préféra s'expatrier à Londres qui l'accueille à bras ouvert, d'autant plus que le comédien parle l'anglais parfaitement (il connaîtra jusqu'à douze langues !). En trois ans, il devient l'un des visages les plus familiers de l'écran anglo-saxon.
Mais pour le décider à quitter l'Allemagne il fallut que John Barrymore (qui ne l'avait jamais rencontré) lui télégraphiât en lui demandant d'apparaître à ses côtés dans "L'Etrange aventure du poète vagabond" (The Beloved Rogue,1927). Il arriva en Amérique avec femme, enfants et... quelques mots d'anglais ! Judicieuse décision au regard de sa carrière mais qui provoqua quelques situations burlesques. La grande taille de Veidt surprit ses nouveaux employeurs : ils l'avaient engagé pour jouer le rôle de Louis XI...prévu, dans le scénario, pour un acteur de petit gabarit. Enfoui sous une longue houppelande rembourrée de fourrure, Conrad Veidt fut obligé de jouer les genoux constamment pliés. Mais cette épuisante performance lui valut un grand succès.
Tout aussi difficile, son rôle suivant consolida son triomphe. Pour "L'homme qui rit" (The Man Who Laughs,1928) adaptation du roman de Victor Hugo dirigée par Paul Leni (qui s'était lui aussi installé à Hollywood), six mois durant (le temps du tournage), Veidt dut porter des fausses dents par-dessus les siennes...Initialement, Universal avait pensé à Lon Chaney, qui avait obtenu un succès retentissant avec "Notre-Dame de Paris". C'est dans le but de renouveler ce "boom" publicitaire et commercial que les producteurs projetèrent la nouvelle adaptation d'un roman de Victor Hugo. Mais Lon Chaney était alors sous contrat à la MGM et son directeur refusa catégoriquement de "prêter" sa "vedette" à la compagnie rivale. Devant ce refus, Carl Laemmle, grand patron de la firme Universal, songea à Conrad Veidt, qui avait déjà tourné deux films à Hollywood l'année précédente. Le comédien s'enthousiasma d'emblée pour son personnage. "C'est un grand rôle, dit-il, et je l'ai joué pour ainsi dire avec les yeux." Le maquillage, en effet, lui retirait toute possibilité d'expression et le faisait particulièrement souffrir . Peu après survint l'avènement du parlant. Veidt avait fait des progrès en anglais, mais il préféra affronter la nouvelle technique en Allemagne.
Sa carrière connut un nouveau tournant lorsque les producteurs anglais entreprirent de tourner simultanément des films parlants en plusieurs langues, ce qui assurait une distribution beaucoup plus vaste à leurs produits. Veidt fut invité en Angleterre pour tourner la version allemande du "Cap perdu" (Menschen im Käfig,1931) de Ewald-André Dupont. Toutefois son premier film en anglais "Le Congrès s'amuse" (Der Kongress tantz,1931), fut en fait tourné en Allemagne, à la suite d'un accord conclu entre Gaumont-Angleterre et l'UFA pour tourner des versions anglaises de films allemands. Le premier film britannique tourné en Grande Bretagne même par Veidt eut un succès phénoménal : c'était "Rome Express" (1932), un thriller de Walter Forde se déroulant dans un train, avec vol, chantage et scène d'amour.
Veidt revint cependant en Allemagne où il se vit offrir trois rôles assez intéressants : celui du capitaine Stanhope, officier de la Première Guerre mondiale qui sombre dans l'alcoolisme, dans "Die Andere Seite" (1931),le rôle titre de "Raspoutine" (Rasputin,1932) et le personnage principal d'une comédie musicale, "Moi et l'impératrice" (Ich und die Kaiserin,1933) avec Lilian Harvey comme partenaire.
Mais Veidt s'était rendu compte que pour retrouver son succès du temps du muet il lui fallait jouer dans des films de langue anglaise. Il accepta donc l'offre de la Gaumont anglaise de tourner "J'étais une espionne" (I Was a Spy,1933), suivi de deux films à grand spectacle, "Le Juif errant" (The Wandering Jew,1933) et "Le Juif Süss" (Jew Süss,1934 de Lothar Mendes. Loin d'être des oeuvres impérissables, elles lui valurent cependant un regain de popularité. Puis vint une oeuvre de Berthold Viertel qui, de façon un peu surprenanten contribua beaucoup à sa renommée : "Celui qui passe" (The Passing of the Third Floor Back,1935). Dans le rôle de l'étranger qui réconcilie les occupants d'une pension de famille sans cesse en train de se quereller, Conrad Veidt fait preuve d'une telle conviction dans la sobriété qu'il fait oublier ce que le sujet (tiré d'une pièce de J.K. Jérôme) a de rebattu.
A la requête du producteur Alexander Korda, Conrad Veidt passa aux studios de Denham. Mais celui-ci n'eut à lui offrir qu'un personnage de comte à monocle dans "Le Mystère de la Section 8" (Dark Journey,1937, pâle film d'espionnage avec Vivien Leigh. "Prêté" à une nouvelle compagnie, New World, et alléché par la promesse d'une joyeuse histoire de cape et d'épée, Veidt fut ensuite Richelieu dans "Sous la robe rouge" (Under the Red Robe,1937), lourdement mise en scène par le vétéran Victor Sjöström. En 1938, il tourna deux films français, le remake du "Joueur d'échecs" par Jean Dréville et "Tempête sur l'Asie" de Richard Oswald. Il eut plus de chance avec "L'Espion noir" (The Spy in Black,1939) dû à l'équipe Michael Powell - Emeric Pressburger. Vint ensuite "Le Voleur de Bagdad" (The Thief of Bagdad,1940), merveilleusement réalisé pour Korda par Michael Powell, Tim Whelan et Ludwig Berger. Veidt, en grande forme, y campait un grand vizir d'une admirable vilenie.
En 1940, l'Angleterre craint une invasion. Pour le soustraire à ce danger, on envoit le comédien à Hollywood. De par ses origines, il sera "utilisé" dans la capitale du cinéma pour servir la propagande anti-nazie. Au cours des huits films américains qui clôturent sa carrière, il sera six fois un officier allemand ou un espion à la solde de Hitler...il meurt d'une crise cardiaque le 3 avril 1943. L'histoire se rappellera surtout de lui pour ses rôles tragiques et torturés dans quelques films fantastiques de la grande période (1920-1926) qui en ont fait dans l'esprit de beaucoup de cinéphiles "l'acteur expressionnisme-type".. Pour mémoire, il faut savoir que sa carrière semblait devoir connaître une nouvelle relance. A Hollywood, Veidt donna une nouvelle preuve de son talent dans "Il était une fois" (A Woman's Face,1941) de George Cukor, où il exerçait une influence maléfique et menaçante sur Joan Crawford. Suivirent divers rôles en vedette dans des films de peu d'intérêt, puis une apparition, très brève mais très forte, dans "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz où il incarnait un officier allemand. En 1943, il retrouvait Joan Crawford dans "Un espion a disparu" (Above Suspicion) de Richard Thorpe.
Le Cabinet du Docteur Caligari - 1919 de Robert Wiene
Le Cabinet du Dr Caligari (1920) de Robert Wiene avec Conrad Veidt
1927
1930
J'étais une espionne - 1933 de Victor Saville
Espionne à bord - 1940 de Michael Powell
Il était une fois - 1941 de George Cukor
La Rose blanche - 1941 de Gregory Ratoff
1942
Un Espion a disparu - 1943 de Richard Thorpe