FRANK CAPRA, LE RÊVE AMERICAIN
FRANK CAPRA 1878 - 1991
Réalisateur, Producteur Américain
Frank Capra est né le 18 mai 1897 à Bisacquino en Italie. De son véritable nom Francesco Rosario Capra, issue d'une famille pauvre. Avec ses parents et ses six frères, il embarque en 1903, sur un bateau d'émigrants pour gagner l'Amérique. La famille s'établit à Los Angeles et le jeune Frank entame une ascension dans "ce pays riche où chacun peu avoir sa chance". Dans son cas, le mythe américain devint réalité et Capra put écrire un jour qu'il considérait ses films comme un remerciement à l'Amérique, à son peuple, à son histoire.
Très jeune, il apprend à se débrouiller par lui-même. Après avoir suivi les cours du California Institute Of Technology, il s'essaie à divers métiers, tout en parcourant les USA. De retour en Californie, il s'intéresse au cinéma.Capra débute comme petit assistant dans un laboratoire. Très vite, il grimpe les échelons de la hiérarchie. Le voici accessoiriste, puis bientôt monteur en titre des sketches réalisés par Bob Eddy.
Dans les années 20, il fut gagman pour Mack Sennett et pour Hal Roach (qui produisait le tandem Laurel & Hardy) pour la série "Our Gang". Capra travaille notamment sur des moyens métrages du réalisateur Mack Sennett dans lesquels joue Harry Langdon. En 1922, la réalisation d'un court-métrage lui fait prendre conscience de son manque de connaissances en la matière. Il décide donc de "commencer par le début", car il est déterminé à tout apprendre sur le sujet. Une telle attitude est tout à fait conforme au personnage : ordre, méthode, et obstination.
Frank Capra co-signe avec Harry Edwards (scénario et réalisation) en 1926 le premier "grand" film de l'acteur, produit par la compagnie First National, "Tramp, Tramp, Tramp" au côté d'une Joan Crawford débutante. Le magazine spécialisé Photoplay publiera la critique suivante : "Ce film met en valeur la mine affligée et la silhouette pathétique de Langdon; la petite vedette de moyens métrages est devenue une star au même titre que Chaplin ou Harold Lloyd.
Dès lors, Capra est prêt à "transformer l'essai", il co-signe les deux scripts suivants, mais en effectue seul la réalisation : "L'Athlète incomplet" (The Strong Man,1926) et "Sa première culotte" (Long Pants,1927) restent les deux chefs d'oeuvre de Harry Langdon. Ces deux films donnent un aperçu du "style Capra", à savoir un savant mélange de comédie et de "sociologie avancée". Le personnage même de Harry apparaît comme l'archétype de l'innocent lâché en liberté dans un monde adulte corrompu. Malgré le succès, leurs chemins se séparèrent et, tandis que Langdon connaissait le déclin, la personnalité et le talent de Capra allaient s'affirmer rapidement.
Ayant décidé que dorénavant, il réalisera ses propres films, Capra n'en trouve pas tout de suite l'occasion "L'homme le plus laid du monde" (For the Love Of Mike,1927) n'a pas rencontré le succès escompté. Il retourne donc dans l'équipe de Mack Sennett, sans pour autant retrouver son salaire. C'est pourquoi il accepte de bon coeur l'offre de la petite firme de production Columbia... Il débute en tournant des séries B; spécialité de cette petite firme. Puis le patron de la Columbia, Harry Cohn, lui confie un des premiers gros budgets, la réalisation de "L'épave vivante" (Submarine,1928) avec Jack Holt et Ralph Graves. Il enchaîne ensuite leur premier film parlant, "The Donovan Affair" (1929). Ayant reçu une formation d'ingénieur, tout comme Allan Dwan et Clarence Brown, Capra s'adapte très vite aux techniques du parlant. Lors d'une interview pour Donald McChaffrey, il expliquait fièrement : "J'ai un diplôme d'ingénieur chimiste, c'est-à-dire que je sais tout sur le son, sur ses propriétés physiques et le reste. J'ai donc d'abord été capable de communiquer avec ces nouveaux pontes que furent en leur temps les ingénieurs du son. Et tout de suite, je leur ai montré qu'il ne fallait pas me jeter de la poudre aux yeux. J'ai assimilé leurs techniques afin de pouvoir me passer d'eux. Finalement, le son est devenu pour moi un outil utile, au lieu d'être un handicap."
Engagé par la Columbia, firme dirigée par Harry Cohn, homme énergique et indépendant, Capra commença par mettre en scène des sujets liés à l'actualité : la chute d'un dirigeable dans "Dirigible" (1931) et la crise d'une banque dans "La Ruée" (American Madness,1932). Dans ce dernier film, Capra affina son style en abordant un sujet qui le passionnait. Dans le chaos de la crise, le président d'une banque incarné par Walter Huston, fait appel à la solidarité contre l'intérêt personnel aveugle. Encouragés les clients reviennent déposer l'argent qu'ils avaient retiré précipitamment. En réalisant ce film, Capra se révéla grand novateur tant sur le plan stylistique que sur le plan technique : il accentua le rythme des dialogues et laissa délibérément se chevaucher des répliques; il élimina aussi les temps morts, préférant pour l'enchaînement des séquences un montage court aux fondus. Les dialogues de "La ruée" furent écrits par Robert Riskin, un ancien auteur dramatique qui partageait les idées de Capra et qui collaborera étroitement avec lui tout au long des années 30. Le réalisateur trouva en lui un remarquable transcripteur du langage de "l'homme de la rue", langage qui contribue pour une bonne part au style même de ses films. Capra aborda ainsi un sujet d'actualité, à savoir les conséquences directes de la crise de 1929 sur le mode de vie des "économiquement faibles". Le titre du film exprime clairement son opinion sur la question.
C'est à cette époque qu'il donne à la carrière de Jean Harlow un coup de pouce magistral en la choisissant pour "La Blonde Platine" (Platinum Blonde,1931). Mais sa grande découverte sera Barbara Stanwyck, l'actrice va tourner dans quatre films du réalisateur, parmi lesquels il faut citer "The Miracle Woman" (1931) et "The Bitter Tea Of General Yen",1932). Le premier est un drame satirique; l'actrice incarne une évangéliste, chef d'une secteur religieuse bien connue à l'époque, Aimée Semple MacPherson. Le second, un film comme Capra n'a pas l'habitude d'en tourner : dans la Chine de la révolution, un cruel seigneur de la guerre va se tuer pour les beaux yeux de l'actrice. Barbara Stanwyck développe dans ce film un style qui sera par la suite sa "spécialité" : elle tiendra le rôle de personnages partagés entre leur souci d'indépendance et leur évidente vulnérabilité.
En 1933, il tourne "Grande dame d'un jour" (Lady For A Day), ce fut un immense succès. Dans son autobiographie, intitulée "The Name Above The Title", Capra a longuement détaillé ses difficultés à mettre en place son projet suivant, qu'il avait initialement titré "Night Bus". Le script original avait été proposé à nombres d'acteurs, qui avaient tour à tour refusé l'offre; à leur défense, précisions que Myrna Loy, Margaret Sullavan, Miriam Hopkins et Constance Bennett avaient lu un texte qui fut considérablement remanié avant d'être porté à l'écran. La MGM lui vint en aide : Clark Gable sous contrat, reçut l'ordre de tourner dans le film. Personne ne croyait que le film pouvait être un succès. L'histoire de Samuel Hopkins Adams avait été initialement refusé par Louis B. Mayer, le patron de la Metro-Goldwyn-Mayer et elle avait finie par échouer à la Columbia. Robert Montgomery déclara le rôle principal masculin sans aucun intérêt.
Arthur Cohn qui dirigeait la Columbia devenait de plus en plus sceptique à l'idée de produire le film malgré la conviction de Frank Capra et de son scénariste Robert Riskin. "Le déclic", ce fut Louis B. Mayer qui le fournit involontairement en se décidant à prêter à la Columbia Clark Gable. Le rôle féminin fut finalement attribué à Claudette Colbert et le film sortit sans que les critiques ne le remarquent spécialement. C'est alors que la surprise arriva. Le public d'abord réticent devint de plus en plus nombreux et fit de "New York-Miami" (It Happened One Night,1934) l'un des plus gros succès couronné par cinq Oscars (Meilleur film de l'année) totalement inespérés Capra fit preuve d'une nouvelle forme de spontanéité : les scènes entre Claudette Colbert, une héritière en fuite, et Gable, un journaliste qui la suit, tout d'abord pour des raisons professionnelles, puis parce qu'il tombe amoureux, semblait improvisées. Capra prouva avec ce film qu'il s'était définitivement éloigné des comédies de salon.
Les composantes du personnage interprété par Clark Gable, c'est-à-dire la propension à la modestie, au respect des valeurs et le goût des choses simples, réapparaissent avec plus d'évidence encore dans celui de Longfellow Deeds incarné par Gary Cooper, personnage principal de "L'Extravagant M. Deeds" (Mr Deeds Goes to Town,1936). L'héritage que lui a légué son oncle catapulte Deeds de la petite ville de province où il vit, Mandrake Falls, au frénétique New York. Certaines de ses petites habitudes provoquent railleries et dérision, tandis qu'avocats, journalistes et créanciers tentent de l'exploiter. Mais les valeurs positives, dont Deeds est l'incarnation, l'emporteront sur la corruption et le cynisme ambiants. Frappé par les dures conditions de vie des paysans réduits à la misère. Deeds décide de partager avec eux sa fortune, faisant cadeau chacun d'une vache et d'un cheval, de semences et d'un lopin de terre. La haute société de New York proteste et un procès est même engagé pour que Deeds soit déclaré fou. Son autodéfense sert de prétexte à un vif débat dans lequel Capra exprime sa confiance dans l'intégralité morale des opprimés et des exploités.
Son film suivant, "Horizons perdus" (Lost Horizon,1937) peut sembler à première vue une tentative risquée. Mais cette création fantastique, tirée d'un roman de James Hilton, donna l'occasion au réalisateur, comme au scénariste, d'exposer une version abstraite de l' "utopie" de Longfellow Deeds : celle de Shangri-la prend place dans un monastère de l'Hymalaya où l'on ignore vieillesse et conflits. Ce film fut la première oeuvre de prestige de la Columbia et assit définitivement la réputation de Capra.
Le réalisateur revint ensuite à la comédie, cette fois dans le registre loufoque, avec "Vous ne l'emporterez pas avec vous" (You Can't Take it With You), d'après la célèbre pièce de George S. Kaufman et Moss Hart, qu'il tourna en 1938. L'adaptation cinématographique rendit les personnages plus vivants et renforça le thème original : le magnat Antony P. Kerby (Edward Arnold) est représenté comme un ogre avide et sans scrupules, tandis que ceux qui méprisent l'argent, la famille musicienne Vanderhof et ses hôtes, tel le livreur de glace qui ne repart plus, sont d'aimables originaux. Comme dans "New York Miami", le ploutocrate à l'écoute de l'action des braves gens finira par devenir humain, s'unissant aux Vanderhof pour interpréter joyeusement "Pollywollydoodle" à l'harmonica, dans un symbolique accord final.
Avec "M. Smith au Sénat" (Mr; Smith Goes to Washington,1939), Capra revit une formule qui avait fait ses preuves dans "L'Extravagant M. Deeds", tout en élargissant le sujet. Ici, son héros, simple et généreux, n'est plus présenté comme l'antagoniste de la seule société new yorkaise, snob et avide d'argent, mais de tout l'appareil gouvernemental de Washington. Jefferson Smith incarné par James Stewart , commerçant estimé et chef scout, est élu au Sénat parce qu'on pense pouvoir profiter de sa naïveté dans une douteuse affaire de construction de barrage. Ses imitations du chant des oiseaux provoquent autant d'hilarité que les vers de Longfellow Deeds, mais il se révèle plus difficile à tromper que ne le croyaient les notables de son parti... Smith propose en effet de construire un camp permanent pour les scouts, sur le terrain qui devrait précisément être inondé par le barrage. Afin de se débarasser de lui, ses ennemis l'accusent de corruption. Pour se défendre et soutenir son projet, Smith prend la parole au Sénat et parle sans s'interrompre pendant plus de 24 heures (l'analogie est évidente avec le procès dans lequel Deeds est impliqué).
En réalisant "M. Smith au Sénat", Capra avait directement transféré dans le domaine publique son combat en faveur du peuple. Pourtant, sa propre position politique était plus floue; les idées fondamentales étaient simples, voire naïves, mais son image de l'Amériquen que Capra présentait comme un continent composé de petites communautés s'aidant réciproquement pour connaître la prospérité et le bonheur, éveilla dans les années 30 un très grand intérêt. Il ne s'agissait pas réellement du New Deal de Roosevelt, avec son organisation gouvernementale complexe qui dirigeait, triait ou créait l'emploi. Il s'agissait plutôt d'une sorte d'Old Deal, celui d'Abraham Lincoln, de Thomas Jefferson et autres hommes d'état (mentionnés avec respect dans les scripts de ses films), où pouvaient s'exprimer l'aventure et la libre entreprise.
Vers les années 30, les menaces qui planaient sur le rêve américain de Capra se précisèrent. Comme le souligne un critique, "même lui, avec son harmonica, ne pouvait stopper les projets de Hitler". Dans le film "L'Homme de la rue" (Meet John Doe) que Capra tourna en 1941. John Willoughby alias Gary Cooper est cette fois trompé et vaincu. Cet ancien joueur de base-ball est lancé sur le marché par un éditeur qui le présente comme l'incarnation de John Doe, un personnage très populaire dans la classe moyenne américaine. Il est ensuite propulsé par un organisation profasciste comme candidat à la présidence des Etats-Unis. Quand Willoughby se rend compte de la manipulation dont il est l'objet, il décide de concrétiser la fausse menace de suicide qui avait été annoncée par les journaux et qui avait renforcé sa popularité. Le jour de Noël, il se poste sur la terrasse de la mairie, bien résolu à se jeter dans le vide. Capra et Riskin eurent du mal à se décider sur la fin à donner au film; leur choix définitif (les partisans de Doe parviennent à le persuader de lutter pour son idéal) n'est pas convaincant ...
Peu avant que les Etats-Unis n'entrent en guerre, Capra entreprit "Arsenic et vieilles dentelles" (Arsenic and Old Lace), le film ne sortit qu'en 1944 avec Cary Grant dans le rôle principal, adapté d'une pièce qui faisait les beaux jours de Broadway, ce film de commande que Capra prit beaucoup de plaisir à tourner demeure une de ses oeuvres les plus drôles.
En 1946, quand Capra put enfin devenir réalisateur et producteur indépendant, après une brillante carrière de superviseur de la série documentaire sur la guerre, intitulée "Pourquoi nous combattons" (Why We Fight), le premier épisode "Prelude To War", fut récompensé par l'Oscar du meilleur documentaire en 1942. Le monde de M. Deeds et les idéaux de Capra avaient subi une amère révolution. George Bailey, le héros désespéré et philanthrope de "La vie est belle" (It's a Wonder ful Life,1946), décide de se suicider. Seule l'intervention d'un ange, qui montre au personnage principal interprété par James Stewart comment aurait été détruite la ville de Bedford Falls si lui-même n'avait pas existé, le sauve de la mort et lui fait comprendre l'importance de la vie. Des critiques élogieuses accueillirent le film à sa sortie. Capra déclara "Je me fichais pas mal de ce que les critiques pouvaient bien penser de mon film. Je trouvais, quant à moi, que c'était mon meilleur film. Mieux encore, je trouvais que c'était le meilleur films que personne eût jamais fait. Il n'était pas destiné à mon genre de public; j'avais rêvé de le faire depuis ce jour ou j'avais regardé pour la première fois dans le viseur d'une caméra, dans ce gymnase juif de San Francisco. (...) C'était un film qui disait (...) qu'aucun homme n'est un raté !" ("Hollywood Story" - Frank Capra - Ed. Stock.)
Ce film reste seulement une preuve de la technique consommée de Capra et de son amour pour les petites villes de province. C'en est aussi le dernier exemple, car, après la réalisation de "L'enjeu" (State of the Union,1948) avec Katharine Hepburn et Spencer Tracy, l'évocation d'un candidat aux élections impliqué dans des combines politiques, la maison de production de Capra, la Liberty Film, fut cédée à la Paramount, et le réalisateur perdit alors toute liberté. Il tourna ensuite "Jour de chance" (Riding High,1950) interprété par Bing Crosby. Le film suivant : "Si l'on mariait Papa ?" (Here Comes the Groom,1951), fut une comédie sentimentale, toujours avec Bing Crosby dans le rôle d'un journaliste qui adopte des orphelins de guerre.
Après une période d'inactivité de huit ans, Capra se remit au travail pour réaliser, en Cinémascope et en couleurs, "Un trou dans la tête" (A Hole in the Head,1959), une comédie au style suranné interprété par Frank Sinatra. Mais avec "Millionnaire pour un jour" (Pocketful of Miracles,1961) remake d'un autre de ses premiers films, "Grande dame d'un jour" (1933), Capra sembla redevenir le grand réalisateur qu'il avait été. On retrouva à l'écran des personnages excentriques et charmants qui venaient en aide à Annie Apple qui n'est autre que Bette Davis, la pauvre marchande de fruits dont la fille fait croire que sa mère est une dame de la haute société. Mais ce film, résultat de compromis, fut durement jugé par son auteur qui, très lucidement, décida de prendre sa retraite. Il rédigea alors un livre de souvenirs (paru en France sous le titre "Hollywood Story"), qui est un remarquable témoignage sur la capitale du cinéma et sur le travail de cet execeptionnel réalisateur. Frank Capra meurt le 3 septembre 1991, à l'âge de 94 ans dans la petite ville de La Quinta en Californie.
L'Athlète incomplet - 1926
Sa dernière culotte - 1927
L'épave -1928
1929
1931
Blonde platine - 1931
Amour défendu - 1932
La Ruée - 1932
1933
La Grande Muraille -1933
1934
1936
Horizons perdus -1937
1938
1939
L'Homme de la rue -1941
Arsenic et vieilles dentelles -1944
1946
L'enjeu -1948
1951
Si l'on mariait papa - 1951
Un Trou dans la tête -1959
Milliardaire d'un jour -1962
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